Effets de la vapeur d’eau sur le climat. (Dernière partie)

(Encore merci à Manu95 pour sa traduction !)

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Les expériences qui ont été réalisées par Roland Schermaul et le regretté Richard Learner à l'Imperial College de Londres en 2001 ont jeté un énorme doute sur les mesures antérieures du spectre d'absorption de l'eau. L'Agence spatiale européenne (ESA), qui craignait que l'incertitude sur les données de la vapeur d'eau empêche d'obtenir une information importante sur des molécules à l'état de traces dans l'atmosphère, a suscité cette étude. Schermaul et ses collaborateurs ont utilisé la “Molecular Spectroscopy Facility” du Rutherford Appleton Laboratory au Royaume-Uni pour étudier l'absorption de la lumière par la vapeur d'eau dans l'air à des longueurs d'onde qui varient du proche infrarouge à l'orange. Ils ont constaté que les fortes raies spectrales absorbaient nettement plus de lumière, entre 5% et 25%, que ce qu'avaient suggéré les mesures de laboratoire antérieures. Cette conclusion a reçu une confirmation partielle par un calcul avec le premier principe de mécanique quantique, qui peut être utilisé pour estimer la force des absorptions.

Figure 5
Figure 5
Dans une étude parallèle, Schermaul et ses collaborateurs ont aussi mesuré l'absorption de la lumière par la vapeur d'eau pure lors d'une tentative d'identifier bon nombre des plus faibles raies d'absorption dont la présence était prédite (voir figure 5).  Des études similaires ont été réalisées par Michel Carleer et ses collaborateurs de l'Université Libre de Bruxelles en Belgique en 2002, qui ont effectué des mesures à des longueurs d'onde plus courtes s'étendant jusque dans l'ultraviolet – où les raies d'absorption d'eau sont toutes faibles. Ces mesures ont été introduites dans des modèles atmosphériques par le groupe de Joanna Haigh à l'Imperial College afin de voir si elles expliquaient l'anomalie d'absorption. Quand la valeur des raies d'absorption forte de l'eau a été ajoutée dans le modèle, l'absorption de la lumière solaire incidente est passée à environ 8 W/m2.

L'augmentation a été de 3W/m2 de plus lorsque les paramètres des raies faibles mesurées par Schermaul et ses collègues ont été inclus. Ensemble, ces augmentations représentent environ la moitié de l'anomalie d'absorption. Malheureusement, la situation n'est pas aussi simple.

L'absorption accrue en raison des raies faibles de l'eau est généralement acceptée. En effet, d'autres augmentations sont à prévoir lorsque les nouvelles données des longueurs d'onde plus courtes de l'équipe Carleer seront également inclues dans les modèles. Toutefois, d'autres expériences, telles que celles effectuées par Linda Brown et ses collègues du Jet Propulsion Laboratory, à Pasadena en 2002, trouvent des augmentations significativement plus petites avec la force d'absorption des raies fortes. Cette question reste en suspens, bien que les calculs du spectre de vibration-rotation de l'eau pourraient clarifier cet aspect dans un avenir proche. Des calculs de mécanique quantique sont devenus indispensables pour l'interprétation des résultats d'expériences, en particulier pour attribuer les raies observées à une transition donnée entre deux niveaux d'énergie. Les calculs peuvent aussi fournir un ensemble complet de transitions possibles même pour les raies les plus faibles. Les 30 000 et quelque raies d'absorption de l'eau qui sont répertoriées dans la base de données HITRAN, par exemple, peuvent être complétées par environ un milliard de transitions de l'eau qui ont été calculées lors d'un essai qui tentait de modéliser la vapeur dans l'atmosphère des étoiles naines (voir Jones et al. ,bibliographie).

Les données spectroscopiques qui sont nécessaires pour modéliser l'absorption de grandes longueurs d'onde dans l'atmosphère sont généralement bien connues. Lorsque ces données sont introduites dans des modèles atmosphériques, l'eau se révèle être responsable d'environ 60% de l'effet de serre, tandis que le dioxyde de carbone tant honni compte pour seulement 26%. L'ozone compte pour 8%, et le méthane et l'oxyde nitreux, dont les concentrations atmosphériques ont augmenté du fait de l'activité humaine, contribuent pour 8% de plus.

Faut-il interdire le monoxyde de dihydrogène?

On ne devrait pas prétendre que les effets du dioxyde de carbone ne sont pas négligeables dans l'effet de serre. Alors que l'atmosphère a toujours contenu une quantité importante de vapeur d'eau, c'est l'augmentation apparente de dioxyde de carbone dans l'atmosphère depuis l'époque de l'industrialisation qui inquiète tant. Il s'avère que les teneurs habituelles de dioxyde de carbone sont suffisantes pour opacifier la plupart de ses bandes d'absorption (voir figure 3). Parce que les bandes d' absorption forte sont saturées, ajouter plus de dioxyde de carbone dans l'atmosphère augmente son absorption de façon logarithmique plutôt que linéaire, fait qui est reconnu par le Groupe d'experts intergouvernemental sur le changement climatique.

