La France doit-elle réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % d’ici à 2020 ?

La crise facilite l’atteinte des objectifs de réduction de GES d’ici à 2020 mais une réduction de 30 % des émissions demanderait un effort important de la part des ménages.

L’analyse de la réduction des émissions de GES de la France d’ici à 2020 ainsi que ses retombées économiques s’est effectuée en recourant au modèle macroéconomique sectoriel détaillé NEMESIS (9). Cette réflexion, conduite par un groupe de travail mis en place par le Centre d’analyse stratégique, a porté successivement sur : l’effet de la crise sur les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020, la signification d’un effort isolé de l’UE pour réduire de 30 % ses émissions à 2020 et l’impact du Grenelle Environnement sur l’activité économique et l’emploi.

Les scénarios (10) modélisés n’ont, en aucune manière, vocation à prédire l’avenir. Ils constituent simplement une aide à la réflexion et tentent de mettre en exergue les liens entre énergie, émissions de GES et activité économique, au regard d’hypothèses bien identifiées.
L’impact de la crise sur les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020

Deux scénarios ont été modélisés pour étudier les effets de la crise sur nos émissions en 2020 :

  • le premier, représenté en rouge sur la figure ci-après et que l’on pourrait qualifier de reprise modérée, prévoit un retour du taux de croissance du PIB à partir de 2015 à des valeurs voisines de 2 % par an, proches de celles attendues avant la crise (11) , mais n’envisage pas de rattrapage de la perte de PIB. Il subsiste donc un écart d’environ 5 % à 8 % du PIB, jamais rattrapé, qui atteindrait en 2020 environ 170 Mrds € de 2000 ;
  • le second, en vert, plus optimiste, prévoit au contraire une sortie de crise caractérisée par une reprise de la croissance à un taux plus élevé que celui estimé avant la crise (atteignant 3,8 % en 2015), et permet ainsi un rattrapage progressif du PIB. L’écart de PIB par rapport au scénario de référence diminue dans le temps : 7 % en 2012, 5 % en 2015 et 1,2 % en 2020.

graph1.gif

La baisse de l’activité simulée par NEMESIS se traduit :

  • dans le cas d’une reprise modérée, par une chute de la consommation énergétique finale de – 7,1 % (– 7,7 % dans le secteur ETS (12) et – 6,8 % hors ETS) par rapport à un scénario de référence sans crise. La production industrielle, particulièrement touchée, est davantage affectée que la consommation des ménages ;
  • dans le scénario optimiste, par une augmentation de la consommation énergétique de 0,5 % (– 4 % pour le secteur ETS et + 2,2 % hors ETS). Dans ce cas, les « cicatrices » de la crise apparaissent à travers une restructuration de l’économie française : les services bénéficient davantage de la reprise économique que les secteurs industriels, dont les émissions diminuent.

Si le scénario de reprise modérée, considéré comme le plus vraisemblable, venait à se réaliser, le niveau des émissions totales de CO2 serait réduit d’environ 7 % en 2020 par rapport à une évolution tendancielle sans crise (n’intégrant ni les mesures du Grenelle de l’Environnement ni celles résultant de l’application du 3ième
Paquet Énergie-Climat de l’UE (13)). Pour sa part, l’Agence internationale de l’énergie prévoit, dans ses dernières perspectives énergétiques, une baisse des
émissions, liée à la crise, d’un peu plus de 6 % en 2020 pour les pays de l’OCDE.

La crise devrait ainsi réduire les émissions de GES dans la période 2008-2012 des installations soumises au marché ETS par rapport à ce qui était prévu dans les projections du deuxième Plan national d’affectation des quotas, qui couvre la période 2008-2012. L’atteinte des objectifs du Protocole de Kyoto va en être facilitée. En contrepartie, dans le scénario de reprise modérée, on peut craindre qu’au-delà du léger rebond actuel (la valeur de la tonne carbone est aujourd’hui voisine de 16 €), la baisse significative du prix du CO2 sur le marché ETS, déjà observée en 2009, conjuguée aux contraintes de crédit et aux différents discours remettant en cause les travaux du GIEC, ne se prolonge et ne conduise à un relâchement des investissements destinés à réduire les émissions sur le moyen terme.

Les conséquences de la crise sur la valeur de la contribution climat-énergie.

