Guerres et climat.

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Devant l'ampleur des préoccupations liées au réchauffement de la planète, les stratèges s'intéressent de plus en plus aux conséquences sécuritaires du changement climatique. Des think tanks reconnus publient des études alarmistes sur le sujet. Des ouvrages supposés sérieux évoquent la perspective de futures « guerres du climat ». Un consultant spécialisé n'hésite pas à prédire qu'une augmentation de cinq degrés de la température planétaire moyenne provoquerait un « bain de sang ». L'économiste Nicholas Stern -l'auteur du fameux « rapport Stern » sur les conséquences à long terme du changement climatique (2006) – estime même qu'il y aurait un risque de « guerre mondiale de grande ampleur » si une telle augmentation de la température se produisait. Ce n'est pas tout. L'avènement des « guerres pour l'eau » est annoncé. Et des hordes de « réfugiés climatiques » déferleront bientôt, fuyant leurs terres rendues inhabitables par l'assèchement des sols ou la montée des eaux.

Or, comme on va le voir, il y a tout lieu d'être extrêmement circonspect face à de telles prévisions catastrophistes. L'Histoire nous montre que les périodes « chaudes » sont les plus pacifiques. À l'époque moderne, les évolutions climatiques ne sont pas un facteur essentiel pour expliquer le déclenchement des conflits. Et rien n'indique que des « guerres pour l'eau » ou un déferlement de « réfugiés climatiques » se profilent à l'horizon.


Ce que l'Histoire nous enseigne

Depuis les débuts de la civilisation, les périodes chaudes ont été moins belligènes que les périodes froides car, toutes choses égales par ailleurs, les climats froids génèrent plus de famines que les climats chauds. Des corrélations assez précises entre périodes conflictuelles et périodes froides ont été établies par les historiens. Elles sont particulièrement marquées en Asie et en Europe, et semblent l'être également en Afrique. Ajoutons que ces corrélations sont en diminution depuis les débuts de la révolution industrielle, effet naturel de la modernisation des sociétés, qui les rend moins dépendantes de l'agriculture locale.

S'il existait un lien mécanique entre guerre et réchauffement, le nombre de conflits devrait être en augmentation. Or il est au contraire en diminution. Depuis la fin de la guerre froide, la tendance est en effet très nette. Contrairement à une idée répandue, le nombre total de conflits, après avoir régulièrement augmenté depuis 1945, a diminué depuis lors. Les statistiques du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), provenant des travaux de l'université d'Uppsala, qui sont les plus largement utilisées, montrent clairement cette diminution : près de deux fois moins de conflits recensés aujourd'hui au regard de ce qui était le cas il y a vingt ans (17 en 2009, contre 35 en 1989). Cette évolution tient essentiellement à la rapide décroissance du nombre de guerres civiles. Quant aux conflits internationaux, leur nombre avait commencé à diminuer à partir de la fin des années 1970. Ils ont aujourd'hui, statistiquement parlant, pratiquement disparu du monde moderne. Selon le SIPRI, en 2009, pour la sixième année consécutive, aucun conflit interétatique n'était en cours. De tels conflits n'ont représenté, entre 1999 et 2009, que trois guerres sur trente, soit 10 % du total (Éthiopie/Érythrée, Inde/Pakistan, États-Unis/Irak). Ce phénomène est d'autant plus remarquable que le nombre d'États dans le monde a triplé depuis 1945.
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Au demeurant, l'évolution de la température moyenne mondiale montre même une certaine corrélation inverse. Cette température avait en effet diminué entre 1940 et 1975, alors que le nombre de conflits dans le monde, lui, était en augmentation… Certes, corrélation n'est pas causalité : mais au moins peut-on dire que ces données nourrissent un peu plus le doute sur l'équation hypothétique selon laquelle un monde « plus chaud » serait un monde « plus conflictuel ». En 2007, le prix Nobel de la paix avait été attribué conjointement aux deux symboles du combat contre le réchauffement planétaire : le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), d'une part, et l'ancien vice-président américain Al Gore, d'autre part. Rarement l'attribution d'un prix Nobel de la paix aura été autant en décalage avec la réalité géopolitique.


