Le sixième pouvoir.


Par Araucan.

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L'interview de James Hansen de passage à Paris, publiée dans TerraEco.net le 12 mai, conclut ainsi : "Aujourd’hui, les gouvernements sont principalement influencés par les lobbys. La démocratie n’a pas fonctionné comme elle le devrait. Le principe « un homme, un vote » n’est plus valable quand l’argent a tant d’influence. C’est peut-être aux gens maintenant de se mobiliser et de mettre la pression sur les gouvernements. Mais pour ça, il faut qu’ils comprennent quelles sont les bonnes mesures à prendre. Et c’est pour ça que nous, les scientifiques, devons communiquer davantage."

Paroles de citoyen engagé, indéniablement, et prenons les comme telles, car elles méritent d'aller au-delà d'une lecture rapide et de raccourcis menant à la collecte de points Godwin. Voyons de plus près.

Ainsi les gouvernements ne sont apparemment plus en mesure d'exercer leur libre arbitre, les lobbys y exercent leur emprise : la démocratie ne fonctionnerait plus, au point que le vote du peuple n'a plus de signification parce qu'il est balayé par l'argent, ce pouvoir occulte qui pervertit tout ! Le constat, pour autant qu'il soit exact dans sa formulation, n'est pas nouveau et les gouvernements, démocratiques ou non, sont soumis à des influences externes et des pressions de toute nature. Les gouvernements, résultant d'élections démocratiques, sont justement ce qui a été inventé de mieux, même si la perfection n'est pas de ce monde, pour justement être en mesure de résister à des influences uniques et intéressées, le modèle du tyran éclairé ne durant jamais très longtemps. Une démocratie se caractérise par l'organisation d'élections démocratiques, d'institutions fiables et solides à même de prévenir les dérives menaçant la démocratie, une expression libre et par la présence de contre-pouvoirs institutionnels ou non. C'est parfois un peu chaotique, pas toujours exaltant au regard des grands soirs auxquels certains rêvent mais cela peut durer si la règle du jeu est bien faite et respectée.

Face au RCA, le peuple devrait se mobiliser et faire pression sur les gouvernements , mais comment ?

Par le vote ? Mais ne vient-on pas de lire que celui-ci est dévoyé par l'argent et que la démocratie ne fonctionne pas comme elle le devrait ? Le vote ne serait donc plus valable comme moyen d'expression du peuple,: voilà qu'un des éléments au coeur de la démocratie, sans lequel elle disparaît, est récusé. Par la rue ? Certes un moyen à user dans le cadre de la libre expression et du respect des autres mais à ne pas abuser, les limites à l'exercice sont nombreuses, surtout lorsque ce recours vise la démocratie ou son fonctionnement. D'ailleurs où sont les manifestations en faveur de la taxe carbone ? Par les sondages et la médiacratie, pour sonder les opinions au plus près et mois par mois, mais où s'expriment sans retenue, les lobbys de toute nature et surtout certains ? N'en a-t-on pas vu les limites justement avec le RCA : après un engouement très fort en Europe, quand la bise fut venue, l'opinion se retourne en peu de mois …

J. Hansen nous dit que les gens (non les citoyens d'ailleurs) doivent comprendre "quelles sont les bonnes mesures à prendre".

Par rapport à quel problème, justement ? Et qui décide s'il y a problème ? Qui décide s'il faut prendre des mesures et justement, lesquelles ?

Les gouvernements ? Ils ne sont que le jouet des lobbys (et donc incapables de penser par eux-même) et pervertis par l'argent. Le peuple ? Ben non, son vote n'est justement pas valable. Le peuple dans la rue ? A quand les manifestations pour mener la lutte contre le RCA, celles pour dire qu'il y a d'autres choses à faire, celles pour la taxe carbone, celles en faveur du marché carbone, celles pour la suppression du chauffage au fioul, celles pour la suppression de la voiture et toutes celles contre ?

A ce point, le raisonnement aboutit dans une impasse car il n'y a plus d'instance légitime et au-dessus des basses contingences matérielles et à courte vue pour décider s'il y a problème et de ce qu'il faut faire.

