Peut-on écrire l’histoire du climat ?
Sous l’Empire, la police est bien organisée, grâce à Fouché (qui s’était fait la main sur les malheureux Lyonnais, comme vous le savez, avec ses mitraillades, jadis, dès 1793). Donc au temps de Napoléon il y a quelques problèmes, un hiver très rude en 1802, à la 1481, à la 1565, et doté d’une crise de subsistance ; puis 1811, un été très chaud, le fameux vin de la comète (une comète qui n’y était pour rien), un vin délicieux mais une crise alimentaire ou anti-alimentaire due à l’échaudage et à une mauvaise récolte de blé ; donc des émeutes, mais faites confiance à Fouché ou à ses successeurs, la police, je le répète, est efficace.
Le mont Tambora haut jusqu’alors
de 4 300 mètres, un petit Mont Blanc,
ne comptait plus que 2 850 mètres
après l’explosion.
en France on aurait
perdu 2° C en l’été 1816
Les poussières volcaniques amenées par les vents d’ouest ont assombri la France et l’Angleterre qui en ont souffert, mais en Russie, les poussières sont à peine parvenues, retombées qu’elles étaient sur l’Europe de l’Ouest ou du Centre, la récolte russe a été bonne et les Français ont pu ainsi bénéficier du blé de Russie, lequel revient de la sorte importé dans l’Hexagone via Marseille. En Espagne, les olives, les agrumes sont durement éprouvées en 1816. Je vous signale incidemment le fameux grand hiver de 1956 dont beaucoup de gens se souviennent, mais aussi avec le désastre ibérique de la récolte d’agrumes et d’olives et c’est le moment, la raison aussi pour laquelle Franco de ce fait modifie sa politique économique en direction (réussie) du libéralisme.
Glacier des Blossons. Positions des fronts glaciaires sur 4 siècles.
Photo prise et annotée par le glaciologue Joseph Valot
(le front de 2000 est indiqué par le glaciologue Robert Vivian)
1816, l’année sans été ; c’est là que Mary Shelley (elle devait avoir 19 ans à l’époque) enfermée avec Byron et Shelley, excusez du peu, dans un chalet au bord du lac Leman (chalet sur lequel il pleuvait constamment pendant ce fatal été), Mary, donc, accouche du monstre le plus extraordinaire qui soit jamais sorti de l’imagination d’une jeune femme, Frankenstein.
Tant et si bien que la reprise économique post-napoléonienne ne commence vraiment, post effet Tambora, qu’à partir de 1817 et surtout 1818. Glissons ici, faute de temps, sur les années 1818-1844, Restauration et Monarchie de juillet pour l’essentiel. Et notons en 1845 et 1846 la complexité toujours, la double prise en tenaille de l’économie ouest-européenne 1845-1846. 1845 : hiver froid- été pourri comme en 1481 ou 1740, d’où famine de la pomme de terre en Irlande ; et pour le coup plus d’un million de morts irlandais, avec la connexe maladie des pommes de terre ; puis vient en sens inverse le printemps-été très sec et très chaud de 1846, c’est l’un des douze étés parmi les plus chauds des 500 dernières années avec de la sorte une attaque sur deux fronts, 1845 puis 1846 ; réfrigérateur, puis douche (45), puis sauna (46), engendrant l’échaudage ; donc on est confronté à une espèce de disette 45-46-47 dont il ne faut pas exagérer la gravité, néanmoins grosse crise économique en 1847 en France et surtout en Allemagne et puis en prime la Révolution européenne de février 1848 qui a bien d’autres causes politiques, culturelles, etc., mais qui a été excitée par cette grave dépression 1846-47.
les glaciers alpins sont bel et bien
en débâcle progressive depuis 1860
Depuis fin 1859/1860 nous sommes au point terminal, à la disparition du petit âge glaciaire dans les Alpes sûrement, en Scandinavie peut-être, dans l’ensemble de l’Europe et du monde, on peut en discuter. Ce recul des glaciers alpins est dû à partir de 1859 à des baisses de précipitations et à des paquets d’étés chauds, lors des décennies 1860’s et des 1890’s en particulier. Mais le climat ne se réchauffe tout à fait en Europe, qu’à partir de 1903 surtout. En tout cas les glaciers alpins sont bel et bien en débâcle progressive depuis 1860 ; cette débâcle persiste, comme vous le savez, jusqu’à nos jours, et l’on inaugure le XXe siècle sous le signe d’une période de variabilité ; en 1904-5-6 d’assez beaux étés ; ils occasionnent la crise de surproduction viticole de 1907, avec révolte des vignerons du Languedoc, crise de la vigne, due également au fait qu’on avait pris l’habitude de sucrer le vin (il paraît que maintenant cela ne se fait plus…) et puis due à l’importation des vins d’Algérie… L’an 1910 émerge au contraire en tant qu’année glaciale (PAG) puis pourrie anti-blé ; année clôturée par les inondations de la Seine en décembre 1910. Malheureux zouave. Viendront ensuite les grands et nombreux étés chauds de la décennie 1940 dont les plus âgés se souviennent, étés chauds et secs avec en particulier la canicule et la mauvaise moisson de 1947 connotée grâce aux grèves de l’automne 1947 provoquées par Moscou bien sûr, mais aussi par un déficit et une cherté du pain quotidien [maïs, etc.]. Nous en arrivons enfin à l’effet de serre que vous connaissez aussi bien que moi puisque les médias nous en informent quotidiennement : grands étés de 1976, 1983, de la décennie 1990’s, de 2003… À suivre ?
