De Le Verrier à Al Gore.

Faire du climat un objet de communication grâce aux images.

Au 19e siècle, les nouvelles élites urbaines pensent que la diffusion des idées est nécessaire à l’innovation industrielle. En cela elles perpétuent les idées des Encyclopédistes, voire de savants comme Arago qui avait ouvert aux journalistes les réunions de l’Académie des sciences. Des institutions scientifiques gratuites accessibles à tous se créent, comme le collège de France et les cours du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris (devenu Muséum National d’Histoire Naturelle). C’est une période faste de croissance pour la presse destinée aux nouveaux bourgeois où écrivent de plus en plus de journalistes « scientifiques ». Quant à la science météorologique, elle y trouve vite une place. Son but prévisionnel implique le contact avec les professionnels des transports en particulier, via les médias, dans un rapport permanent avec la société et l’opinion publique.

La cartographie occupe une place importante en météorologie et en climatologie. L’image cartographique permet une compréhension rapide. Elle représente l’espace et transcrit du ponctuel localisé en spatial à partir de choix qui dépendent du message à faire passer. L’idée en revient à Humboldt qui le premier a construit une carte d’isothermes afin de montrer les limites de croissance des espèces végétales. Dès 1863, Davy dresse des cartes avec des isobares et des flèches indiquant la direction du vent sur un fond Europe-Atlantique. Le souci de « voir venir les tempêtes » implique ce cadrage « synoptique » (qui donne une vue d’ensemble) et la représentation du temps réduite à la pression et à la direction du vent. Depuis septembre 1863, chaque jour est ainsi dessinée une carte synoptique.

Image4

Fig. 2 Carte synoptique du 26 décembre 1999.

à part les fronts qui ne seront dessinés qu’après la théorie de Bjerknes au début du 20e siècle, et la carte d’altitude (500 hPa), cette carte a peu changé. Elle utilise un langage universel (code international de transcription des observations) indépendant des langues ; en cela, c’est un modèle
d’universalité qui explique son succès. Mais la carte synoptique a un statut particulier : entre le passé et le futur, et en tant que support de réflexion mais aussi de preuve a posteriori. En effet, longtemps la prévision à vingt-quatre heures a été effectuée par les prévisionnistes vers midi alors que toutes les données n’étaient pas encore parvenues. À la première carte de prévision (appelée Bulletin Quotidien de Renseignement) s’ajoutait une seconde carte réajustée après coup (le Bulletin Quotidien d’Étude). Ces deux cartes journalières ont été publiées jusqu’au Météo Hebdo.

L’usage de la cartographie est si « banal » que le Giec publie par exemple en 2007 des cartes planétaires du climat du futur (en 2020-29 ou 2090-99) réduites à la température moyenne ramenée au niveau de la mer et exprimée en anomalie par rapport à l’actuel.

Image5

Fig. 3 Températures en 2029 et 2099 selon divers scénarios du GIEC.

Ces images à affect rétinien fort sont pourtant d’interprétation complexe. Les rapports présentent aussi des cartes d’anomalies de précipitation, à la fiabilité limitée car les résultats divergents selon les modèles en particulier entre les tropiques. Mais jamais aucune carte du champ de pression et des vents n’est montrée. Des indications chiffrées localisées sont beaucoup plus rares. Pour la première fois, en partenariat avec Météo France, Science et vie propose des températures, hiver après hiver, de 2050 à 2100. L’hiver 2094 sera le plus froid de la deuxième moitié de 21e siècle. Une telle précision laisse l’internaute pantois !

La carte est donc et surtout un moyen de communication vers le « grand public ». Des 1856 paraît dans le journal La Patrie un tableau des relevés météorologiques. Mais ils sont jugés austères par les lecteurs. Les premières cartes « prévisionnelles » de septembre 1863 sont envoyées à douze journaux parisiens et cinq en province ; pourtant ces derniers ne retiendront que le texte de prévision. C’est en 1876 que la première carte paraît dans Le Petit Journal.

Image6Plutôt que le nombre et les mots, la carte apparaît aux journalistes comme un moyen de donner à voir à tous, de permettre une narration, de construire le discours sur le temps prévu le lendemain. Tous les journaux s’y mettent alors et cela… jusqu’à nos jours. Mais, seul « l’observatoire », la météorologie nationale transmet la prévision aux journaux. Les prévisions sont restées longtemps gratuites, lorsqu’en 2004, Météo France décide de rendre payantes les prévisions à trois jours. La levée de boucliers largement relayée par la presse a conduit Météo France à retirer son projet ; d’ailleurs, depuis cette date, de nombreux services sont payants. Météo France réalise autour de vingt millions d’euros de recettes en diffusant ses données. Son monopole est en passe
de disparaître puisque certains quotidiens ont choisi d’autres fournisseurs (Le Monde) et que de nombreux sites Internet relaient une prévision gratuite (Met office, Allmet, chaines TV météo, etc.) et mettent en accès libre des banques de données (NOAA). Cette « affaire » a mis en lumière l’enjeu de l’accès aux gisements d’informations sur les territoires pour les particuliers et les professionnels.

