Réflexions d’un sceptique par Hendrik Tennekes, traduction par Jean Ranchin

Ci-dessous les vues du Docteur Tennekes sur la question du climat.

Ici aux Pays-Bas, beaucoup de gens m'ont classé "climate skeptic". Cela ne m'aide en rien vu que je me suis qualifié de protestant il y a peu. Je proteste contre la pression écrasante à adhérer au dogme du changement climatique promu par les adhérents du GIEC. J'ai grandi dans un milieu protestant fondamentaliste et j'ai acquis une grande sensibilité à tout ce qui fleure comme un système de croyance orthodoxe.

Les avantages de l'acceptation du dogme ou du paradigme sont on ne peut plus clairs. On n'a plus à s'interroger sur les fondements de ses convictions, on retire les grands avantages de l'appartenance à un groupe qui jouit du pouvoir politique, on peut participer aux avantages que le groupe procure, on peut se décharger de ses responsabilités et de devoir rendre des comptes auprès de la direction du groupe. En bref, dès que l'on accepte un dogme, on cesse d'être un scientifique indépendant.

Un des désavantages que
le sceptique doit vivre est
la recherche du soutien
adéquat pour ses recherches

Un sceptique, à l'opposé, accepte à la fois les charges et les plaisirs de se tenir debout par lui-même. Un des désavantages que le sceptique doit vivre est la recherche du soutien adéquat pour ses recherches. L'autre aspect de la chose est qu'un scientifique indépendant a le grand avantage de penser mieux et d'aller plus au fond que nombre de ses collègues. Laissez-moi donner un exemple dans lequel j'ai été partie prenante pendant trente ans, la question de l'horizon de prédiction pour un système complexe déterministe. Ce problème, exactement celui que Lorenz a été le premier à définir, n'est pas encore pris en compte correctement par la majorité des climatologues. Dans une rencontre à l'ECMWF [European Centre for Medium-Range Weather Forecasts, Centre européen de prévision météorologique à moyen terme] en 1986, j'ai donné une conférence intitulée "aucune prévision n'est complète sans une prévision de la limite de prévisisibilité (skill)". Ce slogan a lancé la procédure aujourd'hui banale de la Prévision d'Ensemble qui est en fait une version humaine faible pour produire une estimation de la fonction de densité de probabilité d'une prévision déterministe. La puissance toujours plus grande des super ordinateurs autorise de telles stratégies de recherche simplistes.

aucune prévision n'est
complète sans une prévision
de la limite de prévisibilité

Depuis, la prévision d'ensemble et la prévision multi-modèle sont devenues courantes en recherche climatique. Mais les questions fondamentales concernant l'horizon de prédiction sont évitées comme la peste. Il n'y a pas de cadre théorique convenable pour des études sur la prévisibilité climatique. En tant que spécialiste de la turbulence, je suis conscient qu'un tel cadre requiert le développement d'une théorie dynamique-statistique de la circulation générale, une théorie qui concerne les flux turbulents et autres. Mais au fond, mon idée est un anathème contre la météorologie dynamique traditionnelle.

Les modèles climatiques sont quasi déterministes et ont à simuler les modèles de circulation journaliers pendant des dizaines d'années avant que des valeurs moyennes soient trouvées. Donc le problème le plus crucial de la théorie de la prévisibilité climatique est laissée de côté. Dans les documents du GIEC [IPCC en Anglais] on trouve des phrases telles que "surprises climatiques" qui montrent que l'état-major de l'IPCC n'est pas conscient que ce choix des mots trahit son ignorance, ou bien qu'il n'est pas disposé à dire clairement que la recherche en prévisibilité climatologique mérite beaucoup plus d'attention qu'elle n'en reçoit.


