Peut-on écrire l’histoire du climat ?

J’en viens maintenant au XVIIe siècle, marqué en ses débuts, par un froid intense : les glaces marines se rapprochent des côtes d’Islande, les glaciers alpins atteignent leur maximum historique vers 1600-1610, à tel point qu’en juin 1644, Charles de Sales, coadjuteur de Genève et neveu de saint François, vient à Chamonix conduire une procession de quelque 300 personnes pour bénir solennellement « au lieudit les Bois sur le village duquel est imminent et menassant de ruyne totale un grand et épouvantable glacier poussé du hault de la montagne » ainsi que trois autres glaciers des alentours qui menacent différents hameaux. Par chance, la bénédiction épiscopale est efficace et fait reculer cette menace !

Même tableau en Suisse ; le glacier d’Aletsch, qui progressait depuis de nombreuses années, atteint une hauteur extraordinaire, 1653 ; on fait donc appel aux Jésuites qui viennent faire prédication, procession, bénédiction en septembre 1653 pour stopper, saint Ignace aidant, les velléités de progression du monstre. Tout au long du XVIIe siècle, les glaciers alpins restent assez constamment gros, mais ces redoutables pachydermes cessent de s’étendre plus en aval.

La période 1560-1600, dans son ensemble, était marquée par un « plongeon » thermique aux quatre saisons et, le cas échéant, par un excès de pluies, en comparaison du beau XVIe siècle qui avait précédé (1500-1559) ; le XVIIe siècle, moins agressif conserve encore des caractéristiques froides très bien marquées même si certains étés (1616, dominé par une énorme vogue de chaleur, 1636, 1666, 1684) sont déjà sensiblement plus réchauffés. Mais de 1601 à 1675, par exemple, 70 % des hivers néerlandais sont pluvieux et/ou neigeux et le premier quart du siècle relève encore du petit âge glaciaire avec des hauts et des bas, voire jusqu’en 1643 ou 1650-1660.

La période 1560-1600,
dans son ensemble, était
marquée par un « plongeon »
thermique aux quatre saisons

Dans l’ensemble, les deux premières décennies furent quand même plutôt favorables pour le bon peuple (la poule au pot d’Henri IV !) ce qui est dû à la paix, mais aussi à l’absence de gros désastres climatiques et à l’occurrence d’une bonne quinzaine d’années de relative abondance des grains. Cependant 1621 marque un changement : printemps frais, surtout en avril ; été 21particulièrement frais, vendanges très tardives, l’hiver 1621-22 commence dès la mi-décembre et dure deux mois, l’année 1622 est redoutable : grande famine en Angleterre, prix maxima du blé en France ; mortalité parisienne en ascension libre. La disette britannique de 1622-23 se fait ressentir jusqu’aux Pays-Bas et en Lorraine, compliquée par les premières difficultés liées à la guerre de Trente Ans. À cette décennie fraîche succèdent des années particulièrement pluvieuses et humides, donnant de mauvaises récoltes : pour l’ensemble des années 1620-30, le mouvement de hausse des prix du grain est net, avec des raisons militaires, démographiques et météorologiques ; la peste corrélative – pas toujours – de la disette fait rage dans l’Ouest de la France, et elle ravage les peuplements ; les pauvres gens se réunissent en assemblées revendicatives, la municipalité d’Agen, ville environnée alors de vraie famine, emprunte pour trouver l’argent nécessaire à acheter du grain ; la disette sévit aussi en Bretagne, et dans le Nord de la France : la pointe de mortalité de 1631 est l’une des plus fortes connues. En 1636 aussi, violente éruption du nombre des morts, la situation frumentaire est pourtant excellente et les étés paradoxalement sont radieux, trop radieux sans doute, trop calorifiques : belles moissons, vendanges précoces ; mais le niveau d’eau des rivières et des nappes phréatiques ont trop baissé, elles sont donc polluées, sales, d’où une dysenterie catastrophique.

Les années qui précèdent la Fronde (1640-43) et la première Fronde elle-même (1648-50) sont marquées par un net rafraîchissement du climat dans la moitié nord du royaume, avec de médiocres moissons, des difficultés frumentaires, des émeutes de subsistance dans le sud-ouest (1640-43) ; la situation devient carrément catastrophique dans le Rouergue : les habitants sont « à la faim », mangeant du pain seulement deux à trois fois la semaine, on abandonne les terres, les familles sont décimées.

