Peut-on écrire l’histoire du climat ?

Le temps se gâte : à partir de 1560 les températures se rafraîchissent ; pour les quatre saisons en gros, la température annuelle dans l’Ouest de l’Europe, baisse de 0,6°C en moyenne, notamment en été, mais aussi pendant les autres saisons. Les glaciers alpins progressent assez fortement : on le voit bien vers la fin du XVIe siècle à Chamonix, au hameau du Châtelard, proche de la Mer de Glace laquelle en 1600, atteint et détruit des localités qui sont ou seraient aujourd’hui à plus d’un kilomètre en aval des fronts glaciaires. En Suisse également, le glacier d’en bas de Grindelwald prend des proportions éléphantesques, il se porte à 560 mètres en avant de ses positions antérieures, celles de 1535 ; il menace d’écraser des granges, chapelles et autres bâtiments.


Peinture par Hendrick Avercamp, Hollande
inspirée par l’hiver exceptionnel de 1608
typique du Petit Age Glaciaire (PAG).

Les cinquante années qui vont de 1560 à 1609 se détachent ainsi assez nettement : vendanges plus tardives, printemps-étés plus frais, voire pourris eux aussi. De plus, on est en pleine guerre religieuse, très défavorable et même désastreuse pour l’économie. La crise de subsistance climatiquement déterminante, de 1565-1566 marque surtout un pic, elle est précédée par la disette de 1562-1563 consécutive aux mauvaises moissons de 1562. Dès avant cette date les prix frumentaires ont commencé à monter, modérément mais régulièrement (argent américain). La peste, partiellement conséquence de la disette, se déclenche, avec une mortalité gigantesque en 1562-1563, mortalité à laquelle nos historiens ne s’intéressent guère, ils préfèrent contempler le fascinant voyage de Charles IX et de sa mère en 1564-1565 dans toute la France, à travers des populations décimées peu auparavant : un peu comme si la presse et les médias ne parlaient que du Tour de France ou du Paris-Dakar, après une catastrophe démographique qui aurait provoqué dans notre pays un minimum de trois millions de morts ! Il y a donc un jeu complexe climat-famine-peste-guerre qui assombrit considérablement la période. Le grand hiver de 1564-1565, comparable en moins rude à celui de 1709, a durement éprouvé la région parisienne (mais aussi les Pays-Bas et l’Angleterre) provoquant une crise frumentaire à laquelle les populations réagissent, démographiquement, par une baisse des conceptions entraînant un déficit des naissances l’année suivante (novembre 1565-novembre 1566).

à partir de 1560 les températures
se rafraîchissent ; pour les quatre
saisons en gros, la température
annuelle dans l’Ouest de l’Europe,
baisse de 0,6°C en moyenne

Autre hiver notable, celui de 1572-1573 : le froid, très rigoureux dans toute l’Europe du nord, provoque une solide glaciation des eaux des rivières et des lacs (Allemagne méridionale, Autriche, Suisse). Donc des gelées hivernales, et printanières qui tuent les semences ; viennent ensuite l’été et l’automne trempés (cf. 1481, 1740) ; d’où des raisins peu mûrs et un vin acide qui tourne à la piquette. À signaler aussi l’automne 1585 fort humide, ce qui a dû compromettre les semailles, et puis l’hiver suivant 1585-86 nettement glacial. Tout ça, PAG ! : dès avril 1586, les pauvres ruraux, par troupes coupent le blé à demi-mûr « et le mangent à l’instant pour assouvir leur faim effrénée » (Pierre de l’Estoile). Dans le même temps, les combats de religion, entre protestants et Ligueurs « ultra-papistes » (qui certes n’ont rien à voir avec le climat) en aggravent pourtant les conséquences néfastes. Batailles, insécurité, les convois de grains circulent mal… Mai 1588 : la Ligue… Pour conclure le XVIe siècle, la décennie 1590 se présente comme une suite d’années presque toutes froides ou, du moins, très fraîches ; s’agissant de l’Angleterre élisabéthaine qui à cette époque, à la différence de la France, jouit d’une totale paix intérieure,on ne peut invoquer les guerres pour expliquer en ces dix années 1590’s-9, à mainte reprise, le fort déficit démographique, l’excédent des décès sur les naissances, lui-même né de la cherté des grains (la disette), déficit frumentaire, notamment en 1597-1598, et on peut même rapprocher ce phénomène de ce qu’écrit la même année Shakespeare dans le Songe d’une nuit d’été :

« Ainsi les vents…, comme pour se venger, ont fait monter de la mer des brouillards contagieux (porteurs de contagions épidémiques ?). Ceux-ci, retombant sur la terre, ont rendu les rivières si orgueilleuses et si gonflées qu’elles ont bientôt débordé sur la terre ferme C’est en vain que le bœuf a tiré sous son joug. Le laboureur a sué tant et plus, mais sans le moindre succès. Le blé encore en herbe verte a pourri avant même que l’épi barbu ne se forme. Dans les terres noyées, le parc clôturé est resté vide, déserté par les bestiaux qu’a frappés l’épizootie du murrain ; les corbeaux s’engraissent aux dépens de ces troupeaux de cadavres … Humains, frères mortels, vous voudriez jouir de vos amusements d’hiver, mais la nuit n’est plus remplie du son des hymnes ni des cantiques de Noël. Car la lune, gouvernante des déluges, est pâle de fureur ; elle détrempe tout dans l’air à tel point que fleurissent partout les rhumatismes et les inversions de température Les saisons sont altérées »… Et de parler « des gelées couvertes de poils blancs, piquant du nez dans le frais giron des roses cramoisies… »

Fantaisie de poète ? Ce n’est pas si sûr car d’autres indications (escalade du prix du grain comme conséquence d’années pourries et de mauvaises récoltes, chute de la natalité) vont dans le même sens : il y a bien eu une détresse économique pendant les rudes années 1597-1598 en Angleterre.