Représentation stylisée d'un modèle numérique
planétaire en points de grille montrant le
découpage en "boîtes élémentaires" de calculs.
Deux grandeurs atmosphériques y sont portées :
température et le vecteur vent. Météo France

Il n'y a pas de recherche mineure. Peu d'années après avoir lancé mon slogan sur la limite de prévisibilité, je suis tombé par chance sur le texte de Karl Popper "L'univers irrésolu, Plaidoyer pour l'indéterminisme" et j'ai découvert que Popper avait anticipé les problèmes dus au paradigme de Lorenz. Il dit que les scientifiques devraient être comptables de l'exactitude de leurs prédictions jusqu'à devoir calculer à l'avance la fiabilité de leurs calculs. Pour les modèles complexes, écrit Popper, cette demande mène à une "régression infinie" : les calculs de la limite de prévisibilité sont beaucoup plus difficiles que les prévisions elles-mêmes, et le niveau suivant, prévision de l'indice de l'indice de prévisisibilité, est inacessible pour un système aussi complexe que le climat. Popper concluait que les prétentions positivistes de la science sont en général injustifiées. En 1992 j'ai écrit un texte pour Weather pour expliquer la question en détail.

Selon Karl Popper, les
prétentions positivistes
de la science sont en
général injustifiées

Les sceptiques font aussi face à un problème sociologique. Ils ne sont d'accord que pour protester contre le dogme qui prévaut. Certains fondent leur opposition sur des versions diverses du paradigme néo-conservateur. Bjorn Lomborg, par exemple, ignore nombre d'efforts du mouvement environnementaliste qui ont contribué à améliorer les conditions dans le monde industriel. Scientifiquement parlant, je suppose qu'il a négligé un mécanisme crucial de réaction sociale. D'autres sceptiques utilisent d'autres paradigmes. Roger Pielke Jr. fonde son travail sur la vulnérabilité, un choix très attrayant pour moi. D'autres encore du monde du climat utilisent un paradigme de suprématie de la physique, attaquant un ou plusieurs détails physiques du problème du climat, espérant qu'ils pourront s'imposer en prouvant que le dogme orthodoxe est erroné.

À mon avis, leur erreur conceptuelle est que la physique des systèmes complexes ne donne pas la possibilité de régler le débat de cette façon. En 1987, j'ai donné une conférence à Londres, intitulée "Illusions de la sécurité, contes de l'imperfection". Je m'y intéressais aux défauts des prévisions météorologiques mais des critiques similaires sont applicables à la prévision climatique. L'orthodoxie climatique révèle les mêmes idées fausses quand elle parle, comme le fait l'IPCC, des bases scientifiques du changement climatique. Dès ce moment, j'ai répondu à cette idéologie en établissant qu'il n'y a aucune chance pour que les sciences physiques puissent produire une base scientifique universellement acceptée pour des mesures politiques concernant le changement climatique. Dans mon texte à Weather en février 1990, j'écrivais

"les contraintes imposées par l'écosystème planétaire exigent un ajustement continu et une adaptation permanente. La prévisibilité est d'une importance secondaire".


Stations de radiosondage, répartition mondiale.
Régions dans lesquelles des observations sont
nécessaires pour réaliser des prévisions à
échéance de 1, 3 et 5 jours sur la zone
centrale Z. Source Météo France

Aujourd'hui, je maintiens cela. Je ne peux accepter aucun paradigme de pouvoir prédictif, je choisis au contraire un paradigme d'adaptation. En cela, je suis proche de l'accent mis par Roger Pielke Sr sur les changements d'usage des sols ou des alternatives modestes d'approche globale de Ronald Brunner. Il va sans dire que je déteste les dogmes tels que les appels à Gérer-la-Planète ou encore la croyance de Greenpeace en la Sauvegarde-de-la-Planète. Ces idéologies présupposent que l'intelligence de l'Homo sapiens est capable de telles prouesses. Cependant, je sais qu'il n'y a pas de preuve pour soutenir de telles affirmations.