C’est dans ce contexte de hausse du prix des blés qu’éclate la Fronde : hiver 1648-49 froid (inondation, pluie, gel, neiges en France et dans le nord de l’Europe), été 1649 dépressionnaire et pourri, siège de Paris (non-météo !) de janvier à mars-avril, la situation prend une allure catastrophique ; en 1652 horrible printemps (guerre) : à l’échelle nationale, on compte entre 400 000 et 500 000 morts. Fait remarquable : la même période voit six révolutions contemporaines lors des années 1640-1659, en Catalogne, au Portugal, à Naples, en France et en Angleterre, avec des troubles aux Pays-Bas ; les deux séries – politique et climatique – sont indépendantes l’une de l’autre mais elles entretiennent des contacts : il y a bien une composante météo-traumatique, froide, humide, météo déficitaire en blé, réelle, sinon décisive par rapport à la politique, les quatre années de Fronde le montrent. La hausse des prix du blé engendrée par le mauvais climat pluvieux et les mauvaises récoltes en synchronisme avec la Fronde, attise un mécontentement populaire dont les origines, elles, sont bien entendu politiques, non pas climatiques.

il y a bien une composante
météo-traumatique, froide,
humide, météo déficitaire en
blé, réelle, sinon décisive
par rapport à la politique,

Autre fait notable : la période 1645-1715 (le règne de Louis XIV) est parfois spécialement fraîche, avec un déficit prolongé en taches solaires (ce que l’on appelle le minimum de Maunder), c’est le moment où l’astronomie est installée par le pouvoir royal (création de l’Observatoire de Paris) donc on peut se fier aux observations qui étaient faites à l’époque quant à ce déficit des taches solaires (Cassini). Le soleil est ainsi sujet à des fluctuations d’activité qui retentissent sans doute sur le climat. En tout cas, la phase dite de Maunder est, semble-t-il, contemporaine par moments (les 1690’s) d’un refroidissement hivernal et parfois estival des températures dans lequel les variations solaires ont pu joué un rôle : adieu parfois les beaux étés, chauds, secs, propices aux moissons ; on a des temps de famine lors de la seconde moitié du règne de Louis XIV en France, mais aussi en Écosse et dans les pays nordiques ; adieu les semailles automnales faciles : elles deviennent de temps à autre difficultueuses (1692) en des labours détrempés, collants, boueux. Cela contraste avec les années 1635-38 jadis marquées par des printemps-étés généralement chauds et doux avec une relative pléthore frumentaire. Dès 1658 les choses se gâtent, inondations catastrophiques ; 1661, pluviosité continuelle, très dangereuse pour les céréales, un désastre sans nom. La mortalité maximale sévit pendant les deux derniers trimestres de 1661 et les deux premiers de 1662 : famine, raréfaction des mariages qui réduit les conceptions et les naissances, la France subit un demi-million de décès supplémentaires (soit un million et demi de morts à l’échelle des 60 millions d’habitants de 2005 !). C’est toutefois moins que plus tard en 1693-94 et 1709-10. Ce qui n’empêche pas le roi Louis XIV de conduire le grand ballet du carrousel, d’un faste inouï, en juin 1662, au moment du maximum du prix du blé tout en menant pour la première fois une vaste et judicieuse politique sociale d’importation du blé !

1675, encore un été pourri dû à une vaste dépression arrimée sur l’Angleterre dès le mois de juin. Madame de Sévigné grelotte à Paris, comme sa fille en Provence : « Il fait un froid horrible, nous nous chauffons et vous aussi, ce qui est une bien plus grande merveille. » Il est possible que cette saison estivale « plombée » soit due, au moins en partie, aux poussières répandues autour de la planète par les éruptions volcaniques de Gamkonora en Indonésie (1673) + Cassini. En revanche, la décennie 1680 est remarquablement chaude et sèche, au moins pour les étés, en Languedoc ; c’est le moment où Louis XIV, favorisé par le soleil et les bonnes récoltes, et les bas prix (pour payer ses soldats et les employés de Versailles) a tout pouvoir pour développer les grandes idées du règne (paix de Ratisbonne, 1684) et surtout, hélas, Révocation de l’édit de Nantes (1685).

en Finlande ce fut très
grave, un tiers de la
population est morte de
faim et de maladies en 1696-97

Mais dès 1687 commence une décennie allongée (1687-1703 ?) qui sera la plus froide jusqu’à nos jours et fertile… en catastrophes alimentaires. 1691-91 : hiver froid, très neigeux, ce qui, en soi, n’est pas grave ; printemps 92, début de l’été : frais et pluvieux avec des abats d’eau considérables, moisson à demi-manquée, vendanges ultra-tardives ; à l’automne les semailles sont complètement ratées, et l’on a une grande famine en 1693 ce qui donne en deux ou trois ans, 1 300 000 morts supplémentaires, c’est l’occurrence d’une disette géante compliquée par la guerre de la Ligue d’Augsbourg et par des impôts très lourds. 1 300 000 morts en plus, cela ferait aujourd’hui presque 4 000 000 de décès en proportion. Les peuples ressentent durement cette forte mortalité. Les années 1690-99 sont fort dures à passer. Ce sont parmi les années les plus froides que l’on ait connues en Europe, avec beaucoup de pluviosité, des flux dépressionnaires venus de l’Atlantique incessants en France mais aussi en Finlande et Suède en particulier 1696-1697 ; en Écosse aussi ce fut très rude, l’Angleterre déjà modernisée s’en est assez bien sortie, mais l’Écosse a une agriculture plus primitive, plus vulnérable, que le royaume anglais, c’est donc la dernière famine écossaise de l’âge moderne ; en Finlande ce fut très grave, un tiers de la population est morte de faim et de maladies en 1696-97, épisode démographiquement presque comparable à la peste noire de 1348.

