De Le Verrier à Al Gore.

Faire du climat un objet de science grâce à des mesures fiables.

Image2Lorsqu’en 1854, Urbain Le Verrier crée le réseau météorologique national, il est à la recherche d’un réseau fiable de mesures et fait table rase du passé.

Pourtant, dès le 18esiècle, avec la vulgarisation du thermomètre et du baromètre, de riches propriétaires terriens, des rentiers, des érudits faisaient régulièrement des mesures météorologiques. Ils en tiraient des conclusions « savantes » sur le lien entre le corps humain et le temps, entre la production agricole et les caractères des saisons ou les excès météorologiques. C’est la société royale de médecine qui a été le plus loin dans l’organisation des relevés quotidiens après que Vicq d’Azyr eut fait mener une enquête sur l’origine de l’épidémie de la peste bovine qui a touché la France en 1775. Cent cinquante 150 médecins ont pratiqué trois fois par jour, pendant dix ans au moins, des relevés avec les méthodes mises au point par l’abbé Cotte. Cependant, faute de temps et de méthode d’analyse, aucune synthèse ne sera effectuée et peu à peu au 19e siècle la médecine minimise la part des facteurs climatiques dans la cause des maladies. Mais les « Histoires du Temps » d’érudits passionnés continuent de s’écrire alors que le réseau de stations s’installe au plus loin du savoir vernaculaire.

Treize villes reliées au télégraphe vont accueillir les premières stations météorologiques. Elles ont pour nom : Abbeville, Avignon, Bayonne, Besançon, Dunkerque, Chalons sur Marne, Le Havre, Lyon, Limoges, Mulhouse, Montauban, Mézières, Strasbourg, en plus de Paris. La rapidité dans la transmission des informations est ainsi privilégiée. Le réseau se densifie ensuite. Il s’internationalise après le premier Congrès météorologique international réuni à Vienne en 1873 qui crée l’Organisation météorologique internationale (devenu Office météorologique mondial). L’ensemble compte 10 932 stations en 2000, mal réparties sur les continents : l’Afrique est celui où elles sont les moins nombreuses. En 2005, la France compte 140 stations principales appartenant à Météo France.

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Fig. 1 Réseau actuel Météo France.

L’organisation internationale a défini les normes des mesures. La station est un enclos gazonné où les appareils sont disposés à une distance des obstacles environnants (arbres, murets, maisons, etc.) égale à quatre fois leur hauteur. Il s’agit de s’extraire de la « réalité » des lieux et de leur diversité (bois, campagnes bocagères, champs, villages, villes). La température est toujours mesurée à l’ombre avec un thermomètre situé dans un abri tourné vers le pôle. Tous les équipements sont de même marque et les relevés sont effectués à heure fixe trois fois par jour avec report des mesures sur un bulletin pré-composé. La standardisation s’affranchit donc de la complexité des territoires. Mais alors comment par exemple appréhender le climat urbain avec de telles contraintes ? Et le climat au-dessus des océans ? L’objectif est de travailler avec des données comparables quel que soit le lieu de leur mesure. Pourtant, en un siècle et demi, l’étalement urbain va grignoter sur les campagnes. Si bien que les plus anciennes stations de mesure « hors les murs » se retrouvent aujourd’hui au cœur des agglomérations (Montsouris par exemple pour Paris), donc dans l’îlot de chaleur urbain que le périmètre normatif ne peut compenser.

Le modèle de station météorologique permet de mesurer un climat « virtuel » au sol ; il le devient encore plus avec les mesures en altitude. L’atmosphère a une épaisseur de plusieurs kilomètres que l’on ne peut observer à terre. Les radiosondages vont permettre de conquérir la troisième dimension à la fin du 19e siècle avec les ballons de Teysserenc de Bort, puis, au 20e siècle, avec les émetteurs embarqués d’Idrac et Bureau. Le volume d’atmosphère de l’ordre d’une dizaine de milliards de km3 d’atmosphère peut être ainsi analysé.

Pour mesurer les paramètres du temps, Le Verrier choisit d’utiliser un personnel peu qualifié, puisque les tâches sont répétitives, mécaniques et requièrent peu de (aucune ?) réflexion. Camille Flammarion décrit ce travail ainsi : « Le parfait service militaire, l’exécution ponctuelle de la consigne administrative » (Mémoires biographiques et philosophiques d’un astronome, 1911, p. 155). Ce choix s’explique par le souhait de mettre à l’écart toute personne ayant une idée sur le climat. Mais les « centurions de base » sont trop peu nombreux eu égard aux besoins pour la prévision. Aussi le réseau utilise-t-il des « bénévoles ». Au début, dans les écoles normales, les directeurs choisiront les volontaires au sein des élèves. Mais les contrôles « permanents » et les blâmes pour travail mal fait conduisent à chercher ce « petit personnel » ailleurs. Aujourd’hui encore, trois mille « bénévoles » mesurent pour Météo France températures et précipitations. Parmi eux, nombre d’agriculteurs, de météophiles très divers qui transmettent leurs données brutes au service départemental, mais font pour eux-mêmes et eux seulement, un travail climatique à partir de leurs mesures !

