L’éruption de l’Eyjafjöll et les anticyclones mobiles polaires


par Antonio San

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Les Anticyclones Mobiles Polaires (AMP) sont des descentes d’air froid d’origine polaire qui se propagent des pôles vers l’équateur sous forme de minces lentilles d’environ 1,5 kilomètre d’épaisseur et dont l’expansion contrôle les champs de pression et des vents en basses couches, leur diamètre pouvant atteindre 3 000 kilomètres, et sur le flanc desquelles des dépressions cycloniques associées se développent. Le concept d’AMP a été proposé par Marcel Leroux dans une publication à comité de lecture (“The Mobile Polar High: a new concept explaining present mechanisms of meridional air-mass and energy exchanges and global propagation of palaeoclimatic changes”, Global and Planetary Change, 7 (1993), 69-93). On peut trouver des explications détaillées des AMP sur cette page du LCRE, le Laboratoire de Climatologie, Risques et Environnement de l’Université Lyon-III qu’a dirigé Leroux.

Comme confirmation de la validité du concept, Leroux citait l’expérience FASTEX de 1997 : identifiant le précurseur d’une tempête atlantique en basse couche (et non en altitude comme le souhaitaient les pontes de Météo France), Leroux expliquait que les basses couches les plus denses, les plus riches en vapeur d’eau – près de 50% de la vapeur d’eau est concentrée entre 0 et 1 500 mètres d’altitude – et en chaleur latente sont le siège des échanges méridiens d’énergie (entre les pôles et l’équateur), et que les dépressions ne se creusent pas à partir de courants d’altitude mais sont, au contraire, la conséquence de la propagation de l’AMP.

Il expliquait aussi que la stratification de la troposphère est capitale dans la distribution des échanges d’énergie. Dans sa conférence au Bureau des Longitudes d’octobre 2009, Pierre Morel a décrit la stratosphère comme un milieu relativement calme, et la troposphère comme un milieu très agité plus ou moins chaotique. Or on peut dire que Leroux a décrit et compris le fonctionnement de ce milieu et que son travail a augmenté la qualité des prévisions.

Comment le concept d’AMP a-t-il été reçu ? On ne peut plus mal. Il faut dire que Leroux, « climatologue non-people », n’avait pas de mots assez durs contre le GIEC, l’idée d’un « réchauffement global », ou encore l’emploi des modèles. Crédits suspendus, étudiants discriminés et censure éditoriale (au moins en France : ses deux derniers livres n’ont pu être publiés qu’en anglais !)… l’AMP fâche encore et toujours si l’on en juge par l’acharnement de certains à défigurer l’héritage du géographe climatologue de Lyon-III.

L’éruption de l’Eyjafjöll vient pourtant d’apporter une remarquable confirmation au concept d’AMP. Contrairement à ce que croient tous ceux qui ignorent ce concept, la trace du nuage de cendres n’avait rien de « contre intuitive » (selon l’expression de Sylvestre Huet sur son blog) : elle était au contraire parfaitement prévisible en suivant les conditions météo et leur évolution aux différentes altitudes, parfaitement modélisables pour peu que l’on utilise le concept AMP comme guide. Pour paraphraser Leroux : pour certains, l’apparence irrégulière de phénomènes résulte simplement de leur ignorance des règles qui les régissent. Les cendres du volcan se comportent comme un « traceur » naturel dont la distribution est un cas d’école de la présence des AMP qui les propagent.

L’affirmation stipulant que le panache ne s’élève à présent qu’à 2 000 mètres (et donc représenterait un danger moindre) est fallacieuse. Dès le début de l’éruption, et malgré une envolée en altitude des cendres localisée à l’apex du cratère, les photos du volcan montrent que le panache a suivi les flux des AMPs successifs, à l’interface supérieure des AMPs. Ce n’est qu’au front des AMPs et dans les dépressions associées que les ascendances ont dispersé le nuage en altitude.

Voilà pourquoi les premiers jours de l’éruption étaient d’une importance capitale pour mesurer les niveaux de concentrations et leur distribution par rapport à un état zéro idéal. Au lieu de cela, il aura fallu six jours avant que Météo France n’envoie un avion renifleur… Heureusement, il semble que le météorologiquement correct affecte peu les Danois et les Allemands, dont les sites offrent des cartes claires et des simulations actualisées qui confirment remarquablement le concept AMP (voir ici et – cliquer sur “analysekarten” ; “bodenluftdruck Europa”). Le résultat de ces observations est un coup dur pour les perturbations idéales qui parsèment les polycopiés du Laboratoire de Météorologie Dynamique et régissent les prévisions de Météo France : comme le montrent les clichés du panache volcanique, tout se passe en basse couche, le long des lignes de flux d’advection d’air froid (panache linéaire) et au front des AMPs, dans le couloir dépressionnaire où la dispersion des cendres est quasi symétrique de part et d’autre de l’axe central. L’animation ESA aussi bien que celle de l’université danoise sont sans appel : elles montrent clairement que les dépressions latérales ne précèdent pas l’advection d’air froid anticyclonique mais en sont la conséquence. Les fermetures successives des aéroports d’Europe de l’Est et d’Espagne tracent l’élargissement de l’AMP initial. Le second AMP dont le front se déplace actuellement sur les îles Britanniques promet une dispersion similaire des cendres récentes.

