Peut-on écrire l’histoire du climat ?

J’en arrive au XVe siècle qui de ce point de vue est assez mal étudié ; on note, en dépit du maintien du PAG, un petit réchauffement (première moitié du XVe siècle), à l’époque de Jeanne d’Arc (mauvaise période par ailleurs, époque des guerres de Cent ans), mais jolie série estivale de 1415 à 1435 avec des vendanges précoces, indicatrice de toute une série de beaux étés (un beau coin de ciel bleu en somme que l’on appellerait en France de nos jours une « culotte de gendarme » ou en Belgique une « culotte de zouave »), de beaux étés qui n’ont pas produit tout l’effet voulu, car la période était vraiment dure ; des étés parfois excessivement chauds, producteurs d’un vif coup d’échaudage en 1420 générant lui-même une forte famine due certes aussi à la guerre, mais également à la mauvaise récolte météorologiquement induite.

à Noël 1420 le blé manque, à Paris
on entend les lamentations des petits
enfants qui crient « je meurs de faim »

Il faut répéter que le blé est un citoyen du Moyen-Orient ; il a été mis au point dans les régions proches de la Syrie du Nord-Ouest et de la Turquie limitrophe et il apprécie médiocrement le climat franco-septentrional ; les étés pourris mais aussi excessivement chauds ne lui conviennent pas, c’est ce qui se passe en 1420 : à Noël 1420 le blé manque, à Paris on entend les lamentations des petits enfants qui crient « je meurs de faim » : Et sur les fumiers (c’est là qu’il fait le plus chaud en décembre) parmi Paris … pouviez trouver ci dix, vingt ou trente enfants, fils et filles, qui mouraient là de faim et de froid, et n’était si dur cœur qui par nuit les ouît crier « Hélas ! je meurs de faim ! » qui grande pitié n’en eût ; mais les pauvres ménagers ne leur pouvaient aider, car on n’avait ni pain, ni blé, ni bûche, ni charbon. Il semble que l’été de 1420, ait été assez comparable à celui de 2003, en un peu moins brûlant. Tous les mois, de février à août 1420, furent de 2 à 3° plus chauds que lors des moyennes pourtant relativement tièdes du XXe siècle.

On signale encore des vendanges précoces, typiques d’été très chaud notamment en 1473, sans famine pourtant parce qu’une pluie adéquate était tombée au bon moment ; les anneaux des arbres font apparaître néanmoins une période très chaude et sèche à la fin de l’été 1473 (anneaux d’arbres particulièrement durs correspondant à l’été terminal, très dépourvus d’eau).

Deuxième moitié du XVe siècle, malgré 1473 un rafraîchissement sensible dans l’ensemble, avec une grande famine de pluie en 1481, sous Louis XI : la situation est cependant moins grave qu’en 1315 ou 1420, car les guerres de Cent ans sont terminées depuis 1452-53, la France est en pleine reconstruction des 50 glorieuses de l’époque (1460-1510), la population est dynamique. Or on a en 1481 un hiver très froid, un printemps et un été fort pourris, une famine assez importante et voilà que pour la première fois en France le roi Louis XI essaie de prendre des mesures anti-famines. (En 1315 par contre le roi s’appelait Louis X le Hutin, il n’avait rien fait contre la famine, sauf envoyer du blé à ses troupes en Flandres et libérer quelques serfs à prix d’argent.) Mais, à partir de Louis XI, la monarchie commence à s’intéresser quelque peu au bien-être du peuple, et du reste elle le paiera assez cher au XVIIIe siècle, car on lui reprochera de ne pas en faire assez, un peu comme en 2003 (affaire Mattei).

on aperçoit de 1500 à 1560, une
belle période avec beaucoup de
beaux étés, des hivers doux

Nous en arrivons au XVIe siècle : dès lors on aperçoit de 1500 à 1560, une belle période avec beaucoup de beaux étés, des hivers doux ; les glaciers alpins reculent quelque peu (ils restent cependant plus gros qu’aujourd’hui) et les quatre saisons (hiver, printemps, été, automne), sont souvent douces, chaudes ou pas trop froides, avec, du coup, logiquement quelques disettes d’échaudage du blé par exemple en 1540 on a un très bel été chaud, le vin est tellement sucré qu’on en fait un apéritif. En 1523-1524, on a un été chaud, le blé en souffre, le prix du pain augmente, 1 500 maisons et quatre églises brûlent à Troyes, en Champagne. En 1556, un été très chaud également (ce n’est pas l’été de 2003 mais c’est quand même très ardent), incendies de forêts en Normandie et disettes…