Sur le continent, l’hiver 1597 est très neigeux ce qui, une fois de plus, profite aux glaciers alpins, en pleine phase d’offensive maximale, laquelle culminera au tout début du XVIIe siècle. Globalement tous les hivers, de 1586 à 1605, sont neigeux, pensez aussi à la peinture flamande et hollandaise blanche de neige, de glace et de patineurs en cette fin de XVIe-début du XVIIe siècle. L’économie (maigres moissons, restrictions céréalières) retentit sur la démographie : en France on observe un net déficit des baptêmes pendant les années 1597-1598 déficit qui correspond à une baisse d’un quart ou d’un tiers du nombre des naissances nationales ; de même, outre-Manche, il y a un excédent des morts, inhabituel en cette île qui, d’ordinaire, est démographiquement dynamique.

les sorcières sont souvent
accusées, entre autres choses,
de détraquer le temps

On peut aussi se demander s’il n’y a pas de corrélation de cause à effet entre le petit âge glaciaire qui marque, grosso modo, les années 1560-1600, ou même 1560-1640, et les persécutions, les procès de sorcellerie particulièrement nombreux dans tous les pays d’Europe pendant cette période ; car vous savez que les sorcières sont souvent accusées, entre autres choses, de détraquer le temps. Crise déficitaire du vin, aussi (déficit des vendanges) manque de soleil, gelées.

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1.  Pierre | 2/02/2007 @ 9:37 Répondre à ce commentaire

Le suivi de la date des vendanges depuis le Moyen Age n’est sûrement pas un bon indicateur de l’évolution du climat.
En effet, pour tirer des conclusions, il faudrait pouvoir dire : »toutes choses étant égales par ailleurs ».
Or dans le domaine de la viticulture, c’est loin d’être le cas.
Déjà, on ne parle plus de la même plante. En effet, jusqu’à la crise du phylloxéra à la fin du XIXème siècle,nous avions des vignes « francs de pied », de l’espèce Vitis vinifera.Ces vignes poussaient plus ou moins librement, se reproduisant par marcottage…
Après la crise phylloxérique, depuis le début du XXème siècle, nous avons des plants greffés sur des plants américains de l’espèce Vitis riparia.
Donc, l’espèce n’est plus la même. De plus, la conduite de la vigne n’est plus la même non plus, on ne laisse plus la vigne courir, mais nous avons des plantations de pieds bien délimités, bien alignés.
Enfin, dernière révolution, depuis environ 30 ans, la limitation des rendements (égrappage, vendanges en vert) a conduit certainement à accélérer la maturation des raisins.
Conclusion : je pense que l’on ne peut tirer aucune conclusion de l’évolution de la date des vendanges depuis le Moyen Age

2.  Demesure | 2/02/2007 @ 10:45 Répondre à ce commentaire

Conclusion : je pense que l’on ne peut tirer aucune conclusion de l’évolution de la date des vendanges depuis le Moyen Age

Je serais moins affirmatif que vous. Les modifications de méthodes et de cultivars que vous citez s’appliquent surtout ces 2 derniers siècles, avec le progrès technique et scientifique mais pas tant que ça dans l’ancien temps donc ne devraient pas invalider complètement les reconstitutions historiques.

Des études existent, telles que celle d’Isabelle Chuine et al, d’ailleurs très controversée. On peut contester certaines parties de la méthodologie ou l’intervalle de confiance de température mais pas tout rejeter en bloc.
Exemple de texte de l’Abbé Cochet sur la culture de la vigne en Normandie

Qu’il y ait eu autrefois des vignobles en Normandie, que cette province ait fourni à la consommation et au commerce des vins abondans, que ses côteaux, aujourd’hui ombragés de pommiers, aient été autrefois couverts de vignes, ce sont là des faits dont il n’est pas permis de douter.

3.  Pierre | 2/02/2007 @ 13:40 Répondre à ce commentaire

Je suis bien d’accord avec vous, Demesure.
Du Moyen Age jusqu’au début du XXème siècle, on peut faire des comparaisons, puisqu’on est à conditions constantes (à peu de choses près)
En revanche, depuis le début du XXème siècle, et plus encore depuis la « révolution agricole » qui a suivi la deuxième guerre mondiale, il n’y a plus de comparaison possible.

4.  Rincewind | 2/02/2007 @ 15:23 Répondre à ce commentaire

Pierre,
Personne n’utilise plus la vigne pour mesurer la temperature au 20e siécle ! 😉
Et depuis 30 ans, on utilise même des satellite qui donnent non seulement la temperature en surface mais de la colonne d’air au dessus de nous. Sans doute pour ça qu’on s’hystérise pour quelque dixieme de degres.
Nos anciens eux accusaient les sorciéres de changement climatique. Nous, on accuse le CO2, les voiture, les voyages en avion… Chaque époque ses croyances.

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