« Kingsman » : vers un imaginaire climatosceptique ?

par Benoît Rittaud.

Depuis quelques jours, la blogosphère climatosceptique bruisse d’une joie nouvelle : le film Kingsman : Services secrets de Matthew Vaughn, sorti en salles il y a peu, ferait la part belle à ceux qui considèrent que l’alarmisme climatique n’a pas lieu d’être. Comme Hollywood n’a jusque là guère brillé par son esprit critique au sujet du climat (à l’image du célèbre Jour d’après de Roland Emmerich), un tel retournement serait, au choix, avant-coureur d’une évolution globale des mentalités, ou reflet d’une tendance existante de l’opinion. Dans un cas comme dans l’autre, ce serait une bonne nouvelle pour les climatosceptiques, tant le terrain de l’imaginaire est un champ de bataille important d’une controverse à qui décidément rien ne semble être étranger.

Kingsman

J’ai voulu me faire un avis sur la question et suis donc allé voir le film. Précisons d’emblée que je n’ai pas la fibre d’un critique de cinéma : ne comptez donc pas sur moi pour des commentaires savants sur les références à James Bond, le jeu des acteurs ou les effets spéciaux. Pour l’avis général du spectateur lambda que je suis, qu’il me suffise de dire que Kingsman est un film plutôt distrayant, efficace dans son déroulement malgré quelques longueurs et lourdeurs, et d’une violence dont l’intention humoristique ne fait pas toujours mouche. Je n’aurais probablement jamais pensé à aller le voir sans cet article de David Archibald (traduit en français ici) qui le présente comme favorable aux climatosceptiques, toutefois j’ai passé un moment sympathique et ne regrette pas d’y être allé.

Kingsman est-il climatosceptique ? Au sens strict, non. À aucun moment n’y est nié le fait que l’homme serait responsable d’un réchauffement changement dérèglement problème autour du climat. La question apparaît pourtant très vite : Richmond Valentine, le méchant milliardaire à combattre (Samuel Jackson), fait sienne la théorie, évidemment inspirée de James Lovelock (qui, depuis, a mis beaucoup d’eau dans son vin), selon laquelle le réchauffement climatique serait le strict équivalent d’une fièvre de notre planète. Celle-ci aurait la même fonction qu’une fièvre ordinaire : vaincre une infection. En l’occurrence, les micro-organismes destructeurs seraient les humains eux-mêmes. Le méchant Valentine se propose donc d’exterminer la majeure partie de l’humanité, arguant que c’est ce qui finira par se produire de toute façon.

Ce n’est sûrement pas un hasard si Valentine est diplômé du MIT. C’est en effet ce célèbre institut de recherche qui a abrité, entre autres, les recherches ayant abouti au fameux « rapport Meadows » lequel, dans les années 70, prophétisait la non-durabilité de notre modèle de civilisation et une inéluctable catastrophe globale vers le milieu du XXIè siècle. L’allusion est très brève, mais le scénariste savait à l’évidence très bien ce qu’il faisait.

Mettre dans la bouche d’un indéfendable méchant des propos pas si loin du discours de certains sur nous autres humains destructeurs de planète est assez nouveau dans le paysage du divertissement cinématographique. Il convient de mettre en balance cette nouveauté avec un passage du film qui s’en prend aux prêcheurs évangéliques qui nient la théorie de l’évolution et combattent le droit à l’avortement. Il est raisonnable de penser que cette autre critique, qui n’a aucun caractère nécessaire dans le déroulement du film, n’est là que pour limiter le risque d’être perçu comme un cheval de Troie du parti conservateur américain (notoirement climatosceptique, mais qui compte aussi dans ses rangs de nombreux créationnistes et de nombreux opposants à l’avortement). Les producteurs ont pris leurs précautions…

À mon sens, le miroir inversé du film n’est pas le Jour d’après, mais le roman Inferno de Dan Brown. Là, j’en entends qui rigolent… oui, j’ai lu Inferno. Mais je vous rassure : je n’ai pas aimé. (De toute façon, un auteur qui, dans le Da Vinci code, est capable d’enfiler les perles les plus éculées sur le nombre d’or ne peut décemment pas espérer de ma part quelque louange que ce soit. J’ai des principes.) Il est tout de même utile de lire Inferno pour comprendre comment un auteur de best sellers s’y prend pour utiliser une peur collective à des fins romanesques. Chez Brown, la peur est celle de la surpopulation mondiale et des cortèges de malheurs qui doivent en découler. La référence n’est cette fois pas Lovelock, mais Ehrlich et sa Bombe P. Dans Inferno, le méchant milliardaire (pléonasme, décidément) qui tente de régler le problème à sa façon n’est pas si méchant que ça. On sent bien que, pour Brown, la surpopulation est effectivement un grave problème à résoudre — et la façon de l’auteur de suggérer qu’une stérilisation aléatoire massive de l’humanité « ce serait pas bien mais quand même, hein, il faut reconnaître que » est parfaitement abjecte (raison pour laquelle je viens ici de le spoiler sans remord aucun). Il est d’ailleurs très étonnant qu’aucun des nombreux commentaires que j’ai lu de ce roman n’ait relevé ce procédé particulièrement hypocrite.

À cette aune, la neutralité de Kingsman sur le climat prend donc un certain relief. À mille lieues d’un réquisitoire contre la théorie du réchauffement climatique d’origine humaine, c’est par son silence sur la question qu’il s’oppose à un discours implicite ou explicite typique du carbocentrisme : la binarisation, qui veut que, en fait de climat, ceux qui ne sont pas pour le GIEC sont nécessairement contre lui. Le film nourrit un imaginaire hostile à l’intégrisme climatique sans se croire obligé d’en demander pardon d’une façon ou d’une autre. Nulle allusion au plateau de températures ou au Climategate, certes, mais nulle allégeance au carbocentrisme. C’est bien cette neutralité silencieuse qui fait de Kingsman un allié objectif des climatosceptiques.