Malgré tout pendant ce beau XVIe siècle (1500-1560), on enregistre une série fraîche 1526-1531, avec, en particulier, une phase cyclonique dépressionnaire et pourrie. En 1527, hausse du prix du pain, les emblavures sont gâtées, au point que l’on doit sortir la châsse de Sainte Geneviève aux fins de processions et de supplications. À partir de 1528, détérioration supplémentaire, la récolte céréalière est médiocre, les vendanges se font début octobre. En 1529, série de mauvaises récoltes, disette assez grave, année très froide et c’est la fameuse grande Rebeyne, révolte lyonnaise, entre Saône et Rhône, les greniers sont pillés et onze émeutiers paient de leur vie leur participation à l’émeute, telle est l’habitude. (Quoiqu’on en ait dit, ni les protestants, ni les corporations artisanales n’y sont pour quelque chose, il s’agit simplement d’une rébellion typique à l’encontre du pain cher.) D’une façon générale, il y a ici démarrage d’une problématique des pauvres lors des années 1526-1531, à Lyon en particulier, en France plus largement, mais aussi en Angleterre et en Allemagne, car la population augmente, le nombre des pauvres aussi, et le tout se heurte à ces quelques années climatiquement difficiles de 1526 à 1531.

… lire la suite

1.  Pierre | 2/02/2007 @ 9:37 Répondre à ce commentaire

Le suivi de la date des vendanges depuis le Moyen Age n’est sûrement pas un bon indicateur de l’évolution du climat.
En effet, pour tirer des conclusions, il faudrait pouvoir dire : »toutes choses étant égales par ailleurs ».
Or dans le domaine de la viticulture, c’est loin d’être le cas.
Déjà, on ne parle plus de la même plante. En effet, jusqu’à la crise du phylloxéra à la fin du XIXème siècle,nous avions des vignes « francs de pied », de l’espèce Vitis vinifera.Ces vignes poussaient plus ou moins librement, se reproduisant par marcottage…
Après la crise phylloxérique, depuis le début du XXème siècle, nous avons des plants greffés sur des plants américains de l’espèce Vitis riparia.
Donc, l’espèce n’est plus la même. De plus, la conduite de la vigne n’est plus la même non plus, on ne laisse plus la vigne courir, mais nous avons des plantations de pieds bien délimités, bien alignés.
Enfin, dernière révolution, depuis environ 30 ans, la limitation des rendements (égrappage, vendanges en vert) a conduit certainement à accélérer la maturation des raisins.
Conclusion : je pense que l’on ne peut tirer aucune conclusion de l’évolution de la date des vendanges depuis le Moyen Age

2.  Demesure | 2/02/2007 @ 10:45 Répondre à ce commentaire

Conclusion : je pense que l’on ne peut tirer aucune conclusion de l’évolution de la date des vendanges depuis le Moyen Age

Je serais moins affirmatif que vous. Les modifications de méthodes et de cultivars que vous citez s’appliquent surtout ces 2 derniers siècles, avec le progrès technique et scientifique mais pas tant que ça dans l’ancien temps donc ne devraient pas invalider complètement les reconstitutions historiques.

Des études existent, telles que celle d’Isabelle Chuine et al, d’ailleurs très controversée. On peut contester certaines parties de la méthodologie ou l’intervalle de confiance de température mais pas tout rejeter en bloc.
Exemple de texte de l’Abbé Cochet sur la culture de la vigne en Normandie

Qu’il y ait eu autrefois des vignobles en Normandie, que cette province ait fourni à la consommation et au commerce des vins abondans, que ses côteaux, aujourd’hui ombragés de pommiers, aient été autrefois couverts de vignes, ce sont là des faits dont il n’est pas permis de douter.

3.  Pierre | 2/02/2007 @ 13:40 Répondre à ce commentaire

Je suis bien d’accord avec vous, Demesure.
Du Moyen Age jusqu’au début du XXème siècle, on peut faire des comparaisons, puisqu’on est à conditions constantes (à peu de choses près)
En revanche, depuis le début du XXème siècle, et plus encore depuis la « révolution agricole » qui a suivi la deuxième guerre mondiale, il n’y a plus de comparaison possible.

4.  Rincewind | 2/02/2007 @ 15:23 Répondre à ce commentaire

Pierre,
Personne n’utilise plus la vigne pour mesurer la temperature au 20e siécle ! 😉
Et depuis 30 ans, on utilise même des satellite qui donnent non seulement la temperature en surface mais de la colonne d’air au dessus de nous. Sans doute pour ça qu’on s’hystérise pour quelque dixieme de degres.
Nos anciens eux accusaient les sorciéres de changement climatique. Nous, on accuse le CO2, les voiture, les voyages en avion… Chaque époque ses croyances.

Sorry, the comment form is closed at this time.