L’histoire du climat est liée à des préoccupations actuelles, l’effet de serre, mais, dans cette conférence, Emmanuel Le Roy Ladurie, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, s’intéresse davantage au passé, un passé qui partirait des XIIe-XIIIe siècles et qui se prolongerait jusqu’à nos jours ; il tente d’ailleurs de le décrire dans son ouvrage intitulé « Histoire humaine et comparée du climat » [1] (voir ci-dessous) (paru aux Editions Fayard en 2004).
Texte intégral de sa communication :
L’histoire du climat est liée à des préoccupations actuelles, l’effet de serre, mais dans cette conférence d’aujourd’hui, je m’intéresse davantage au passé, un passé qui partirait des XIIe-XIIIe siècles et qui se prolongerait jusqu’à nos jours ; j’ai tenté de le décrire dans un ouvrage intitulé Histoire humaine et comparée du climat paru chez Fayard, que j’utilise également ici.
Une telle histoire devrait traiter du climat planétaire dans son ensemble, mais je ne suis pas un planétologue, et donc mon étude, ici, concerne surtout le nord de la France (car le climat méditerranéen est un peu différent). Par contre mon étude s’intéresse aussi à des zones tempérées un peu plus septentrionales de l’Europe, telle que la Belgique, le Benelux, l’Angleterre, l’Allemagne de l’Ouest, la Scandinavie ; mais pas la Russie, trop lointaine.
Pourquoi m’étais-je intéressé dès 1957 à l’histoire du climat ? À l’époque j’étais influencé par le marxisme et par une espèce de scientisme (j’ai évolué depuis, mais il m’en reste un petit quelque chose), du reste j’ai toujours regretté que les marxistes (sauf exception) ne considèrent pas le climat : en fait ils n’envisagent que les rapports sociaux et la production matérielle ; pourtant le climat, selon leur vocabulaire, est bien la base d’une « force de production ».
En France on a des dates de vendanges
depuis peu près 1370, jusqu’à nos jours,
c’est un instrument de mesure assez
commode, même si ces dates, bien sûr,
n’ont pas l’exactitude d’un thermomètre !
Et puis je m’étais intéressé aussi à ce qu’on appelle le petit âge glaciaire (PAG) au XVIIe siècle et la crise générale du XVIIe siècle. Y avait-il un rapport entre ce petit âge glaciaire, ce refroidissement sensible dans les glaciers des Alpes pas si éloignés d’ici, et une tendance générale à la crise économique au XVIIe siècle ? J’étais allé inspecter sur place l’évolution des glaciers alpin, à l’époque où j’étais plus sportif, tout en suivant ce qui avait été publié à leur propos (datations au carbone 14, etc.) ; je me suis également beaucoup intéressé à la croissance des arbres (les anneaux), à la dendrochronologie, même si personnellement je ne l’ai pas pratiquée, mais j’ai suivi les travaux effectués à ce sujet.
Dans mes recherches, les dates de vendanges ont elles aussi une grande importance : si vous avez une vendange précoce, cela veut dire que le printemps et l’été ont été chauds ; si les vendanges sont tardives, cela signifie que le printemps et l’été ont été plus frais. En France on a des dates de vendanges depuis à peu près 1370, jusqu’à nos jours, c’est un instrument de mesure assez commode, même si ces dates, bien sûr, n’ont pas l’exactitude d’un thermomètre !
Fernand Braudel, mon maître, dès 1949, avait signalé la poussée glaciaire des Alpes à la fin du XVIe siècle, et au XVIIe. Cette question a fait l’objet de nombreux travaux en Italie, en France et en Suisse. Aujourd’hui on connaît assez bien le petit âge glaciaire qui n’implique qu’une petite différence thermique de 1° C en moins (c’est faible) avec une expansion des glaciers depuis le début du XIVe siècle, beaucoup de fluctuations, des glaciers alpins plus gros (1 km de plus à peu près que maintenant, avec des variations) et leur débâcle à partir de 1860. Ce qui est un peu étrange c’est que les glaciers alpins reculent à partir de 1860 et que les températures paraît-il ne se réchauffent vraiment qu’après 1900 ; le recul tiendrait-il aussi à une baisse des précipitations (neigeuses). En tout cas par la suite après 1900, le réchauffement du XXe siècle a fortement contribué à faire reculer les glaciers alpins.