Or, l’accès aux banques de données météorologiques avait déjà fait réagir les journalistes du quotidien Le Siècle en 1863. Mathieu de la Drôme avait fait appel à la presse parce que l’Académie des sciences ne voulait pas l’écouter sur ses méthodes de prévisions du temps et parce qu’il avait besoin de données supplémentaires pour affiner sa méthode. Mais, Le Verrier ne voulait pas lui fournir ses banques de mesures. Les journaux ont stigmatisé l’attitude des scientifiques… par la caricature faisant de la science, un mythe impénétrable. En même temps qu’il instrumentalise la presse, Mathieu est instrumentalisé par son éditeur Plon qui comprend rapidement
que ces histoires sur le climat peuvent faire vendre. Il obtient ainsi les droits d’exclusivité concernant la publication d’un almanach, qui sera vendu à 100 000 exemplaires ! Les méthodes commerciales n’ont guère
changé, puisque l’Express en publiant l’article intitulé « Les neiges du Kilimandjaro » (octobre 2006 relayé dans Le Monde), ne cherchait qu’à augmenter ses ventes. Les quotidiens, les hebdomadaires attirent le client avec des articles à titraille outrancière manipulant la peur. Vendre du climat enrichit toujours.

Image7La météorologie a pour objet la prévision du temps des jours suivants : le temps ordinaire mais aussi et surtout celui qui compromet le bon fonctionnement d’une société (la « perturbation »). Elle porte donc particulièrement son attention sur les situations « à risques ». Elle se polarise sur les tempêtes, les grosses averses, les orages, etc. : l’événementiel en quelque sorte. La querelle Vaillant-Le Verrier au 19e siècle met en lumière cette difficulté entre prévoir et/ou mettre en alerte (éventuellement inutilement puisque des dépressions se forment en permanence sur l’Atlantique alors qu’elles ne deviennent pas toutes menaçantes pour le territoire). La difficulté va perdurer longtemps. Après les deux tempêtes de décembre 1999, Météo France va créer la carte
de vigilance (pour les vents violents, les fortes précipitations, les orages, la neige et le verglas, les avalanches, la canicule) afin de répondre à ce besoin de clarification sur le « potentiel », tout en déresponsabilisant les services météorologiques face à l’imprévu (imprévisible ?). Les niveaux de fiabilité associés aux prévisions ont
le même objectif.

Cet angle d’attaque qui tient compte des enjeux explique pour partie qu’avec les nécessités de l’audimat télévisuel dans la décennie 1980, et donc l’utilisation de journalistes « vedettes » qui émaillaient leur narration d’histoires comme A. Gillot-Pétré (TF1, A2 et Libération) et de poésies comme M. Cardoze (TF1, TV Monte
Carlo), la présentation de « la pluie et du beau temps » se soit popularisée, voire « peoplelisée ». Sont devenus la règle dans les médias : l’emphase (Le thermostat de la Terre sur maximum, titrait Le Monde), l’anthropomorphisme (Rita moins méchante que Katrina, Le Monde à propos des cyclones des Caraïbes) et bien sûr le catastrophisme utilisé par les éditeurs (et les auteurs) de livres récents sur le réchauffement récent (Le climat est-il devenu fou ? Terre, fin de partie ?). L’aboutissement de cette logique est le climat-slogan (« New deal environnemental »), le climat-spectacle dans les salles obscures (cf. Le film Une vérité qui dérange de D. Guggenheim sur Al Gore, qui sera couronné par un Oscar à Hollywood en 2006).

Les racines de la conception actuelle du climat « global » et de son changement sont en germe dans la météorologie naissante lors de la Révolution industrielle en Europe. Les méthodes choisies alors ont imposé une hiérarchie des disciplines scientifiques, une spécialisation croissante du savoir. Elles ont opéré le glissement du réel vers le virtuel, des échelles fines vers la planète, de la science en train de se faire vers une communication reposant sur une modélisation simpliste.

Après les Trente glorieuses, et surtout depuis les années 1980, l’écho du discours sur le changement climatique tend à une remise en cause des idéaux du 19e siècle en ne considérant plus que leurs revers : le « tout croissance », la démocratie sans participation, les progrès seulement technologiques. Le climat, tout comme l’environnement en général, est devenu un point d’ancrage de nouvelles valeurs supposées universelles, le catalyseur d’un espoir de nouvelle civilisation plus juste et plus responsable, une nouvelle utopie en quelque sorte, où le discours scientifique prend parfois des accents évangéliques.

• • • • •

Docteure en géographie, spécialiste de climatologie, Martine Tabeaud est actuellement professeure à l’université Paris Panthéon Sorbonne. Elle est membre du Gdr Riclim. Elle a créé avec Martin de la Soudière en 2002 un réseau international sur la perception du climat. En 2007, elle a créé avec Xavier Browaeys un site de films documentaires de géographie accessibles sur Internet. Elle est auteure d’une dizaine d’ouvrages dont plusieurs manuels de climatologie chez Armand Colin et des livres sur l’environnement. Parmi eux, Ile-de-France, avis de tempête force 12 paru aux Publications de la Sorbonne en 2003, ainsi que Le changement en environnement à paraitre chez ce même éditeur en 2008.

• • • • •

En live ici (attention en plusieurs morceaux) : http://vimeo.com/14160176

A écouter sur france Culture : http://www.franceculture.com/emission-planete-terre-un-climat-ou-des-climats-2010-10-27.html

@@@@@@