Kyoto coule l’Europe: il est peu probable que l’Europe puisse continuer seule la réduction des émissions


Un drame politique se noue actuellement en Europe sur le futur de sa stratégie sur Kyoto. L'issue va modeler la politique climatique et les négociations internationales dans les années à venir.


Le protocole de Kyoto en Europe, entre objectifs de réduction et réalité des émissions, source EEA

Au cœur de la confrontation croissante se trouve le Schéma d'Echange d'Emission (SEE) et une inquiétude croissante sur son possible échec. La crise est centrée sur un conflit fondamental entre le réalisme économique et l'idéalisme écologique, entre l'intérêt national et l'idéologie verte. Elle a dévoilé la tension croissante entre l'enthousiasme vert de l'Europe et la prise de conscience qu'un programme d'action unilatéral conduit à un coût faramineux qui commence à éroder la stabilité économique d'un continent en déclin.
Le mécanisme d'échange de carbone est la stratégie principale de l'UE pour atteindre les objectifs de Kyoto de réduire les émissions de CO2 de 8% d'ici 2012. Le mécanisme a été lancé il y a 2 ans dans l'espoir qu'il va réaliser ce que 10 ans de réglementation n'a pas permis de faire : réduire de manière significative les émissions de CO2. Au lieu de cela, année après année, la majorité des pays de l'UE continue d'augmenter leurs émissions de gaz à effet de serre. Au lieu de prouver son efficacité, le système d'échange a augmenté encore plus le prix de l'électricité pendant que les entreprises à haute intensité en énergie sont poussées à fermer, à licencier ou à passer le coût aux consommateurs.

Tandis que les effets négatifs se font ressentir dans la réalité économique à travers l'Europe, des fissures profondes dans les fondations vertes commencent à devenir visibles. Gunter Verheugen, le commissaire européen à l'industrie, a averti que, "en y allant solo", l'Europe est en train d'entraver son industrie et ses consommateurs avec des coûts croissants qui pénalisent la compétitivité internationale de l'Europe. Au lieu d'améliorer les conditions environnementales, la politique européenne menace de rediriger les productions intensives en énergie vers d'autres endroits du monde où il n'est pas question de réduction obligatoire du carbone.

L'avertissement de Verheugen confirme ce que l'administration US a dit depuis des années. Il est destiné à souligner le défi permanent posé par les concurrents asiatiques tels que la Chine et l'Inde qui sont prêts à supplanter les économies en berne de l'Europe au cours des prochaines décennies. En effet, l'unilatéralisme imprudent de l'Europe n'est pas seulement une contrainte à ses échanges et à son industrie. Pire, il a conduit à un ralentissement notable des budgets européens de R&D, une tendance glissante qui est en train de pénaliser le développement des technologies faible-carbone.

Le dysfonctionnement de l'EES est en partie dû à une faille inhérente qui a permis aux états membres d'allouer plus de permis d'émission que les entreprises industrielles n'en ont besoin. Bien que les producteurs d'énergie européens reçoivent ces permis gratuitement, ils ont passé le prix aux industries et aux consommateurs. Résultat, le coût de l'énergie en Allemagne a augmenté de presque 6 milliards d'euros en 2005, une charge qui risque de doubler les prochaines années. Cette ruse stratégique a permis aux producteurs d'énergie de faire des milliards de bénéfices exceptionnels. Cependant, sans ce bonbon géant, Bruxelles n'aurait pas pu obtenir le soutien de l'industrie pour ce schéma risqué.

Ce marchandage douteux a fini en fiasco politique : l'année dernière, le mécanisme d'échange s'est pratiquement effondré suite à un crash du prix du carbone. Dans un effort désespéré pour tenter de sauver un système de plus en plus volatil, Bruxelles a taillé de 7% dans les Plans Nationaux d'Allocation soumis par les états membres pour la seconde phase (2008-2012).

La décision a été accueillie avec agacement et carrément de la colère dans de nombreuses capitales européennes tandis que les conséquences négatives deviennent visibles. Le Ministre allemand de l'Economie a qualifié ces réductions de "totalement inacceptable" et Berlin a menacé de porter l'affaire en justice.

En ce qui concerne le futur immédiat, une chose est claire : après des années de promesses exagérées que le protocole de Kyoto n'allait pas bouleverser leur économie, les gouvernements européens commencent à réaliser que l'époque des gesticulations gratuites sur le climat est terminée. A la place, l'inquiétude grandit au sujet des industries voire des pays entiers qui vont devoir payer le prix désastreux pour la marotte de l'Europe pour Kyoto.