Avant la précédente poussée glaciaire alpine de longue durée, qui commence à peu près vers 1300-1303, on a un petit optimum médiéval, entre le VIIIe-IXe siècle et le XIIIe ; ensuite un petit âge glaciaire XIVe, XVe (on peut discuter) ; XVIe siècle un peu réchauffé, mais après 1560 une poussée glaciaire qui aboutit au maximum des glaciers des Alpes 1595-1645 ou 1655 ou 1660, mais on l’observe aussi en Scandinavie fin XVIIe siècle, avec diverses poussées ultérieures notamment autour de 1770, et puis un dernier grand maximum entre 1813 et 1859. Depuis cette date (1859-60), le recul des glaciers alpins, sinon mondiaux, est assez continu, voire catastrophique jusqu’en 2005, et sans doute au-delà. L’important est de noter qu’entre 1303 et 1859, les glaciers depuis ont toujours été plus gros qu’en 1880-2005. Tel est le PAG.
4 réponses à “Peut-on écrire l’histoire du climat ?”
Le suivi de la date des vendanges depuis le Moyen Age n’est sûrement pas un bon indicateur de l’évolution du climat.
En effet, pour tirer des conclusions, il faudrait pouvoir dire : »toutes choses étant égales par ailleurs ».
Or dans le domaine de la viticulture, c’est loin d’être le cas.
Déjà, on ne parle plus de la même plante. En effet, jusqu’à la crise du phylloxéra à la fin du XIXème siècle,nous avions des vignes « francs de pied », de l’espèce Vitis vinifera.Ces vignes poussaient plus ou moins librement, se reproduisant par marcottage…
Après la crise phylloxérique, depuis le début du XXème siècle, nous avons des plants greffés sur des plants américains de l’espèce Vitis riparia.
Donc, l’espèce n’est plus la même. De plus, la conduite de la vigne n’est plus la même non plus, on ne laisse plus la vigne courir, mais nous avons des plantations de pieds bien délimités, bien alignés.
Enfin, dernière révolution, depuis environ 30 ans, la limitation des rendements (égrappage, vendanges en vert) a conduit certainement à accélérer la maturation des raisins.
Conclusion : je pense que l’on ne peut tirer aucune conclusion de l’évolution de la date des vendanges depuis le Moyen Age
Je serais moins affirmatif que vous. Les modifications de méthodes et de cultivars que vous citez s’appliquent surtout ces 2 derniers siècles, avec le progrès technique et scientifique mais pas tant que ça dans l’ancien temps donc ne devraient pas invalider complètement les reconstitutions historiques.
Des études existent, telles que celle d’Isabelle Chuine et al, d’ailleurs très controversée. On peut contester certaines parties de la méthodologie ou l’intervalle de confiance de température mais pas tout rejeter en bloc.
Exemple de texte de l’Abbé Cochet sur la culture de la vigne en Normandie
Je suis bien d’accord avec vous, Demesure.
Du Moyen Age jusqu’au début du XXème siècle, on peut faire des comparaisons, puisqu’on est à conditions constantes (à peu de choses près)
En revanche, depuis le début du XXème siècle, et plus encore depuis la « révolution agricole » qui a suivi la deuxième guerre mondiale, il n’y a plus de comparaison possible.
Pierre,
Personne n’utilise plus la vigne pour mesurer la temperature au 20e siécle ! 😉
Et depuis 30 ans, on utilise même des satellite qui donnent non seulement la temperature en surface mais de la colonne d’air au dessus de nous. Sans doute pour ça qu’on s’hystérise pour quelque dixieme de degres.
Nos anciens eux accusaient les sorciéres de changement climatique. Nous, on accuse le CO2, les voiture, les voyages en avion… Chaque époque ses croyances.