Dromadaires = carbone ?

Petit défoulement, par Araucan.

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Il y a peu de temps, Le Monde puis d'autres ont glosé sur le grand projet australien de réduction des émissions de CO2 de ce pays par l'élimination des dromadaires redevenus sauvages dans l'Outback. L'Australie est un pays superbe avec une flore et une faune tout à fait remarquables pour qui est passionné … Avec l'arrivée de l'homme, sont aussi arrivés plus ou moins volontairement des mammifères euthériens. Lesquels mammifères s'avèrent bien souvent, plus performants dans les écosystèmes australiens que les marsupiaux (mammifères méthatériens) originaires de ce continent dans leur immense majorité. Ainsi le dingo (arrivé avec les aborigènes), la vache, le mouton, lapins et dromadaires arrivés avec les européens …

Certains de ces mammifères introduits et domestiqués se sont à nouveau ensauvagés et vivent leur vie dans les immenses paysages steppiques ou désertiques de l'Outback. Ils auraient pu faire leur trou gentiment entre les kangourous et les wombats. Las, faute de prédateur, (le thylacine a disparu depuis la première partie du XXe siècle), et grâce également à une adapatation au milieu remarquable, ces animaux introduits se sont mis à proliférer. Je ne vais pas disserter sur le cas du lapin et de la myxomatose …

Le dromadaire fut introduit en Australie  dès le début du XIXe siècle et il aida les Européens à traverser le continent (expédition Burke et Wills en 1860). Ensuite, leurs capacités comme bêtes de trait furent utilisées pour l'équipement des fermes et les transports. Mais dans les années 1930, il fut définitivement supplanté par la voiture et les camions.

Aujourd'hui, il y aurait un million de dromadaires sauvages en Australie, formant et de loin, la plus grande population sauvage de cette espèce au monde et quasiment la seule. L'Australie exporte des dromadaires au Moyen-Orient …

Aujourd'hui, le dromadaire est déclaré malfaisant. Sans maladie, ni prédateur autre que l'homme pour le réguler, il prolifère et induit du surpaturage sur la végétation locale. Autant de moins pour les marsupiaux … De plus, il piétinerait les écosystèmes de lacs salés, abimeraît les points d'eaux et provoquerait de l'érosion en abimant les crêtes des dunes … Il concurrence aussi les espèces domestiques pour le paturage, abime les clôtures (dans un pays d'élevage, ce n'est pas bien vu du tout !) et est prêt à tout pour accéder aux points d'eau. Son rot fait tourner de l'oeil, il blatère et ses pêts généreraient 45 kg de méthane par an et par individu (soit 123 g -près de 184 l- par jour ou encore 1 tonne d'équivalent CO2 par an, paraît-il). Tous les défauts, vous dis-je.

 

Uluru

Eliminer ces quadrupèdes par la chasse dans un pays aussi grand coûte cher : il faut monter des expéditions, utiliser des hélicoptères pour le repérage, que sais-je encore …

Mais l'australien est économe.

Alors pour gagner des crédits à la loterie de Kyoto (où l'Australie est mauvais élève), ne voici pas que l'idée germa de financer l'abattage de ces camélidés par une prime de 56 euros au titre du carbone économisé. Cela va bien sûr générer de la paperasse : Kyoto est une mine pour les papetiers. Mais à moins d'apporter la tête (ou la queue) sur la table du fonctionnaire dispenseur de la-dite prime comment vérifier ?

Et tout cela pour économiser 2 millions de tonnes d'équivalent CO2 ! Il faut donc tuer ce million de dromadaires, ce qui n'est pas une mince affaire, (et pour autant qu'on y arrive sinon c'est reparti pour un tour, le dromadaire s'avérant  se renouveler tout seul)… mais manifestement moins compliqué que de retirer de la circulation 300 000 voitures, l'équivalent donné aux médias en pâture, si je puis dire.

"Le département du changement climatique, qui dépend du gouvernement australien, estime que l’Australie produira 690 millions de tonnes d’équivalent CO2 d’ici 2020…"(Source).

Donc, cette fabuleuse idée économisera à peu près 0,3 % des émissions de tonne d'équivalent CO2 de ce pays. Soit l'épaisseur du trait de crayon ou une partie de l'incertitude sur les mesures des émissions des australiens. Et tout cela pour règler leur compte à des dromadaires, qui n'ont jamais demandé à venir là, qui ont eu le défaut de survivre, de s'acclimater et qui ont servi 70 ans avant qu'on ne les abandonne lâchement dans un coin de désert.

 

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Maintenant tout le monde leur trouve des défauts : ils ne sont pas pur jus aussie, ils mangent trop, ils boivent trop, ils se reproduisent trop, ils cassent, ils ébrèchent les divines courbes des dunes du Grand désert australien, ils mangent le spinifex des kangourous et ils piétinent des marais salés plus ou moins asséchés selon l'époque. En résumé, pour les écologistes, c'est une espèce exotique et envahissante, donc l'horreur, pour les éleveurs, un concurrent et une source de dégats et pour les autres, cela permet soulager sa conscience d'automobiliste quasi obligé dans un pays aussi étendu …

Ainsi naît le consensus : transformez les dromadaires en bouc émissaire et en équivalent CO2 flatulé et éructé, lancez la chasse en 4×4 et avec GPS et transformez le désert en abattoir. Que l'on ne me dise pas qu'il n'y a y rien d'autre à faire avec ces animaux que de les tuer bêtement sans utilité aucune : ils sont pourtant bios, le cuir est utilisable et ils s'exportent …

La lutte contre le CO2 et le développement des ressources naturelles renouvelables, nouvel horizon indépassable du bonheur de l'humanité, devait inaugurer une ère nouvelle dans les relations entre l'homme et la nature. Ici, ils ne génèreront que des Buffalo Bill subventionnés et n'exhaltent que la petitesse d'une imagination enfermée dans un système de pensée clos, prétexte et source de financement.

Comme le lapin, le renard et le buveur de bière (j'aime beaucoup la Cascade), le dromadaire fait désormais partie de l'Australie. C'est l'histoire. Comme les trois précédents, certes, il pête mais il est rustique, renouvelable et utile (je ne ferai pas de comparaison avec les trois précédents dans le cadre australien). Alors, les Aussies, assumez vos dromadaires, gérez-les, mangez-les, vendez-les, faites-en des sacs, nourrissez les crocodiles avec mais reconnaissez que dans votre histoire et dans le désert, ils méritent mieux que de finir en certificats de carbone non émis !

 

Dromadaire

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Pour les relations Homme-Nature, on peut lire Bruno Latour mais je vous conseille fortement un petit livre, très bien écrit et agréable à lire "Le pire ami de l'homme"  ou comment la nature, illustrée par Jeannot Lapin, n'est jamais simple ni prévisible surtout dans ses relations avec l'homme. A réclamer à votre bibliothécaire ou à votre libraire !