Revenons à Lorenz. Les systèmes déterministes complexes ne sont pas seulement sensibles aux conditions initiales mais sont aussi sensibles aux différences entre la Nature et les modèles utilisés pour la représenter. L'apparente réponse linéaire des modèles de la génération actuelle au forçage radiatif est probablement due à des défauts introduits par inadvertance dans les schémas de paramétrisation employés. Karl Popper a écrit (voir mon texte sur lui) :

"La méthode de la science dépend de vos tentatives de description du monde avec des modèles simples. Les théories qui sont complexes deviennent non testables même si on les espère vraies. La science doit être décrite comme de la sursimplification, un art de discerner ce que nous avons avantage à omettre".

Si Popper avait connu les problèmes de prévisibilité causés par le paradigme de Lorenz, il aurait aisément étendu son affirmation. Il aurait pu ajouter que les modèles simples sont inappropriés pour représenter adéquatement les détails non linéaires de la réponse du système, et sont d'autant plus inappropriés pour fournir une réponse réaliste aux problèmes aux limites cachées dans sa microstructure. Popper savait, évidemment, que les modèles complexes (tels que les Modèles de Circulation Générale GCM) sont confrontés à un autre dilemme.

Je le cite de nouveau : "La question surgit : quelle doit être la qualité du modèle pour que nous puissions calculer l'approximation exigée par notre responsabilité ? (…) La complexité du système ne peut être évaluée que si on a un modèle proche en main." Dans cette perspective, ceux qui prônent l'idée que la réponse du climat réel au forçage radiatif est convenablement représentée dans les modèles climatiques ont l'obligation de prouver qu'ils n'ont pas négligé une seule rétroaction non linéaire, peut-être chaotique, que la Nature emploie.

ceux qui prônent l'idée que la
réponse du climat réel au forçage
radiatif est convenablement
représentée dans les modèles
climatiques ont l'obligation de
prouver qu'ils n'ont pas négligé
une seule rétroaction non linéaire

Popper avertissait sans cesse des dangers de "régression infinie". Comme ardent défenseur du paradigme de Lorenz, j'ajoute que la tâche de trouver toutes les rétroactions non linéaires dans la microstructure de l'équilibre radiatif est probablement aussi impossible que trouver l'aiguille dans la meule de foin. L'adhésion aveugle à l'idée farfelue que les modèles climatiques peuvent produire des simulations "réalistes" du climat est le motif principal pour lequel je demeure sceptique. À partir de mon acquis en turbulence, je regarde l'avenir dans l'attente peu réjouissante du jour où les modèles climatiques tourneront avec une résolution horizontale inférieure au kilomètre. Les problèmes effroyables de prévisibilité des écoulements turbulents tomberont sur la science climatique comme une vengeance.

Références :

  • Turbulent flow in two and three dimensions. Bulletin American meteorological society, 59, 22-28, 1978.
  • The Outlook: scattered showers. Bulletin american meteorological society 69, 368-372, 1988.
  • Numerical weather prediction: illusions of security, tales of imperfection. weather 41, 165-170, 1988.
  • A sideways look at climate research. Weather 45, 67-68, 1990.
  • Karl Popper and the accountability of numerical weather forecasting. Weather 47, 343-346, 1992.
  • An ecological grammar for meteorologists. Weather 51, 326-328, 1996.

Source : Climate Science, traduction par Jean Ranchin

1.  Enfin un dynamicien éclairé ! | 7/02/2007 @ 20:27 Répondre à ce commentaire

Enfin un texte de grande qualité sur l’imprédicitibilité des systèmes dynamiques non-linéaires.
Je suis ravi de voir que quelqu’un de compétent s’exprime sur ce sujet.

Je sus convaincu que la clef de la non-prédictibilité du climat se trouve dans la dynamique chaotique…

Cordialement…

2.  Murps | 4/04/2007 @ 20:32 Répondre à ce commentaire

OOOPS !
Je suis l’auteur du post précédent.
😉

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