« La voix du GIEC »

Suite de ce billet sur l’exposition « SOS-Planet » qui se tient à la gare de Liège.

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— Bonjour ! Benoît Rittaud, de Skyfall.fr. Vous connaissez Skyfall ?

— Heu… non, répond la réceptionniste.

— C’est un blog sur la question climatique, et pour lequel j’aimerais faire un petit compte-rendu de l’exposition. Seriez-vous disposée à répondre à quelques questions ?

— Heu… moi je n’y connais rien, mais attendez, je vous appelle quelqu’un.

Quelques instants plus tard, je suis assis en compagnie d’un responsable, voici le compte-rendu de notre échange courtois.

Comment a été organisé le volet scientifique de l’exposition ?

C’est Jean-Pascal Van Ypersele, qui est climatologue et vice-président du GIEC, qui a constitué le comité scientifique de l’exposition. Celle-ci a été préparée en collaboration avec l’université de Liège.

Combien de personnes ont déjà visité l’exposition ?

Depuis le début de l’exposition, en septembre dernier, nous avons accueilli plus de 182 000 personnes. Initialement prévue pour durer jusqu’à début mai, elle a été prolongée jusqu’au 3 juillet, puis devrait être prolongée encore jusqu’à janvier. Nous espérons atteindre les 200 000 visiteurs en tout.

Quels sont les publics qui viennent ?

Une grosse part des visites se fait en groupe. Ce n’est guère une exposition où les gens viennent seuls. Environ la moitié des visites est composée de groupes scolaires, à tous les niveaux d’études, y compris universitaires. Mais nous avons aussi des visites organisées par les entreprises, et même par des clubs sportifs. En passant : nous avons eu l’occasion de faire visiter l’exposition à un groupe d’une centaine de collaborateurs du GIEC.

Dans quel esprit arrivent les visiteurs ?

En général, les visiteurs sont un peu hésitants au début. En effet, le sujet de l’exposition est déjà beaucoup traité par ailleurs dans les médias – peut-être même trop -, si bien que les gens craignent un côté ressassé. Ils viennent aussi avec l’impression de déjà tout savoir sur la question.

Et à la fin de la visite ?

Ils sont beaucoup plus enthousiastes, notamment parce que avons fait quelque chose de très visuel, de très spectaculaire, où l’on en prend plein les yeux tout en incitant les gens à réfléchir. De plus, nous avons choisi d’éviter d’être moralisateurs, ou prescripteurs.

Sur ce dernier point, on lit tout de même sur votre dépliant qu’il est question d’« AGIR par de nouveaux comportements, de nouvelles technologies et des changements structurels »…

Il est clair que la situation est grave et qu’il faut agir. Mais il y a plusieurs pistes possibles, aussi bien économiques, technologiques que politiques, et les citoyens devront choisir la leur. Notre rôle est d’expliquer les enjeux et de présenter différentes options, pas de décider à la place des gens. Nous n’avons pas fait de prêt-à-penser.

La ligne scientifique de l’exposition accorde-t-elle de la place aux opinions dissidentes sur la question du climat ?

La préparation de l’exposition a commencé à l’époque où le GIEC a subi des critiques, et nous nous sommes posés la question de savoir ce qu’il fallait en faire. Finalement, il nous est apparu que le point de vue climatosceptique ne devait pas figurer dans l’exposition. Nous sommes donc la voix du GIEC. D’une part, il fallait bien choisir une ligne. D’autre part, les climatosceptiques ne sont pas raisonnables, eux qui ne se contentent pas de critiquer les projections sur l’avenir, mais d’aller jusqu’à mettre en cause ce que nous observons pourtant sous nos yeux. Sans compter que derrière les climatosceptiques, il y a des lobbys financiers.

Quelques précisions. La place de mon interlocuteur dans l’organigramme de l’exposition n’étant visiblement pas d’ordre scientifique, je n’ai pas cherché à le coincer sur ce plan. Comme j’étais un peu au bout du rouleau après une grosse semaine de colloque (et que « la voix du GIEC », je connais), je n’ai pas non plus tenté de me faire offrir une visite guidée.

Ce que je retiens de significatif est l’affirmation que l’exposition n’est pas moralisatrice, malgré le contenu du dépliant. C’est un phénomène fréquent : on nous montre des visions d’apocalypse, on exhorte à des actions de repentances pour gagner la rédemption… mais on considèrerait comme injurieux d’être catalogué comme alarmiste ou moraliste. « Responsabiliser et non culpabiliser » : tel semble être le slogan en forme de paravent qui trompe les initiateurs eux-mêmes. J’aimerais beaucoup en savoir plus sur les ressorts psychologiques qui permettent un écart aussi évident entre ce que l’on fait et le regard que l’on porte dessus.

PS : Dans le numéro de juin du magazine Books, se trouve le compte-rendu d’un entretien avec Richard Lindzen réalisé par votre serviteur. Voir ici.