Les biocarburants, du rôle de gentil au méchant

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Parfois, même les pessimistes sont amenés à admettre que leurs prédictions ont été exagérées. Il y a quatre ans, Dennis Avery avertit qu'avec la mode des biocarburants et les gouvernements occidentaux passant des lois obligeant les consommateurs à les acheter, "les agriculteurs américains, qui devraient exporter la nourriture vers les régions peuplées d'Asie au revenu croissant, vont se tourner plutôt vers la production de maïs destiné à l'éthanol… sans apporter aucun bénéfice environnemental."

Comme les agriculteurs partout dans le monde vont profiter du soudain appétit pour les biocarburants, prédit-il en 2006, il y aura un "clash entre la nourriture et les forêts." Les agriculteurs vont raser de nouvelles parcelles pour faire produire du biocarburant, prédit M. Avery, président du Center for Global Food Issues, affilié au Hudson Institute – Washington. Ce message a rendu impopulaire l'ancien analyste agricole senior du Ministère de l'Intérieur américain auprès des agriculteurs, qui cherchaient de nouveaux débouchés pour leurs céréales. Il n'a aucun plaisir à constater que sa prophétie est en train de se réaliser. Après tout, même lui ne réalise pas que les choses puissent se passer aussi rapidement. "Je savais que ce serait grave. Mais je n'aurais jamais pensé que cela s'empirerait autant et aussi vite," dit-il. C'est "atterrant".


Encore sous peu considérés comme la solution, les biocarburants pourraient
être la source de problèmes alimentaires et de dégradation écologique

En à peine une demi-décennie, les biocarburants sont passé du statut de chéri des écologistes et politiciens – confiants que le carburant fabriqué à partir du maïs, soja et autres plantes ne va pas seulement nous soulager de notre dépendance du pétrole volatile des pays arabes mais aussi réduire les émissions de CO2 – à celui du coupable désigné de bouleversements économiques massifs et de destruction écologique.

Le Rapport Spécial de l'ONU sur le Droit à la Nourriture a qualifié récemment les biocarburants de "crime contre l'humanité," servant à brûler comme carburant de la nourriture qui aurait pu aider à combattre la faim. "Les exploitations agricoles se sont converties à la production de biocarburants, ce qui a créé un problème de pénurie de nourriture et donc de prix élevés," dit Jakaya Mrisho Kikwete, président de l'Union Africaine cette semaine. Au moment même où il parle, de violentes manifestations contre la nourriture chère à Haïti ont fait 5 morts et plus de 40 blessés, dans le sillage des manifestations au Mexique, en Egypte et au Cameroun. D'autres pays ont interdit l'exportation de céréales pour rationner l'offre insuffisante.

Que les groupes écologistes disent maintenant que la promesse de réduire les émissions de carbone ne s'est pas matérialisée n'est pas d'un grand secours – ou du moins que la réduction (la production d'éthanol à base de maïs est supposée produire entre 0 et 30% de moins de CO2 que le bon vieux carburant fossile) ne justifie pas les effets secondaires dévastateurs – car la tendance à plus de biocarburants a conduit à une hausse rapide d'utilisation de fertilisants néfastes pour l'environnement et à la déforestation à l'échelle du globe.

"Ca ressemble presque à une conséquence nécessaire. Quand vous réservez des terres productives à la production de biocarburant, ça aura un impact sur le prix des céréales et des commodités, et cela va croissant… les fermiers vont aller vers des terres encore plus marginales et entraîner plus de déforestation", dit un activiste de l'agriculture de Greenpeace, Josh Brandon. "Je pense que c'est devenu très clair pour les ONG européens et nord-américains que les biocarburants, en général, sont devenus plus un problème écologique qu'une solution."

Les législateurs européens semblent vouloir freiner la lancée des biocarburants. Mardi dernier, le Premier ministre britannique, Gordon Brown demande aux pays du G8 "d'examiner en urgence l'impact sur le prix de la nourriture des différents biocarburants et leur mode de production et d'assurer que leur utilisation soit responsable et durable." Le ministre de l'agriculture français a promis de dévoiler des propositions cette semaine au cours du Conseil de l'Agriculture de l'UE qui vont s'assurer qu'une priorité absolue soit accordée à la production agricole destinée à la nourriture" avant les biocarburants. Le ministre de l'environnement allemand, Sigmar Gabriel a dit ce mois-ci qu'il envisage de supprimer les lois qui exigent un minimum de 10% de carburant d'origine agricole prévu pour l'année prochaine et de 17% pour 2020.

Le Canada et les USA n'ont pas encore abandonné leur soutien au biocarburant à base de maïs (Ottawa envisage d'obliger à ce que la moitié du carburant vendu au Canada comporte un taux d'éthanol de 10% d'ici 2010 ; les USA obligent les producteurs de pétrole à quintupler leur incorporation de biocarburant pour 2022). The gouvernement fédéral a porté les subventions à la filière éthanol à 500 M$ et les 3 candidats à la présidentielle américaine – y compris John McCain, qui en 2003 déclara que "l'éthanol n'aide en aucun cas à réduire la consommation de carburant, à réduire notre indépendance énergétique, à améliorer la qualité de l'air" – ont juré qu'ils continueront à soutenir les biocarburants.

