Le fantasme de l’EPA : la science maître du monde

Par John Tierney

Maintenant que la Cour Suprême [des Etats-Unis] a ordonné l'EPA (agence de protection de l'environnement américaine) de réguler les émissions de CO2 des voitures, lequel de ces scénarios est le plus probable ?

  1. les scientifiques de l'EPA vont déterminer le niveau adéquat d'émission et l'Agence va promptement ordonner aux fabricants automobiles de le suivre
  2. Les recommandations des scientifiques vont être ignorées par l'administration Bush mais rapidement adoptées par le prochain président
  3. Peu importe qui sera élu, peu importe ce que recommandent les scientifiques de l'EPA, rien ne va se produire de sitôt.

Si l'histoire devait servir de référence, la réponse correcte est 3). Ordonner à l'EPA de s'occuper du réchauffement climatique pourrait être une victoire pour les organisations écologiques mais cela va probablement juste ralentir les progrès contre le réchauffement global. L'Agence de Procrastination Environnementale, comme j'aime l'appeler ainsi, a déjà assez de mal à s'occuper des polluants habituels. Elle est dans une situation encore pire quand il s'agit de s'occuper de quelque chose d'aussi compliqué que le CO2, parce que l'Agence a été fondée sur un fantasme : que les experts scientifiques peuvent transcender à la fois la politique et l'économie.

Ordonner à l'EPA de s'occuper du
réchauffement climatique pourrait
être une victoire pour les organisations
écologiques mais cela va
probablement juste ralentir les progrès
contre le réchauffement global.

Cela a été un fantasme bien pratique pour les membres du Congrès qui voulaient éviter des décisions courageuses. Ils ont ordonné avec grandiloquence l'EPA de nettoyer l'environnement quel qu'en soit le coût. Ses experts sont sensés être au-dessus de la politique et on leur interdisait de considérer des compromis économiques : ils sont supposés faire des définitions scientifiques de la sécurité et ensuite ordonner à tout le monde d'obéir.

Cela sonne merveilleusement bien – jusqu'à ce que les experts essayent réellement d'imposer des mesures impopulaires ou coûteuses. Ils se retrouvent alors eux-mêmes empêtrés dans des suites judiciaires interminables et des mainoeuvres politiques derrière-la-scène. Cela a pris l'agence 15 ans pour s'occuper de la pollution due à l'essence au plomb, qui était un problème trivialement simple comparé au réchauffement climatique. C'est bien plus facile d'estimer les conséquences sur la santé de la pollution au plomb que de déterminer scientifiquement un seuil de "sécurité" du CO2. Oui, réduire les émissions signifie moins de risque de changement climatique mais les scientifiques du climat n'ont aucune expertise quant à la manière de les réduire. C'est aux économistes d'estimer les pour et les contre – et aux politiciens de travailler sur un compromis.

Mon guide favori pour les questions concernant l'EPA est David Schoenbrod, qui avait porté plainte pour forcer l'EPA à prendre des actions pour éliminer le plomb de l'essence dans les années 1970, quand il était avocat pour le Natural Resources Defense Council. Les écologistes avaient gagné la bataille judiciaire. Mais en voyant l'agence tergiverser, sous administration Républicaine tout comme Démocrate, M. Schoenbrod était devenu convaincu que la poursuite judiciaire n'avait pas été vraiment une victoire – que les législateurs au niveau local et fédéral auraient été forcés à agir plus tôt si le problème n'avait pas été confié à l'EPA. Dans son livre en 2005 "Sauver Notre Environnement de Washington", il propose de mettre la pression sur les politiciens pour transformer l'EPA d'une agence de régulation en une agence qui offrirait des recommandations techniques au Congrès et aux législatures des Etats.

Ce qui n'a aucun sens dans la
prémisse du Clean Air Act est
que le Congrès peut résoudre
tous les problèmes de pollution
en les confiant à l'EPA.
L'histoire montre que c'est faux

M. Schoenbrod, maintenant professeur à l'université de droit de New York, ne célèbre pas la dernière "victoire" des écologistes. "La Cour Suprême a eu raison de décider que le Clean Air Act oblige l'EPA à réguler tous les polluants, y compris les gaz à effet de serre," dit-il. "Ce qui n'a aucun sens dans la prémisse du Clean Air Act est que le Congrès peut résoudre tous les problèmes de pollution en les confiant à l'EPA. L'histoire montre que c'est faux."

Alors, à quoi s'attend-il ? Beaucoup de batailles judiciaires et peu d'action. "Les choix difficiles vont devoir être faits et l'Agence manque de légitimité pour les faire," dit-il, "ainsi, la tendance sera de tergiverser ou de faire des choix symboliques aussi longtemps que possible."

Mise à jour jeudi 5 Avril : Certains lecteurs se plaignent que je n'ai pas assez crédité l'EPA pour les progrès environnementaux passés. Mais l'air et l'eau étaient devenu propre avant que l'EPA ne soit fondé et celle-ci a d'une certaine manière ralenti les progrès, comme M. Schoenbrod explique aujourd’hui dans son essai dans le Wall Street Journal.

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