Tout cela n’a donc rien de « contre intuitif ». La traînée en question, étant en basse couche, peut aisément être survolée ! Elle ne coupe donc pas la route habituelle vers l’Amérique du Nord ! C’est en revanche au front de l’AMP que le nuage cendreux est repris par les ascendances, et c’est là qu’il s’élèvera.

Au lieu d’attendre plus de cinq jours de crise avant de faire des mesures, on aurait d’ailleurs pu s’affairer à établir une représentation en 3D prévisionnelle de la concentration des particules grâce au concept AMP. Bien coordonnée à un niveau européen cette analyse n’aurait pris que 48 heures. Si les résultats s’étaient avérés satisfaisants, cette recherche aurait rapidement proposé aux décideurs et à l’industrie aéronautique un éventail d’actions adaptées qui aurait minimisé l’impact économique de l’éruption plutôt que de recourir à l’application indiscriminée d’un principe de précaution fourre-tout, coûteux et au fond non déterministe qui ne nous apprend rien en particulier si l’éruption devait se prolonger sur des mois. D’autre part, que les conditions météo demeurent ou bien qu’elles évoluent, la qualité des alertes données en aurait été nettement améliorée.

Une météorologie moderne, appliquée et réactive, réellement dynamique, offrirait ainsi aux décideurs des options réalistes immédiatement vérifiables, justifiant ainsi ses crédits de recherche. Une sorte de Laboratoire de Climatologie, Risques et Environnement par exemple… celui-là même qui fut soigneusement rayé de la carte l’année dernière. Mais au lieu de cela, silence…

Les mêmes cassandres qui nous abreuvent de sécheresses et tempêtes à l’horizon 2050 se taisent et préfèrent laisser le soin à un bureau étranger, en l’occurrence le Met Office, de veiller sur le ciel de l’Europe quand il s’agit de prévoir l’évolution à court terme d’un nuage de cendres, au sein de systèmes météorologiques pourtant parfaitement compréhensibles et identifiés. Pourtant, sur le site du CNRS, on ne peut que constater l’absence totale de concept météorologique explicatif des mesures radars : pourquoi le premier nuage est-il situé à cette altitude ? Pourquoi le second nuage est-il plus bas ? Mystère… Mais il est vrai qu’accepter que l’AMP explique la dispersion du panache volcanique conduirait à reconnaître la justesse de la mécanique climatique de Leroux. Et celle-ci démolit sans pitié le mythe du réchauffement global… Les partisans des AMP doivent donc à ce volcan islandais, l’Eyjafjöll, une fière chandelle !

Antonio San.

Post Scriptum : vue prise par Aqua/MODIS satellite thanks to Ryan N. Maue, confirmant la nature basse couche initiale du panache et sa dispersion liée a un AMP, le 20 avril 2010.


59 réponses à “L’éruption de l’Eyjafjöll et les anticyclones mobiles polaires”

  1. Patrick Bousquet de Rouvex (#47),
    Ce qu’il dit est quand même différent de la présentation que vous faisiez, puisqu’il explique qu’une erreur a non seulement été détectée (la baisse -ils ont forcément tiqué), mais aussi repérée. C’est pas pareil que de les rejeter a priori sans autre forme de procès.

    Araucan (#49),
    Oui, j’avais omis cela. Sans satellite et sans station au sol, comment font-ils donc pour obtenir le suivi des températures moyennes quotidiennes ?

  2. Hacène (#53), « les rejeter a priori sans autre forme de procès. » : je ne crois pas avoir dit ça ! j’ai dit : « on y observait une baisse, ce qui a conduit à les supprimer » : d’accord, c’est un raccourci d’opinion et j’aurais pu être moins subjectif, mais j’ai bien l’impression qu’ils n’auraient pas repéré d’erreurs si ça avait montré un réchauffement : on l’a vu ailleurs dans ce rapport, et pas qu’une fois !! smile

  3. Patrick Bousquet de Rouvex (#54),
    Mon propos était ambigu, je ne vous attribuais pas cette présentation. Disons qu’ils avaient quand même un argument solide pour les rejeter. Cela dit, entièrement d’accord : c’est l’incohérence du résultat avec l’orientation de ce qui était attendu qui a conduit au doute (c’est pas anormal non plus, n’en disconvenons-en pas). Mais mon mauvais esprit me conduit à penser qu’ils auraient arguer de n’importe quelle autre raison pour ne pas en tenir compte…

  4. Franchement, j’adore ce type de discours : en utilisant la théorie des AMP, on pouvait très facilement prévoir la position et l’altitude du nuage de cendre du volcan islandais. Que ne l’avez-vous fait ? Cela aurait été, certainement, une très belle démonstration en effet…!
    Pour info, les données lidar en France ont montré l’arrivée du nuage à 6 km d’altitude. Probablement un Anticyclone Mobile Verticalement (AMV) ?