Mais là également, la perception du public a changé. Une étude publiée dans le magazine Science le mois dernier a suggéré que, alors que des pays rasent leurs forêts tropicales et assèchent leurs marécages, considérés comme des "puits de carbone" essentiels, pour accroître la production de biocarburants, l'impact net sur les niveaux de CO2 est pire que si l'on en restait au pétrole. Un think tank de l'Université McGill, Resource Efficient Agricultural Production, a affirmé à une commission sur l'agriculture du Parlement en février dernier que l'éthanol "ne va pas réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre." Dans son éditorial influent dans le New York Times cette semaine, l'éminent économiste de gauche Paul Krugman qualifie "la mode du démon éthanol … d'erreur terrible." Le magazine Time a affiché en couverture le mois dernier le titre cru de "L'arnaque des énergies propres."

L'industrie elle-même insiste qu'on la désigne injustement du doigt pour des problèmes qu'elle n'a pas causés, bien que Gordon Quaiattini, président de l'Association Canadienne des Energies Renouvelables admet qu'il est face à un problème majeur de relation publique. "Nous devons montrer les faits, et nous avons été probablement pas très bons dans cela," dit-il, en promettant une campagne à venir pour rectifier ce qu'il considère comme des malentendus. La hausse des prix agricoles, explique-t-il, vient de la hausse du prix de l'énergie. Toutes ces études économiques sceptiques, insiste M. Quaiattini, sont erronées. "Les tenants de thèses conspirationnistes, je soupçonne, pourraient montrer que c'est sans doute l'industrie du pétrole qui font la promotion de telles études. Je n'ai pas de preuves formelles, mais j'ai des preuves anecdotiques," dit-il. De plus, note-t-il, il y a des améliorations à venir qui vont rendre la production de l'éthanol plus propre alors que la production de pétrole à partir de brut lourd ne peut qu'augmenter son empreinte carbone.

Même les critiques des biocarburants sont d'accord pour dire qu'il y a de bonnes sources, comme l'éthanol cellulosique à base de canne à sucre brésilien qui a un gros rendement énergétique et qui alimentent sa propre transformation. Mais les conditions de culture du Brésil ne peuvent pas être reproduites dans d'autres climats, dit Vaclav Smil, qui a étudié l'écologie, l'énergie et la production agricole à l'université de Manitoba. Entre temps, le Brésil lui-même ne peut pas à lui seul fournir du biocarburant à la planète même en utilisant chaque hectare de sa forêt tropicale, ce qu'il semble s'apprêter à faire.

"Même si vous plantez chaque hectare de terre agricole des USA avec du maïs à haut rendement en éthanol, ça ne ferait que 12.5% de la consommation d'essence du pays," dit M. Smil. Ce genre de bénéfice, dit-il, peut être accompli facilement grâce à l'utilisation de véhicule plus économes mis sur le marché actuellement, sans provoquer de bouleversement dans le monde agricole. "A chaque fois que nous avons un problème de société, nous sommes si naïfs, si primitifs que lorsque nous avons une pénurie imminente, nous disons juste "on veut plus" au lieu de trouver des moyens pour consommer moins." Pas étonnant qu'un futur avec les biocarburants ait pu sembler si attirant à un moment donné.

Mais avec les gouvernements en Amérique du Nord qui ont investi si lourdement, changer de politique sur les biocarburants maintenant pourrait être douloureux. Washington et Ottawa ont profité de l'éthanol pour gagner des points auprès des lobbies fermiers, en détournant les règles de l'OMC qui interdisent les subventions (les deux pays appliquent des taxes sur éthanol d'importation). Mais le support politique vacille. Les associations de producteurs de bétail, de dinde, de volailles et de porcs, pressurés par les prix élevés, exigent l'abandon des subventions à l'éthanol. Le dernier rapport prospectif du Département de l'Agriculture américain suggère, pour la toute première fois, qu'il pourrait ne pas y avoir assez de nourriture pour l'élevage porcin du pays l'année prochaine, conduisant à des abattages forcés qui pourraient détériorer, de manière justifiée ou pas, l'image des biocarburants.

"Je pourrais croire que l'abattage de petits cochons va avoir un impact," dit M. Avery. "Mais c'est le cri de désespoir du Programme Alimentaire Mondial qui va finalement avoir un impact." Et à moins que les producteurs de biocarburants puissent surmonter le retour de manivelle, très bientôt, les électeurs urbains en Amérique du Nord vont s'apercevoir que les écologistes, les organes intergouvernementaux et les gouvernements étrangers vont quitter le terrain et que le seul groupe qui va rester pour les biocarburants sera l'industrie elle-même.

1.  miniTAX | 15/04/2008 @ 20:26 Répondre à ce commentaire

Ca y est, toutes les chaînes télé parlent ce soir de ce fiasco (et évidemment, le grand coupable, c’est toujours les ricains avec leur éthanol-maïs, par contre, les Européens avec leur biodiesel, on n’en parle pas trop).
Il faut agir qu’ils disent, les « sauveurs de la planète ». 👿

2.  scaletrans | 18/04/2008 @ 9:29 Répondre à ce commentaire

Toujours les mêmes réactions, prises dans l’urgence et l’hystérie. Voir à la fin du siècle dernier le choix politique du pot catalytique inhibant tout effort de recherche sur la carburation en mélange pauvre (charge stratifiée), et tant d’autres exemples de décisions prises par des politiques dépassés par la complexité scientifique et technologique moderne (et qui ne le serait pas…), et conseillés par des idéologues ou des affairistes. Ce qu’il faudrait aux hommes politiques ayant à prendre des décisions techniques sont des conseillers scientifiques épistémologues.

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