Mais monsieur Hansen a la solution :  "Mais pour ça, il faut qu’ils comprennent quelles sont les bonnes mesures à prendre. Et c’est pour ça que nous, les scientifiques, devons communiquer davantage."  La démocratie ne fonctionnant pas comme elle le devrait , c'est-à-dire décidant des mesures préconisées par les scientifiques, c'est très simple : les scientifiques décident qu'il y a problème et décident quelles sont les mesures à prendre. Il ne reste plus qu'à convaincre le bon peuple par la communication. Notez bien la communication, pas les preuves scientifiques à l'appui du problème, pas le raisonnement, non juste la communication, c'est à dire selon les différentes acceptions actuelles de ce mot, la publicité, l'information, la propagande, les campagnes, les communiqués, les déclarations, les messages, la conscientisation … Pas sûr non plus que cette communication se fasse dans les deux sens … Le GIEC ne discute qu'en son sein, sinon il communique !

Plutôt que se focaliser sur la puérilité apparente de la solution, mieux vaut voir ce qu'elle implique : un peuple dépouillé de son droit de choisir, obtenu souvent après bien des vicissitudes, soumis à la communication et sommé de suivre les constats et les choix de société d'une élite éclairée et auto proclamée parce que scientifique. Voici une nouvelle forme d'oligarchie, non plus celle des aristocrates,  non plus celle des avant-gardes prolétaires, non plus celle des technocrates mais celle des scientifiques, en tout cas ceux qui détectent des phénomènes, décident qu'il y a problème, écrivent l'avenir et décident des moyens de le maîtriser.

Après tout, ce ne serait pas la première fois qu'un système politique serait conçu en restreignant la démocratie, au motif que sans cela l'avenir ou le bien de tous est compromis, ce pourrait n'en être que le dernier avatar ou l'ultime manifestation de la caverne de Platon. Sauf, quoiqu'excessif J. Hansen puisse être dans sa démarche militante, il n'est pas seul : les deux pétitions de scientifiques français et américains relèvent bien d'une conception sous-jacente similaire, une dictature éclairée parce que la science obtenue par consensus, donne la vérité. L'argument d'autorité n'en est que la manifestation quotidienne.

Les sociétés démocratiques, au nom de la rationnalité, ont encouragé les sciences au nom du progrès et elles ont fleuri en son sein. Les sciences et nombre de leurs représentants les plus éminents ont été de fervents démocrates. Qu'est-ce qui a changé pour qu'une vision aussi biaisée puisse surgir ?  Les questions d'environnement sont devenues très vite des sujets de société et de politique . Le développement des comités d'experts pour traiter de sujets complexes et délicats et surtout pour proposer des solutions, allié à un retrait en parallèle des politiques et des technocrates sur ces sujets, a conduit de fait à une délégation de prescription aux scientifiques et experts concernés. Un sixième pouvoir est né. Et après 30 à 40 ans de montée en puissance de ce système, et où le GIEC apparaît comme un aboutissement ultime du système mis en place sur bien des sujets, les experts réclament leur dû : celui de décider directement sans s'encombrer de votes ou de gouvernements, source de retards et dévoiements face à l'exigence d'efficacité de la rationalité en action. Ces rejetons bien nourris de la recherche de la rationalité dans les sociétés démocratiques estiment désormais devoir passer outre aux règles et inconvénients du système politique qui les a réchauffés en son sein. Il n'est pas surprenant que ce phénomène se manifeste chez les climatologues, dont la discipline s'est abreuvée de ce système.

Ne me dites pas que je ne discute pas de science : la place et le rôle prédominant de la science (ou plutôt de ce qu'en font les experts) dans nos sociétés est, à défaut d'être une question scientifique, une question qui s'impose au scientifique : il n'est pas ou plus l'observateur distancié du monde qui l'entoure. Dans le monde où vivent les gens ordinaires, les règles de la démocratie, au risque de se tromper, ne sont pas les règles du débat scientifique ni dans sa manière de conclure, ni dans sa manière d'agir. Le monde scientifique peut contribuer au débat démocratique mais il n'en définit ni les règles ni les choix. Ce sont là les premières de ses limites.

La démocratie a désormais besoin de créer un contre-pouvoir à ce sixième pouvoir : pas sûr qu'Internet y suffise.

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132 réponses à “Le sixième pouvoir.”