Les enjeux sont particulièrement élevés pour l'Allemagne. Malgré son rôle habituel de locomotive environnementale, elle a été la plus durement touchée. Les bureaucrates de Bruxelles ont réduit de plus de 30 millions de tonnes de ses permis annuels de carbone. Elle risque jusqu'à 37,5 milliards d'euros en amende si elle ne peut pas réduire les émissions d'ici 2008.

L'Allemagne est extrêmement vulnérable aux limitations en énergie. Elle est fortement opposée aux plans de remplacement de ses centrales au charbon par des centrales à gaz car une telle action aurait seulement aggravé sa dépendance déjà forte vis à vis des importations de gaz russe. De plus, les gouvernements successifs se sont mis d'accord pour fermer les centrales nucléaires qui comptent pour 1/3 de l'électricité allemande. La victoire antinucléaire des Verts a transformé un triomphe idéologique en cauchemar énergétique.

Pour empirer les choses, les chefs d'entreprise de l'industrie allemande ont averti qu'ils ne procéderaient pas à des investissements de plusieurs milliards destinés à l'énergie si jamais le gouvernement perd son combat contre la Commission Européenne qui cherche à réduire les crédits d'émission. L'UE a signifié clairement qu'elle ne céderait pas aux exigences de l'Allemagne car cela déstabiliserait le mécanisme d'échange déjà fragile. Cependant, si les entreprises allemandes devaient acheter des crédits carbone à des prix plus élevés, cela va tout simplement supprimer les fonds et les incitations économiques que le gouvernement espérait voir investis dans les technologies alternatives.

Comme le prix de l'électricité, des biens et services continuent à augmenter et que les concurrents asiatiques rattrapent l'économie léthargique de l'Europe, le public commence à se poser des questions sur la politique climatique unilatérale de Bruxelles. D'après un récent sondage de l'UE, plus de 60% des Européens ne sont pas prêts à sacrifier leur niveau de vie au nom des causes écologiques. Tant que les promoteurs de Kyoto pouvaient s'en tirer avec des promesses que leur politique n'allait pas infliger des coûts significatifs, nombreux étaient ceux tentés de croire aux promesses improbables. Maintenant que le vrai coût de Kyoto commence à faire mal aux poches des européens, le consensus initial tombe en pièce.

Malgré son isolation croissante, l'Europe tente frénétiquement de sauver le capital politique qu'il a investi dans le processus de Kyoto. La Chine et l'Inde ont refusé de manière consistante de participer aux mécanismes d'échange globaux. Il est improbable que leurs économies en plein boom et la demande croissante de leurs consommateurs vont aller avec des restrictions d'énergie. Juste l'idée d'allouer des crédits carbone à plus de 2 milliards de consommateurs potentiels de la classe moyenne est étourdissante.

Lors des dernières semaines, même les Démocrates américains ont prudemment commencé à réduire les attentes. Ils concèdent maintenant que même sous une administration Démocrate, les Etats-Unis ne sont susceptibles de joindre aucun programme climatique international qui n'inclueraient pas les superpuissances menaçantes asiatiques et qui entraverait son économie avec des obligations unilatérales.

Les réalistes de la politique ont digéré ces développements difficiles. Il y a des signes qu'ils sont en train de préparer le public à une ultime sortie de l'UE des traités du type Kyoto. Hans Joachim Schellnhuber, le conseiller en matière climatique de la Chancelière Angela Merkel durant la présidence de l'Allemagne de l'UE et du G8 a suggéré que les pays du G8 aussi bien que la Chine et l'Inde adoptent leur propre politique climatique nationale, un programme peu contraignant qui remplacerait le malheureux traité de Kyoto après sa fin en 2012.

Quelles sont les chances pour que la politique du climat de l'Europe survive ? Les perspectives sont sombres. Cela reste peu clair cependant si la déroute de Kyoto et la faille de son schéma d'échange d'émissions allaient dissuader d'autres de se brûler les doigts.

Par Benny Peiser, chercheur à l'université de Liverpool John Moores en GB et éditeur de CCNet.
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6 réponses à “Kyoto coule l’Europe: il est peu probable que l’Europe puisse continuer seule la réduction des émissions”

  1. Ca m etonnerait qu’il n’y est pas quelque chose apres kyoto.
    Les democrates americains ont gagne, Bush est out et l’amerique va reduire aussi ses emissions. C est la seule façon pour eviter un rechauffement catastrophique.