Des serviteurs dévoués au bas de l’échelle hiérarchique et au sommet des ingénieurs : en cela la structure du service météorologique copie l’usine. Deux grandes écoles vont fournir les « têtes pensantes » : l’école polytechnique dont est issu Urbain Le Verrier et l’École normale supérieure où ce dernier va chercher les physiciens et mathématiciens dont il a besoin. Ce n’est qu’en 1948 que sera créée l’École de la météorologie, qui occupera les locaux de la prestigieuse école française d’officiers de l’armée de terre de Saint-Cyr avant de partir pour Toulouse.

Quant au directeur des services météorologiques, il est nommé par le gouvernement. Ainsi Le Verrier nommé par Napoléon iii sera démis par lui en 1870 puis renommé au même poste par À. Thiers en 1873. Aujourd’hui, Météo France, établissement public administratif sous tutelle du ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables, est dirigé par le ministre de tutelle et un vice-président nommé par le conseil des ministres. Cette fonction échoue donc à des « grands serviteurs de l’État ». J. P. Beysson quitte par exemple ce poste pour un cabinet ministériel en 2004 et son successeur, P. E. Bisch, énarque, y arrive après avoir exercé comme préfet, puis entre autres comme conseiller au cabinet du premier ministre J. P. Raffarin. Cette porosité entre le scientifique et le politique n’est pas nouvelle puisque la météorologie a été une arme de défense nationale. Rappelons que c’est la destruction de quarante navires français et anglais par une tempête en Crimée en 1854 qui accélèrera la
création du réseau. Après la Marine, la prévision se mettra au service de l’aviation militaire. Pendant le premier conflit mondial, les cartes journalières sont vides sur la « zone » du conflit, pour ne pas fournir d’informations à l’ennemi. À partir de 1918, l’aviation civile sera le principal utilisateur des informations météorologiques, d’où le fait que jusqu’en 1993, Météo France dépendait du ministère des transports. Le prix Nobel de la paix, attribué en 2007 à Al Gore et au Giec (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat créé en 1988, Ipcc en anglais) ne fait que rappeler la pérennité de ce lien entre le politique et les spécialistes des sciences de l’atmosphère.

La création des services météorologiques nationaux a répondu au souhait de séparer le savoir scientifique sur le climat du savoir empirique, de la
« sorcellerie ». Elle a conduit à former son propre personnel autant que possible. La nécessité d’échanges d’informations a contraint à « tout standardiser», tout contrôler : de l’installation des stations a-territorialisées, à la production de données, puis à leur traitement et leur utilisation, en créant ainsi un véritable monopole.

 

51.  phi | 14/11/2010 @ 23:38 Répondre à ce commentaire

Patrick Bousquet de Rouvex (#50),
Ben, faut lire le saint livre du giec. Mais comme certains exégètes intègrent Ladurie au corpus, ça se complique un peu pour nous autres du petit peuple. Bourg, moinillon de son état, propose de réintroduire la science en latin stratosphérique. Heureuse initiative favorable à la paix de nos âmes, lesquelles, au fond, n’ont que faire des réglages fins de la fournaise de ce bas monde. Vaquons donc pedibus ignorants, obéissants et satisfaits sous le soleil tant qu’il chauffe et ne rôtit point.

52.  miniTAX | 15/11/2010 @ 0:39 Répondre à ce commentaire

On doit à Emmanuel Le Roy Ladurie, dans sa thèse de 1967, une critique synthétique sans complaisance de cette conception de l’histoire comme étant gouvernée par le climat. En fait, dès 1885, Angot avait soupçonné, pour le cas particulier de la culture de la vigne dans le triangle Bourgogne-Vosges-Jura, que les pratiques techniques des viticulteurs rendaient compte des dates des vendanges et non le “climat”. Mais c’est à Le Roy Ladurie qu’on doit la réfutation la plus complète de cette idée que le climat gouverne l’histoire des hommes : c’est tout l’objet de sa thèse, souvent citée, mais peu lue.

Petite fleur des Alpes (#43),
Super, il ne reste plus à Le Roy Ladurie des années 70 qu’à se mettre d’accord avec Le Roy Ladurie des années 2009. Et à faire lire à LRL2009 la thèse-peu-lue de LRL1967 :

Pour ce dernier tome, je suis allé chercher les dates de début et de fin de vendanges, les récoltes de blé et les rendements des producteurs de pomme de terre.
On m’a pris au départ pour un illuminé mais en auscultant les dates de début de vendange, on peut assez facilement deviner quel fut le climat de l’année.

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