Donc, une dizaine d’années, les 1690’s, avec une succession quasi permanente d’hivers très froids et d’étés pourris. Ce qui ne veut pas dire qu’intervient une famine chaque année, mais cela signifie que des fenêtres d’opportunité s’ouvrent le cas échéant pour donner libre cours à telle ou telle famine, il y en a ainsi d’assez fréquentes en cette période : 1693 en France, 1696-97 en Finlande, en Suède, en Écosse.

On signalera encore, en un style analogue, mais avec un contexte météo un peu différent l’hiver de 1709. C’est l’hiver le plus froid qu’on ait connu en Europe depuis 1500, depuis cinq siècles, humainement un peu moins rude que 1693 (600 000 morts seulement, dans la foulée, en 1709-1710) ; d’une part des gens sont morts de froid en janvier-février, mais surtout les semailles sont tuées si je puis dire dans l’œuf. D’où famine en 1709-1710, même si l’on a re-semé de l’orge au printemps 1709, ce qui permet malgré tout à la majorité des gens de survivre. Il y a néanmoins 600 000 décès supplémentaires en France suite à cet hiver de 1709, ce qui ferait aujourd’hui 1 800 000 morts, c’est-à-dire en un an et demi plus que la guerre de 1914-18 en quatre ans.

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1.  Pierre | 2/02/2007 @ 9:37 Répondre à ce commentaire

Le suivi de la date des vendanges depuis le Moyen Age n’est sûrement pas un bon indicateur de l’évolution du climat.
En effet, pour tirer des conclusions, il faudrait pouvoir dire : »toutes choses étant égales par ailleurs ».
Or dans le domaine de la viticulture, c’est loin d’être le cas.
Déjà, on ne parle plus de la même plante. En effet, jusqu’à la crise du phylloxéra à la fin du XIXème siècle,nous avions des vignes « francs de pied », de l’espèce Vitis vinifera.Ces vignes poussaient plus ou moins librement, se reproduisant par marcottage…
Après la crise phylloxérique, depuis le début du XXème siècle, nous avons des plants greffés sur des plants américains de l’espèce Vitis riparia.
Donc, l’espèce n’est plus la même. De plus, la conduite de la vigne n’est plus la même non plus, on ne laisse plus la vigne courir, mais nous avons des plantations de pieds bien délimités, bien alignés.
Enfin, dernière révolution, depuis environ 30 ans, la limitation des rendements (égrappage, vendanges en vert) a conduit certainement à accélérer la maturation des raisins.
Conclusion : je pense que l’on ne peut tirer aucune conclusion de l’évolution de la date des vendanges depuis le Moyen Age

2.  Demesure | 2/02/2007 @ 10:45 Répondre à ce commentaire

Conclusion : je pense que l’on ne peut tirer aucune conclusion de l’évolution de la date des vendanges depuis le Moyen Age

Je serais moins affirmatif que vous. Les modifications de méthodes et de cultivars que vous citez s’appliquent surtout ces 2 derniers siècles, avec le progrès technique et scientifique mais pas tant que ça dans l’ancien temps donc ne devraient pas invalider complètement les reconstitutions historiques.

Des études existent, telles que celle d’Isabelle Chuine et al, d’ailleurs très controversée. On peut contester certaines parties de la méthodologie ou l’intervalle de confiance de température mais pas tout rejeter en bloc.
Exemple de texte de l’Abbé Cochet sur la culture de la vigne en Normandie

Qu’il y ait eu autrefois des vignobles en Normandie, que cette province ait fourni à la consommation et au commerce des vins abondans, que ses côteaux, aujourd’hui ombragés de pommiers, aient été autrefois couverts de vignes, ce sont là des faits dont il n’est pas permis de douter.

3.  Pierre | 2/02/2007 @ 13:40 Répondre à ce commentaire

Je suis bien d’accord avec vous, Demesure.
Du Moyen Age jusqu’au début du XXème siècle, on peut faire des comparaisons, puisqu’on est à conditions constantes (à peu de choses près)
En revanche, depuis le début du XXème siècle, et plus encore depuis la « révolution agricole » qui a suivi la deuxième guerre mondiale, il n’y a plus de comparaison possible.

4.  Rincewind | 2/02/2007 @ 15:23 Répondre à ce commentaire

Pierre,
Personne n’utilise plus la vigne pour mesurer la temperature au 20e siécle ! 😉
Et depuis 30 ans, on utilise même des satellite qui donnent non seulement la temperature en surface mais de la colonne d’air au dessus de nous. Sans doute pour ça qu’on s’hystérise pour quelque dixieme de degres.
Nos anciens eux accusaient les sorciéres de changement climatique. Nous, on accuse le CO2, les voiture, les voyages en avion… Chaque époque ses croyances.

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