  1. Votre h16 semble bien proche des commentateurs de ce blog-ci ! exemple, dans son article sur le sénateur (pseudo Jay-Hell ou encore Jay-Heil) qui vous menace tous en voulant exiger des noms derrière les pseudos (moi j’men fous, j’l’ai déjà donné !) où il dit : « On comprend que ce surcroît de travail enquiquine, agace, fatigue et irrite. Notamment les mauvais, (il parle des journalistes) bien sûr (non non, je ne vais pas parler de Huet et Foucard, je ne veux pas stigmatiser). » On sent l’humour Skyfall non censuré…

  2. Patrick Bousquet de Rouvex (#99),

    Et qui ne s’est jamais trompé ? le problème, c’est de persévérer … longtemps, le RCA en est un exemple … car il a pris (ou réussi à prendre une option pour un siècle…). Là j’espère me tromper !

  3. Pour ceux qui pense que tout cela n’est que le fruit du hasard et non d’une volonté délibérée d’un groupe d’individus (extrait reçu d’un courriel)…

    Le Professeur CAROLL QUIGLEY (1910-1977 ) (qui fut fut le plus jeune et le plus brillant PhD de l’histoire des Etats-Unis) est un Historien très respecté de la Communauté Universitaire des Etats-Unis, de réputation mondiale, spécialiste de l’histoire géo-politique, politique, économique et financière contemporaine, discipline qu’il a enseignée dans le cadre des universités d’Harvard, puis de Princeton, et enfin à la Woodroow Wilson School, School of Foreing Service, de la Georgetown University de Washington (« le SciencePo ou l’ENA des Etats-Unis ») où Henry Kissinger décida de suivre ses cours et où William (Bill) Clinton – ancien Rhodes Scholar – fut son élève attentif, ainsi qu’il le révelera lui-même en rendant un hommage public appuyé à son ancien Professeur en 1992 à l’occasion de son discours d’investiture à la candidature démocrate à la Présidence des Etats-Unis pour les élections présidentielles de 1992.

    Il était membre du très influent Council of Foreign Relations (CFR) des Etats-Unis, fondé en 1921 par la Famille Rockfeller avec l’appui du très influent « Colonel » Edward Mandell House, Conseiller du Président Woodroow Wilson, et fondé en même temps que son organisation britannique « soeur » (émanation de la « Round Table » britannique de Cecil Rhodes, Lord Milner, Lord Rothschild, Lord Balfour…et bien d’autres, véritable « directoire » privé de l’Empire britannique victorien du tournant des XIXème et XXème siècles), « The Royal Institute of International Affairs » (RIIA), appelé aussi « Chatham House » (du nom de la demeure de William Pitt, le célèbre Premier Ministre britannique qui vint à bout de l’Empereur français Napoléon Ier).

    Le Professeur Caroll Quigley fut ainsi LE SEUL HISTORIEN à être autorisé à consulter les Archives Privées des membres les plus illustres du CFR, dont il était membre lui-même.

    C’est précisément à partir de ces archives privées qu’il put en particulier rédiger son très célèbre opus « Tragedy & Hope » de 1966 (1.300 pages), d’où est tirée la citation suivante :

    Citation originale
    (« Tragedy & Hope, A History of teh World of our Times » Page 324
    (ouvrage de 1.300 pages), 1966 , McMillan Publishing Company, New-York, USA).

    « In addition to these pragmatic goals, the powers of financial capitalism had another far-reaching aim, nothing less than to create a world system of financial control in private hands able to dominate the political system of each country and the economy of the world as a whole.

    This system was to be controlled in a feudalist fashion by the central banks of the world acting in concert, by secret agreements arrived at in frequent private meetings and conferences.

    The apex of the system was to be the Bank for International Settlements in Basle, Switzerland, a private bank owned and controlled by the world’s central banks which were themselves private corporations.

    Each central bank, in the hands of men like Montagu Norman of the Bank of England, Benjamin Strong of the New York Federal Reserve Bank, Charles Rist of the Bank of France, and Hjalmar Schacht of the Reichsbank, sought to dominate its government by its ability to control Treasury loans, to manipulate foreign exchanges, to influence the level of economic activity in the country, and to influence cooperative politicians by subsequent economic rewards in the business world. »

    by Professeur Caroll Quigley (Harvard University, Princeton University, Georgetown University),

    « Tragedy & Hope, A History of the World of our Times » Page 324 (book of 1.300 pages), 1966 , McMillan Publishing Company, New-York, USA.

  4. note au modérateur: En espérant que cette extrait ne pose de problèmes…

  5. RDEURO (#106),

    Je recommande également « The Anglo Saxon Establishment » du même auteur (je ne l’ai qu’en .pdf). Voir également un numéro de Fusion sur l’univers newtonien, Hobbs, Locke, Voltaire… et sa catastrophique victoire sur le monde de Leibnitz. Il est sur le site de Manu.

