La France doit-elle réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % d’ici à 2020 ?

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Dans l’hypothèse, que certains pourraient considérer comme la plus vraisemblable, où l’on assisterait à partir de 2015 à un retour du taux de croissance du PIB aux valeurs envisagées avant la crise mais sans rattrapage de la perte de PIB, l’effet de celle-ci sur les émissions de CO2, évalué en 2020 à une réduction d’environ 7 % par rapport au scénario de référence, serait non négligeable.
Cependant, même dans cette hypothèse, un objectif de réduction de 30 % à 2020 aurait des répercussions lourdes en France, en termes de compétitivité et d’emplois, si l’UE adoptait ce nouvel objectif de manière unilatérale en l’absence de réductions comparables dans les autres pays développés. Réduire nos émissions de 20 % d’ici 2020 représente un effort déjà important, qui suppose une modification durable de nos comportements.
En revanche, à supposer même qu’ils adoptent leur projet de loi actuel sur le réchauffement climatique, les États-Unis bénéficient encore d’un important potentiel de réduction à coût (financier et politique) relativement modéré – et cela, précisément parce qu’ils n’ont guère fait d’efforts de réduction des émissions de GES dans les années passées : en réalité, ce sont seulement quelques centaines d’acteurs industriels dans le secteur de l’électricité, et non les citoyens américains dans leur ensemble, qui seraient fortement concernés.
En tout état de cause, une décision de réduire de 30 % les émissions de l’Union européenne ne devrait donc être prise qu’au regard de la comparabilité des efforts envisagés en termes économiques, par les différents pays développés : l’adoption, ou non, par le Sénat américain d’un projet de loi sur le changement climatique, dont le contenu reste à débattre, revêt donc une grande importance.
La mise en œuvre des décisions prises lors du Grenelle de l’Environnement devrait permettre d’atteindre l’objectif de – 20 % à 2020 et de réduire la facture pétrolière. Elle aura un effet positif sur l’emploi. Toutefois, ces créations ne subsisteront dans le temps que si le relais des investissements est pris par undéveloppement d’éco-entreprises compétitives capables de se positionner sur le marché international.
Une politique vigoureuse de soutien aux écotechnologies et aux filières industrielles correspondantes est donc bien indispensable. Elle doit de plus être accompagnée d’un effort important de formation aux emplois et métiers de la croissance verte afin d’éviter une tension sur les recrutements et une inflation salariale qui compromettraient les perspectives de croissance. Les investissements du Grenelle de l’Environnement auront dès lors servi de prémisse à l’apparition d’une croissance verte durable et d’emplois pérennes qu’il reste cependant à décrire de manière plus précise.

Auteurs : Thierry Chambolle, président de la Commission environnement de l’Académie des Technologie.Dominique Auverlot, Hervé Pouliquen, Département Recherche, Technologies, Développement durable Avec le soutien du professeur Paul Zagamé et de l’équipe du laboratoire Erasme, en particulier de Baptiste Boitier et de Pierre Le Mouël.

Notes de bas de page :

1  Les BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) ont ainsi fait part des mesures qu’ils comptaient mettre en œuvre : la Chine a notamment confirmé son intention de réduire l’intensité de ses émissions de 40 % à 45 % d’ici à 2020 et de limiter à 85 % la part des combustibles fossiles dans sa consommation d’énergie primaire.
2  Les dernières analyses de la Commission estimeraient le coût de cet objectif à 33 milliards d'euros supplémentaires, soit 81 milliards d'euros au total (0,54 % du PIB en 2020) : elles supposent la réalisation des engagements pris par les différents pays à la suite de Copenhague.
3  Regional population projections EUROPOP2008: Most EU regions face older population profile in 2030, Eurostat, n° 1/2010, http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/product_details/publication?p_product_code=KS-SF-10-001.
4 Rechercher les voies d’un développement durable dans un environnement incertain, Rapport Ressources rares et environnement, France 2025, www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=949.
5 Ben Jelloul M. (2010), « Les choix énergétiques dans l’immobilier résidentiel à la lumière de l’analyse économique », La Note de veille, n° 134, Centre d’analyse stratégique, mai.
6 Cette poursuite du programme nucléaire repose sur la construction des deux nouveaux EPR déjà décidés ainsi que sur l’accroissement de puissance nominale d’un certain nombre de tranches existantes.

7 Le nouveau projet de loi sur le réchauffement climatique, déposé le 12 mai par les sénateurs Kerry et Lieberman, conserve pour le moment l’objectif de réduction de 17 % des émissions du projet de loi Waxman-Markey. Son avenir est néanmoins incertain compte tenu de la marée noire survenue au large de la Louisiane, qui remet en question les autorisations de forage offshore, demandées par les Républicains, et compte tenu des élections de mid-term  en novembre prochain.