L’atteinte des objectifs de réduction de CO2 à l’horizon 2020 nécessite le recours à l’intervention publique car le marché ne conduira pas de lui-même à une telle évolution. L’instrument le plus efficace, selon l’ensemble des économistes, consiste à internaliser le coût associé aux émissions de CO2. Les travaux menés par le Centre d’analyse stratégique, dans le cadre de la Commission Quinet, ont montré qu’une division par quatre des émissions européennes à l’horizon 2050 passait par une valeur de la tonne de CO2 de 32 € en 2010, 56 € en 2020 et 100 euros en 2030. Cette valeur du carbone peut être internalisée au travers de différents instruments économiques : taxes, marchés de permis, normes et réglementations imposées aux logements ou aux véhicules, péages, certificats verts, bonus-malus, subventions à la recherche et développement « verte ». Leur mise en œuvre doit cependant s’accompagner de mesures destinées à en limiter les effets anti-redistributifs. Dans le modèle, l’atteinte d’un objectif de réduction des émissions de GES s’effectue grâce à l’introduction d’un coût du CO2 dont le montant illustre la plus ou moins grande difficulté à l’atteindre.
Quels sont les effets de la crise sur cette valeur ? Les simulations effectuées avec Némésis ont consisté à évaluer la valeur de la tonne de CO2 nécessaire pour atteindre les objectifs de réduction retenus dans le cadre du 3ième Paquet Énergie-Climat par l’Union européenne d’ici à 2020 (14).

tab1.gif
Celui-ci distingue deux catégories d’acteurs et les soumet à des contraintes différentes :

  • d’une part, les industriels, qui devront diminuer leurs émissions de 21 % dans le cadre du marché européen de quotas (ETS) de 2005 à 2020 (15);
  • d’autre part, les ménages et le reste de l’économie française (transports routiers, secteurs résidentiel et tertiaire, agriculture et entreprises peu intensives en énergie) soumis à une réduction de 14 % de 2005 à 2020 (16).
Premier résultat important, la valeur de la tonne de CO2 pourrait être divisée par deux pour le secteur industriel par rapport aux estimations antérieures : dans un scénario où la croissance rattraperait les chiffres de PIB prévus avant la crise, la valeur de la tonne carbone serait proche de celle envisagée dans le rapport Quinet (40 € contre 56 €/tonne). Par contre, dans un scénario de reprise modérée, conduisant à une production industrielle plus faible que celle envisagée avant la crise, cette valeur ne serait que de 15 €/T. Soulignons cependant que si la crise peut avoir un effet bénéfique à court et moyen termes sur la valeur de la tonne carbone, l’anticipation d’un prix du carbone plus faible à terme, couplée aux incertitudes du post-Kyoto, peut dissuader les industriels de réaliser un certain nombre d’investissements et donc conduire à terme à des effets négatifs.
Deuxième enseignement, dans un scénario où l’Union européenne déciderait unilatéralement d’adopter un objectif de réduction de ses émissions de 30 %, la valeur du CO2 dans le secteur hors-ETS passerait de 71 € (0,18 € le litre d’essence) à 138 € (0,34 € le litre) dans le scénario de reprise modérée : il serait donc particulièrement coûteux pour les ménages comparé au coût du secteur industriel qui ne serait que de 35 €. En termes de politiques publiques, une telle augmentation conduirait probablement à examiner la possibilité d’un étalement de l’effort vers l’horizon 2025 et à recourir massivement aux mécanismes de flexibilité considérés comme moins coûteux.

Une autre solution
(17) consisterait à revenir à un prix unique (18) du carbone et à redéfinir ainsi le partage des efforts entre les industriels et les ménages : les économistes nous rappellent qu’elle serait en outre moins coûteuse pour l’ensemble de la collectivité. Pour y parvenir, il suffirait d’étendre le secteur ETS (19) à l’ensemble des combustibles fossiles vendus en Europe en imposant aux importateurs et aux producteurs européens d’acquérir un nombre de quotas correspondant à leur contenu en CO2. Le prix en serait ensuite répercuté sur le consommateur. Une telle solution présenterait un triple avantage :
  • a) elle peut être décidée par l’Union européenne à la majorité qualifiée ;
  • b) s’appliquant à l’ensemble de l’économie européenne, elle minimise la dépense pour l’ensemble des acteurs, en particulier pour les ménages : l’utilisation de normes et de règlements dans tous les secteurs de l’économie pourrait parvenir à une réduction similaire des émissions, elle risque cependant de conduire à une très grande disparité des coûts de la tonne carbone mis en œuvre dans les différents secteurs, qui serait source d’inefficacité économique ;
  • c) la valeur des quotas est contra-cyclique : plus l’activité industrielle sera ralentie, moins fortes seront les émissions et la valeur du quota. Elle doit cependant s’accompagner de mesures redistributives.

    Bien entendu, les valeurs du carbone évoquées ci-dessus dépendront aussi de l’évolution de nos comportements. Si tous les Français intègrent la nécessité de lutter contre le changement climatique et adoptent un certain nombre de gestes simples pour réduire leur consommation d’énergie ou pour éviter d’utiliser leur voiture quand ils ont d’autres moyens de transport à leur disposition, la valeur du carbone sera naturellement moins élevée.