  6. RDEURO (#110), intéressante, cette fondation ; mais de là à dire « l’objectif est l’infiltration et oeuvrer en sous main pour le NWO », c’est un jugement un peu hâtif, disons une interprétation, pas leur but affiché : en deux séminaires de 5 jours, c’est peu pour les briefer pour en faire des bon « agents » du NWO…!

  7. J’oubliais encore : ce qui m’avais paru intéressant dans le discours de Dupont-Aignan, c’est l’analyse de la politique européenne comme découlant d’une « religion », ça me rappelait quelque chose… 😉

  8. scaletrans (#118),

    J’ai ± un téraoctet de fichiers divers accumulés sur mon PC en 15 ans et plus.
    Si j’avais le nom exact du fichier je pourrais sûrement le retrouver.

  9. Patrick Bousquet de Rouvex (#114),
    La réputation des « young leaders » n’est plus à faire et les meilleurs géopoliticiens les connaissent parfaitement.
    Les personnes sont sélectionnées pour leur qualité à faire parti des « élites » et l’objectif est clairement le rapprochement USA-Europe pour le saut final vers le « NWO »
    Pour arriver à l’établissement du NWO, il faut avant tout infiltrer tous les partis politiques afin de leur faire prendre des décisions en faveur du NWO au moment opportun. Il restait les partis nationalistes qui représentent le plus grand danger pour eux et « une liberté » incontrôlable par eux. Mr D.Aignant, venant de la gauche en passant par la droite est passé du coté des nationalistes et à tenu à plusieurs fois, de façon discrète, dans ces discours des propos que n’auraient pas renié les ténors du NWO ! (Il apparait plus comme un loup dans une bergerie mais son talent le fait user d’un discours pouvant charmer certain). Il est plutôt mal perçu par la droite qui défend la nation contre le mondialisme et la liberté de penser du peuple (la droite libérale est aussi sociale mais contre l’assistanat systématique – et ne pas confondre avec le capitalisme « sauvage » qui n’a rien à voir mais beaucoup mélangent et confondent tout).Du coté de la gauche, Il y a aussi quelques rares têtes qui cherche à sortir de l’emprise du mondialisme (ex: Chevênement).
    Celui qui avait su tenir tête au mondialisme (ne pas confondre avec mondialisation qui est la confusion préférée des mondialsites) est le Général De Gaulles. En effet, il avait imposé le maintient de la souveraineté des nations dans une europe unie car il était conscient du grand danger qui nous menacait. Mais, dès sa « fin », toutes ces actions ont été démontées et enterrées très rapidement par tous les succésseurs (tous).

  10. RDEURO (#120), Bon, mais ce n’est pas un blog sur ces questions, ici ! Je m’étais intérssé à son discours pour une raison en rapport avec le dogme climatique ! Après, les positions politiques de tel ou tel sont hors sujet (mais très intéressantes néanmoins, bien sûr).

  11. lanyards (#126),
    Merci de bien vouloir vous exprimer en français, les anglophones limités, comme je le suis, vous en remercieront. smile

  12. Marot (#127),

    Merci de votre information, à propos du message dont il a été question.
    Je suis confus de ne pas avoir été en mesure de la repérer… sad
    Néanmoins, c’est bien la preuve et une sorte de confirmation que je suis loin (très loin !) de « comprendre » correctement l’anglais. re sad

  13. Ah, mon Dieu ! Je ne m’attendais pas à voir du conspirationnisme sur ce site. La seule vérité, c’est l’avidité et la sottise également répugnantes et sans limites des « marchés », que les évènements vont ramener ( avec nous aussi, d’ailleurs ) aux fondamentaux et à grands coups de pied au c… dans les années qui viennent.

  14. Patrick Bousquet de Rouvex (#131),

    Cette vidéo ne dure que 54 minutes, mais comme niveau de connerie chez ces « éco-condriaques » cela vaut le coup. Sont bêtes à manger du foin ! Einstein avait bien raison quant à l’étendue de la bêtise humaine…

    Arte, soi-disant chaîne culturelle, se rend complice en proposant une dizaine de vidéos sur la page en question.
    Voir aussi la page http://www.arte.tv/fr/3667350.html SSI vous avez du temps à perdre.