Nous en arrivons enfin à l’effet
de serre que vous connaissez
aussi bien que moi puisque les
médias nous en informent
quotidiennement
L’histoire du climat de l’ultime millénaire, en tant que discipline, s’est développée en Suisse, avec Pfister et Lutterbacher, en Tchéquie, en Belgique aussi avec mon élève Pierre Alexandre, en Angleterre avec Phil Jones ; en France j’ai eu un certain nombre d’élèves ; pour les jeunes, avec la conjoncture météo d’effet de serre actuelle, il y a pas mal de choses à faire, on peut regretter certes qu’il y ait de moins en moins de gens qui vont à la messe et de plus en plus de spécialistes d’histoire religieuse, si valable soit-elle, mais pour ce qui est de l’histoire du climat, elle devrait présenter un grand intérêt et susciter quelques vocations supplémentaires, sans tomber pour autant dans le catastrophisme qui parfois nous obsède à propos de ce thème d’écologie historico-contemporaine.
A propos d’Emmanuel Le Roy Ladurie
Sa carrière
Normalien, agrégé d’histoire et docteur ès lettres,Emmanuel Le Roy Ladurie a commencé sa carrière comme professeur au lycée de Montpellier (1953-1957). Attaché de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (1955-1960), il a été ensuite successivement assistant à la faculté des lettres de Montpellier (1960-1963), maître assistant (1963), directeur d’études à l’Ecole des hautes études (depuis 1965), maître de conférences à la faculté des lettres de Paris (1969), professeur à la Sorbonne (1970), professeur à l’unité d’enseignement et de recherches (UER) de géographie et sciences de la société de l’université de Paris-VII (1971) et, enfin, professeur titulaire de la chaire d’histoire de la civilisation moderne au Collège de France (depuis 1973). Emmanuel Le Roy Ladurie a également occupé les fonctions
d’administrateur général de la Bibliothèque nationale de 1987 à 1994.Depuis cette date, il en préside le Conseil scientifique.
4 réponses à “Peut-on écrire l’histoire du climat ?”
Le suivi de la date des vendanges depuis le Moyen Age n’est sûrement pas un bon indicateur de l’évolution du climat.
En effet, pour tirer des conclusions, il faudrait pouvoir dire : »toutes choses étant égales par ailleurs ».
Or dans le domaine de la viticulture, c’est loin d’être le cas.
Déjà, on ne parle plus de la même plante. En effet, jusqu’à la crise du phylloxéra à la fin du XIXème siècle,nous avions des vignes « francs de pied », de l’espèce Vitis vinifera.Ces vignes poussaient plus ou moins librement, se reproduisant par marcottage…
Après la crise phylloxérique, depuis le début du XXème siècle, nous avons des plants greffés sur des plants américains de l’espèce Vitis riparia.
Donc, l’espèce n’est plus la même. De plus, la conduite de la vigne n’est plus la même non plus, on ne laisse plus la vigne courir, mais nous avons des plantations de pieds bien délimités, bien alignés.
Enfin, dernière révolution, depuis environ 30 ans, la limitation des rendements (égrappage, vendanges en vert) a conduit certainement à accélérer la maturation des raisins.
Conclusion : je pense que l’on ne peut tirer aucune conclusion de l’évolution de la date des vendanges depuis le Moyen Age
Je serais moins affirmatif que vous. Les modifications de méthodes et de cultivars que vous citez s’appliquent surtout ces 2 derniers siècles, avec le progrès technique et scientifique mais pas tant que ça dans l’ancien temps donc ne devraient pas invalider complètement les reconstitutions historiques.
Des études existent, telles que celle d’Isabelle Chuine et al, d’ailleurs très controversée. On peut contester certaines parties de la méthodologie ou l’intervalle de confiance de température mais pas tout rejeter en bloc.
Exemple de texte de l’Abbé Cochet sur la culture de la vigne en Normandie
Je suis bien d’accord avec vous, Demesure.
Du Moyen Age jusqu’au début du XXème siècle, on peut faire des comparaisons, puisqu’on est à conditions constantes (à peu de choses près)
En revanche, depuis le début du XXème siècle, et plus encore depuis la « révolution agricole » qui a suivi la deuxième guerre mondiale, il n’y a plus de comparaison possible.
Pierre,
Personne n’utilise plus la vigne pour mesurer la temperature au 20e siécle ! 😉
Et depuis 30 ans, on utilise même des satellite qui donnent non seulement la temperature en surface mais de la colonne d’air au dessus de nous. Sans doute pour ça qu’on s’hystérise pour quelque dixieme de degres.
Nos anciens eux accusaient les sorciéres de changement climatique. Nous, on accuse le CO2, les voiture, les voyages en avion… Chaque époque ses croyances.