  2. L’issue la plus probable est que l’UE ne remplisse pas ses promesses de Kyoto d’ici 2012 et que les américains finissent par laisser tomber les restrictions d’émission unilatérales aussi.
    De toute façon, même avec les Démocrates, les restrictions ne sont qu’à l’état de projet, le maintien et l’amélioration du niveau de vie étant pour l’Amérique non négociable.

  3. Benny Peiser semble avoir raison au delà de ses attentes. La bourse du carbone mise en place par l'UE s'est effondré. Le prix de la tonne de CO2 est passé de 30$ il y a 8 mois à moins de 1$ aujourd'hui malgré les dernières mesures de réduction de quotas industriels annoncées par la Commission. A un prix aussi bas, il y a peu de chance que les objectifs de réduction des émissions (but premier de la bourse) soient atteints. 😥

    Source (voir aussi lien donné sur la colonne de gauche du blog).

  4. A un prix aussi bas, il y a peu de chance que les objectifs de réduction des émissions (but premier de la bourse) soient atteints.

    #3 desolé mais pouvez-vous expliqué svp, ce n’est pas très clair.

  5. #4, L’objectif de Kyoto est de réduire les émissions. Les entreprises qui émettent trop par rapport aux quotas fixés sont obligés soit d’investir dans des technologies économes en carbone, soit de les compenser par exemple en replantant des arbres ou en investissant dans le solaire, soit d’acheter des équivalents-tonnes de carbone à la bourse.

    Si ce prix est divisé par 50 par rapport au prix voulu par le législateur, la dernière solution sera préférée par les entreprises d’où l’échec actuel de Kyoto dont on a « fêté » le 2e anniversaire il y a tout juste quelques jours (16 février dernier).

  6. Un article dans la presse d'aujoud'hui sur l'après Kyoto. Il est regrettable qu'on n'y fait nulle part mention de l'échec du protocole actuel.

    Source: Le Monde du 20 février 2007

    Les ministres de l'environnement européens se sont engagés, mardi 20
    février à Bruxelles, à réduire les émissions de gaz à effet de serre de
    l'Union Européenne (UE) "d'au moins 20 %" d'ici à 2020 par
    rapport au niveau de 1990, et de 30 % en cas d'accord international, a
    annoncé la Commission européenne. Le texte adopté par les vingt-sept
    ministres devrait être validé par les chefs d'Etat et gouvernement
    européen lors de leur prochain sommet les 8 et 9 mars. La Commission
    européenne va proposer une liste de critères afin de définir la
    répartition par pays de cette réduction globale.

    "L'Union européenne doit s'engager fermement et respecter ses
    engagements"
    , assure-t-on à la Mission interministérielle de l'effet de serre (MIES) où l'on précise qu'"il faut
    prouver que les politiques existent, sont efficaces et
    rentables"
    . Un certain nombre de pays de l'UE
    établissent des "rapports progrès démontrables" dont l'objectif est
    d'inciter l'ensemble des pays à réduire leurs émissions. "La décision d'aujourd'hui confirme que l'UE est prête à remplir ses engagements internationaux", s'est félicitée l'organisation écologiste WWF."Mais
    (…) l'UE doit mettre en place immédiatement des mesures concrètes pour atteindre ces
    objectifs"
    , a-t-elle ajouté." Une taxe mondiale sur le carbone"
    suggère, par exemple, Pierre Roussel, chef de service de l'inspection
    générale de l'environnement au ministère de l'écologie et du
    développement durable français.

    PRÉPARER L'APRÈS 2012

    L'enjeu des négociations à venir est d'assurer la survie du
    protocole de Kyoto après 2012, en y associant les Etats-Unis, qui n'ont pas
    ratifié le texte même s'ils représentent à eux seuls un quart des
    émissions de CO2, mais aussi des pays comme la Chine et l'Inde, dont
    les émissions cumulées dépasseraient celles des Etats-Unis en 2015. Les
    négociations sur ce nouvel accord post-2012 devraient démarrer lors de
    la prochaine conférence de l'ONU sur le climat, en décembre à Bali, et
    être achevées en 2009.

    La France devait maintenir ses émissions.
    Elle s'est cependant engagée, par un texte règlementaire, en juillet
    2006, à diviser par quatre d'ici à 2050 ses émissions, toujours par
    rapport à 1990. Selon la MIES, les émissions de gaz à effet de serre en
    2005 ont diminué de 1,8 % depuis 1990. Pour Pierre Roussel "c'est
    grâce en partie à l'énergie nucléaire mais tous les secteurs d'activité
    doivent faire des efforts, le transport et la construction particulièrement".