La concentration de vapeur d'eau dans l'atmosphère est fortement liée à la température, comme on peut le voir dans la figure 1. Il peut donc apparaître qu'un effet de serre accru, qui fait que l'atmosphère se réchauffe, conduirait également à plus de vapeur d'eau dans l'atmosphère. Cela aboutirait à un système de rétroaction positive qui amènerait la Terre à se réchauffer de plus en plus. Toutefois, comme c'est souvent le cas avec les processus atmosphériques, la situation n'est pas tout à fait aussi simple. La vapeur d'eau dans l'atmosphère peut changer de phase, ce qui conduit à plus de nuages et une plus grande couverture nuageuse signifie que plus de lumière du soleil est réfléchie directement hors de l'atmosphère. Des calculs grossiers suggèrent que les deux effets s'équilibrent à peu près, et que la vapeur d'eau ne génère pas de mécanisme de rétroaction forte dans le climat de la Terre.

Nous avons essayé de décrire certaines des questions non résolues concernant l'eau dans l'atmosphère. Mais il y en a d'autres. Par exemple, il est bien connu qu'à basse température des paires de molécules d'eau s'accolent pour former une molécule faiblement liée connue sous le nom de dimère. Les propriétés d'absorption du dimère d'eau aux longueurs d'ondes visibles seront différentes de celles d'une molécule d'eau unique, mais celles-ci doivent être caractérisées. De plus, il a jusqu'ici été impossible de déterminer la proportion de molécules d'eau de l'atmosphère qui sont présentes sous forme de dimères soit en laboratoire soit par mesures dans l'atmosphère. Et nous n'avons même pas osé discuter des nombreux problèmes de compréhension des nuages. Les nuages sont très variables dans leur composition, leur distribution et leur taille. Ils contiennent des aérosols et des mini gouttelettes de vapeur d'eau, qui ont des propriétés spectroscopiques qui sont encore plus incertaines que celles de la vapeur d'eau normale.

Un autre problème est qu'il existe peu de données qui nous renseignent sur la quantité de vapeur d'eau dans l'atmosphère au cours de l'histoire, ce qui rend difficile de déterminer les effets sur le climat de changements à long terme de la teneur en vapeur d'eau de l'atmosphère . Heureusement, le satellite environnemental ENVISAT de l'ESA est maintenant en mesure de fournir une couverture mondiale, et demesurer les signatures de la vapeur d'eau dans le visible et le proche infrarouge. En utilisant des techniques mathématiques complexes, les spectres d'absorption qui sont mesurés par des satellites comme ENVISAT peuvent être utilisés pour déterminer la colonne de vapeur d'eau, à condition qu'une spectroscopie précise de la vapeur d'eau soit disponible.

Une solution complète aux différents problèmes qui sont associés à l'absorption par l'eau ne peut être obtenue qu'en construisant un modèle théorique exact et complet du spectre de l'eau. Un pas important dans cette direction a été fait ces derniers mois par Oleg Polyansky et ses collègues de l'University College de Londres. Ils montrèrent qu'une combinaison de calculs avancés de mécanique quantique et d'informatique à haute performance peut être utilisée pour prédire les positions des spectres de l'eau avec une précision qui approche celle des expériences. Ces calculs incluent les effets de la relativité restreinte, de l'électrodynamique quantique et des mouvements couplés des électrons et des noyaux, qui étaient généralement négligés dans les études antérieures. L'équipe cherche actuellement à améliorer la précision de ces calculs, et à obtenir une précision similaire pour l'intensité des raies d'absorption. Il est clair que l'absorption du rayonnement par la vapeur d'eau détermine de nombreuses caractéristiques de notre atmosphère. Bien que nous n'essayons pas de provoquer un mouvement mondial visant à supprimer les émissions d'eau, il semble que le rôle de l'eau dans le climat ne reçoive pas l'attention générale qu'il mérite.

À propos des auteurs

Ahislleas Maurellis is in the Earth-Oriented Sciences Division of the SRON National Institute for Space Research, Sorbonnelaan 2, 3584 CA Utrecht, the Netherlands, e-mail anmaurellis@sron.nl .

Plus de publications : http://de.scientificcommons.org/a_maurellis

Jonathan Tennyson is head of the Atomic, Molecular, Optical and Positron Physics group at University College London, Gower Street, London WC1E 6BT, UK, e-mail j.tennyson@ucl.ac.uk

Plus de publications : http://en.scientificcommons.org/j_tennyson

Références bibliographiques.

P Bernath 2002 The spectroscopy of water vapour: experiment, theory and applications Chem. Phys. 4 1501-1509.

H Jones et al. 2002 Spectral analysis of water vapour in cool stars Mon. Not. R. Astron. Soc. 330 675-684.

J T Kiehl and K E Trenberth 1997 Earth's annual mean global energy budget Bull. Am. Meterol. Soc. 78 197-208.

G Marsh 2001 A Global Warming Primer National Center for Public Policy Research Policy Analysis Report No. 361.

O Polyansky et al. 2003 High-accuracy ab initio rotation-vibration transitions for water Science 299 539-542.

J Tennyson and O L Polyansky 1998 Water on the Sun: the Sun yields more secrets to spectroscopy Contemporary Phys. 39 283-294

Lien : HITRAN database: www.hitran.com

Publication initiale le 1er mai 2003 en anglais sur l'excellent site Physicsworld.

Document original en anglais sadSource)

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