8 Non documentée dans l'original …

9  NEMESIS s’appuie sur des comportements optimisés à long terme (maximisation de l’utilité pour les consommateurs et des profits pour les producteurs) dans lesquels interviennent des rigidités (prix, ajustements des facteurs de production, etc.) à court terme. Le modèle combine les approches « top-down » et « bottom-up ». La consommation des ménages est dans un premier temps déterminée au niveau macroéconomique et ensuite subdivisée en 27 catégories de consommation. À l’opposé, les entreprises choisissent leurs facteurs de production au niveau sectoriel (30 secteurs économiques) qui sont ensuite agrégés pour être réalloués aux secteurs/agents correspondants. Ce modèle a été développé par le laboratoire ERASME (École centrale de Paris), la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (CCIP), le Bureau fédéral du Plan de Belgique (FPB), et l’École polytechnique d’Athènes (NTUA). Il a déjà été utilisé pour de nombreux travaux européens et français d’étude d’impact, notamment dans le domaine de l’énergie. Voir www.erasme-team.eu.
10 Dans tous les scénarios étudiés ici, le prix du pétrole est le suivant : 98 $ en 2008, 66 $ en 2010, 70 $ en 2015, 85 $ en 2020. Cette hypothèse de prix est plutôt modérée. Elle suppose l’adoption généralisée de politiques volontaristes réduisant significativement la demande au plan mondial.
11 Au-delà des conséquences de la crise en 2008 et 2009, la perte annuelle de PIB par rapport au scénario de référence serait de 0,3 point.
12  Le système européen d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (ETS) couvre les émissions de plus de 11 000 industriels en Europe, soit plus de 40 % des émissions. Le secteur hors ETS concerne en particulier le résidentiel-tertiaire et les transports.
13 Le scénario de référence n’intègre que les mesures destinées à respecter les objectifs fixés par le Protocole de Kyoto.
14 Décision n° 406/2009/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009.
15 Compte tenu de la baisse des émissions intervenue entre 2005 et 2008, cette diminution correspond à une réduction de 16,5 % entre 2008 et 2020 pour le secteur ETS français.
16 Ce qui correspond à une réduction d’environ 10 % entre 2008 et 2020.
17 Cf. « La régulation des émissions de gaz à effet de serre dans le domaine du transport », La Note de veille, n° 126, Centre d’analyse stratégique, mars 2009.
18 Voir notamment Tirole J. (2009), Politique climatique : une nouvelle architecture internationale, Rapport du CAE, www.cae.gouv.fr/spip.php?article162.
19 « Emissions Trading Scheme » : ce marché permet aux entreprises dépassant leur plafond d’émission de gaz à effet de serre d’acheter des « quotas » auprès d’entreprises plus performantes, en ligne avec les objectifs européens de réduction de ces missions. En l’état, ce marché ne concerne que les installations industrielles au-delà d’une certaine taille et non l’ensemble des combustibles fossiles : l’essence utilisée pour le transport et le fuel de chauffage n’y sont donc pas soumis. Demander au contraire l’importateur ou au producteur de combustibles fossiles d’acquérir les quotas correspondant à leur contenu carbone permettrait d’inclure dans ce système non seulement le secteur industriel, mais aussi les transports et l’habitat. Pour plus d’informations, le lecteur pourra se référer au chapitre sur les marchés de permis d’émission de CO2 ww.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=648 ou à l’article de Richard Baron et de Cédric Philibert : http://philibert.cedric.free.fr/Downloads/rbcp_rge_07.PDF.
20  Stiglitz J. E. (2010), Le Triomphe de la cupidité, Paris, Éditions LLL, Les liens qui libèrent, février.
21 Le lecteur trouvera des éléments de discussion des paramètres retenus dans les calculs de ce rapport, en particulier de la valeur du taux d’actualisation, notamment dans Gollier C. (2007), « La finance durable du Rapport Stern », Revue d'Économie. politique, 117 (4), 463-473.

22 Stiglitz J. E., Sen A. et Fitoussi J.-P. (2009), Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social.

23 Rapport de la conférence des experts et de la table ronde sur la contribution Climat et Énergie, présidées par Michel Rocard, ancien Premier ministre, juillet 2009 : www.contributionclimatenergie.fr/docs/rocard_rapport.pdf.
24 Schaff C. (2009), « Politiques climatiques : effets distributifs et recyclage des revenus », La Note de veille, n° 134, Centre d’analyse stratégique, mai.
25 Aghion P., Hemous D., et Veugelers R. (2009), No green growth without innovation, ,Bruegel Policy Brief, novembre.

26 Le lecteur intéressé trouvera un grand nombre d’exemples dans les documents publiés à l’occasion du débat public sur les nanotechnologies, www.debatpublic-nano.org.

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Un article du Monde à ce sujet.