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1.  Langlade | 5/03/2015 @ 15:07 Répondre à ce commentaire

Quand ce film t’il en France

2.  jeanl | 5/03/2015 @ 18:06 Répondre à ce commentaire

J’ai vu le film, un peu comme vous, par une sorte de militantisme assumé. Je n’ai pas grand chose à rajouter à votre description, y compris en ce qui concerne les quelques précautions politiquement correctes que se ménagent les scénaristes et producteurs. Je dirais que le fait d’assimiler d’une certaine manière le discours très deep ecology de Valentine avec le millénarisme des évangélistes forcenés n’est quand même vraiment pas un cadeau fait aux réchauffistes. Car si, comme vous le dites bien, cela sert à dédouaner les auteurs de l’accusation épouvantable d’être des odieux réacs (comme on dit plutôt dans ce pays) il est certain que le spectateur est très tenté de faire le rapprochement entre Valentine et le prêcheur fou de l’église, ce que ne peuvent ignorer les auteurs.
Pour la critique ciné, pareil que vous : distrayant, quelques bons mots bien sentis dits par de grands acteurs, mais assez brouillon. Sûr que le scénario n’a pas la solidité de State of Fear de Crichton.

3.  Nicias | 6/03/2015 @ 18:53 Répondre à ce commentaire

Je n'ai pas encore vu le film mais j'avais adoré Kick Ass du même Matthew Vaughn (un spécialiste de la perversion/parodie), donc j'irai.

Attention a ne pas surinterpréter. Dans Moonraker (1979), Lonsdale joue un méchant qui déjà veut anéantir l'humanité pour repartir à zéro et je crois que ce n'est pas le seul James Bond ou c'est le cas.

4.  Nicias | 6/03/2015 @ 19:08 Répondre à ce commentaire

Pour ceux qui ne l’ont pas vu, regardez Interstellar. Ce n’est pas un film climato-sceptique, même si le méchant s’appelle Mickael Mann, est scientifique et truque ses données pour faire passer un désert glacé pour un paradis.

Cela reste un film qui fait l’apologie du progrès et de la science face à une catastrophe parfaitement naturelle qui menace l’humanité. De la pure SF optimiste sortie tout droit de l’age d’or des années 40.

5.  Murps | 6/03/2015 @ 23:49 Répondre à ce commentaire

Nicias (#3), dans tous les James Bond il y a un méchant qui veut faire péter la planète ou équivalent.
Plus le méchant est méchant, et plus le film est réussi (dixit Hitchcock je crois)

6.  miniTAX | 7/03/2015 @ 0:35 Répondre à ce commentaire

Nicias (#4), Mike Mann, un scientifique qui truque ses données pour faire croire à un réchauffement qui n’existe pas, hmmm, ça me dit quelque chose, je me demande bien ce que c’est…
C’est trop de coïncidences pour être un hasard.

7.  jean l | 7/03/2015 @ 6:01 Répondre à ce commentaire

Nicias (#4),

Cela reste un film qui fait l’apologie du progrès et de la science face à une catastrophe parfaitement naturelle qui menace l’humanité. De la pure SF optimiste sortie tout droit de l’age d’or des années 40.

On n’a pas vu le même film, alors. Quel pensum ! Un bavardage scientifico-philosophique qui se prend au sérieux quasiment ininterrompu de 3h. En plus je déteste les gens qui manipulent le temps et qui vous font disparaître le cas échéant d’un claquement de doigt. Vraiment pas pour moi. Mais bon, comme on dit, il y a de belles images.

8.  jean l | 7/03/2015 @ 6:13 Répondre à ce commentaire

Tiens, puisqu’on parle ciné, je connais un autre film qui prend pour thème de base le réchauffement climatique et où le méchant n’est pas celui qu’on pourrait croire (type Valentine en moins caricatural) : The Thaw.
Un petit teaser pour les amateurs tiré de wiki :

Alors qu’ils rejoignent le Dr Kruipen, célèbre écologiste, à sa station de recherche située sur l’Île Banks, dans les Territoires du Nord-Ouest, afin d’étudier les conséquences du réchauffement climatique sur les ours polaires, la fille de celui-ci, 3 étudiants et leur pilote s’aperçoivent que le scientifique et son équipe ont fait une découverte effrayante.

Un petit film série B assez regardable et plutôt surprenant dans la « morale » finale.

9.  JG2433 | 7/03/2015 @ 12:24 Répondre à ce commentaire

Ce soir, sur la chaîne de la TNT « Chérie 25« , est diffusé « City on Fire« , un nanard (téléfilm de suspense) qui exploite le filon des
« bouleversements climatiques », « l’une des grandes craintes du XXIe siècle » (dixit la présentation). :mrgreen:

http://programme-tv.orange.fr/.....orangeTv=1

10.  douar | 9/03/2015 @ 8:51 Répondre à ce commentaire

Les scénaristes de Kingsman avaient forcément ça en tête.
Bien sûr, je ne spoile pas…

11.  JG2433 | 11/03/2015 @ 9:27 Répondre à ce commentaire

Il n’y a donc pas que le cinéma pour se mêler de réchauffement climatique !
Le théâtre y vient aussi !

cette pièce d’une heure met en scène les conséquences du changement climatique pour l’ours blanc.

http://www.sudouest.fr/2015/03.....5-1552.php

12.  scaletrans | 11/03/2015 @ 11:06 Répondre à ce commentaire

JG2433 (#11),

P….! c’est à se taper la tête contre les murs ! Tant de c….rie, on pensait pas que c’était possible.