Un concept erroné

Bien sûr, certains changements locaux du climat peuvent avoir un impact sur l'équilibre des sociétés et, ainsi, accroître – généralement de façon marginale – la propension à la violence collective dans certains pays en développement. C'est le cas par exemple pour les sécheresses, dans les sociétés fortement dépendantes de l'agriculture pluviale.
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Mais rien ne permet d'en tirer des conclusions déterministes. D'autant qu'il existe même des exemples en sens inverse. Par exemple, à la frontière du Kenya et de la Somalie, les conflits sont plus nombreux lorsque la ressource (pâturages) est abondante. (C'est d'ailleurs ce qui se passe aussi avec d'autres ressources naturelles, telles que le pétrole ou les minerais : leur présence attise les convoitises et nourrit les guerres civiles.)
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Les variations locales du climat sont bel et bien l'une des causes profondes du conflit du Darfour, par exemple… mais certainement pas une explication essentielle. Car comment expliquer, si c'était le cas, que les violences au Soudan aient commencé près de trente ans après le début de la période actuelle de sécheresse dans la région ? Les conflits qui ont eu lieu au Sahel dans les années 1970 montrent d'ailleurs que ce sont d'abord et avant tout les facteurs politiques et humains qui sont la clé lorsque l'on recherche les causes des guerres. Dans cette région, les deux décennies précédentes (années 1950 et 1960) avaient été particulièrement pluvieuses ; les gouvernements avaient favorisé la mise en culture des steppes, ce qui avait déplacé l'élevage vers le nord. Lorsque les pluies se firent de nouveau plus rares, les éleveurs voulurent retrouver leurs terres et se heurtèrent aux cultivateurs eux-mêmes aux prises avec la sécheresse. L'ensemble se greffait sur la rivalité traditionnelle dans cette région de l'Afrique entre nomades et sédentaires ; mais celle-ci fut entretenue, voire encouragée, par les responsables locaux ou nationaux. Et au nord du Mali, la rébellion touareg n'aurait sans doute pas eu lieu sans la radicalisation des jeunes Maliens qui avaient émigré en Algérie et en Libye du fait de la sécheresse.
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Force est de constater que les prévisions les plus inquiétantes en la matière – voir les ouvrages cités plus haut – sont rarement le fait des spécialistes. Les experts les plus pointus des liens entre conflits et environnement se montrent, eux, beaucoup plus circonspects. L'analyse très complète développée en 2007 par le Conseil consultatif allemand pour le changement planétaire (une organisation peu suspecte de climato-scepticisme) note qu'il n'existe à ce jour « aucune preuve de ce que les problèmes environnementaux sont une cause directe de guerre ». Elle exprime là une position très largement répandue chez les bonsconnaisseurs du sujet. D'autres auteurs sont encore plus catégoriques : « Le concept de conflit environnemental – disent-ils – est (…) fondamentalement erroné ». Comme le précisent deux spécialistes, « les chaînes de causalité qui vont du changement climatique à des conséquences sociétales telles que la guerre sont longues et empreintes d'incertitudes » au point qu'il est légitime pour eux de se demander « s'il est véritablement fécond sur le plan conceptuel de parler de liens entre conflits et changements climatiques ».
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Non seulement parler de « guerres climatiques » n'a guère de sens, mais cela peut même être dangereux. Lorsque Ban Ki-moon, le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU), avance que le changement climatique est sans doute une cause essentielle du conflit du Darfour, les vrais responsables des massacres doivent applaudir des deux mains. Car « faire du changement climatique un facteur de conflits d'un nouveau type est à la fois erroné et contre-productif. Par exemple, se contenter d'étiqueter le conflit du Darfour comme "guerre climatique" fait abstraction des motivations politiques et économiques du conflit – et laisse inopinément le régime de Khartoum s'en tirer à bon compte ».
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Il n'est pas sérieux non plus d'imaginer que la Russie et l'Otan pourraient se faire la guerre pour le contrôle des routes circumpolaires – passage du Nord-Ouest et route maritime du Nord, de plus en plus souvent libres de glaces – ou celui des ressources non exploitées de l'Arctique. À échéance prévisible, ces « nouveaux » passages maritimes ne seront ouverts que quelques semaines ou quelques mois par an, ce qui limitera leur valeur stratégique. Quant aux ressources naturelles inexploitées de la zone (dont l'ampleur est d'ailleurs encore très discutée), elles se trouvent pour la plupart à l'intérieur des zones maritimes nationales. En outre, la Norvège et la Russie ont réglé en 2010 le contentieux qui les opposait depuis quarante ans sur la délimitation de leurs zones maritimes respectives.
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L'interruption du Gulf Stream est un scénario apprécié des auteurs de politique-fiction, et l'étude de ses conséquences possibles par un cabinet de consultants à la demande du Pentagone avait défrayé la chronique en 2004. Pourtant, la crédibilité d'un tel cas de figure est pour le moins sujette à caution. Plus que par la circulation thermohaline (écarts de température et de salinité des eaux), le Gulf Stream est en effet animé, on le sait maintenant, par… le vent. Et son rôle dans le caractère tempéré du climat européen est aujourd'hui très discuté.
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Enfin, rien n'indique que le réchauffement soit de nature à accroître le nombre de catastrophes météorologiques porteuses de graves conséquences humanitaires. Certains centres de recherche affirment que le nombre de ces catastrophes est en augmentation depuis trente ans. Mais ils ne prennent en compte que les événements ayant causé un nombre de victimes significatif (dont l'augmentation s'explique par la propension croissante des populations à s'installer dans les zones à risque), et pour lesquels un état d'urgence a été déclaré ainsi qu'un appel à l'aide internationale lancé (appels dont la fréquence est en augmentation pour des raisons politiques et médiatiques). Par ailleurs, l'effet statistique tient également au fait que notre capacité de surveillance des événements augmente avec le temps.
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Rappelons au demeurant que les catastrophes naturelles peuvent parfois avoir des effets indirects bénéfiques sur le plan de la sécurité : l'une des plus importantes de l'histoire moderne, le tsunami de 2004, eut pour conséquence indirecte la stabilisation du conflit sécessionniste de la province indonésienne d'Aceh.


Des guerres pour l'eau ?

L'un des avatars de la notion de guerre climatique est l'idée de futures « guerres pour l'eau ». De telles guerres sont annoncées depuis la fin des années 1980, mais le thème a gagné en popularité depuis la fin de la guerre froide. À en croire de nombreux observateurs, elles seront exemplaires des conflits du nouveau siècle. D'ailleurs « les lignes de bataille des futures guerres de l'eau [seraient] déjà tracées ». Il est vrai que la carte du stress hydrique à l'horizon 2025-2030 recouvre en grande partie celle des zones de crise géopolitique (notamment la péninsule arabique et l'Asie centrale).
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Mais si le réchauffement climatique doit conduire à une modification de la géographie des précipitations, il n'impliquera pas pour autant une diminution de la ressource hydrique globale. Dans de nombreuses régions, il y aura même un accroissement de cette ressource du fait de l'augmentation des précipitations. Selon les études les plus récentes, les changements climatiques – quelle que soit leur origine – ne seraient responsables que d'une faible part des pénuries d'eau : l'augmentation de la population en est, de loin, la cause principale.

La fonte possible des glaciers himalayens va-t-elle conduire à une pénurie d'eau en Asie du Sud, ce qui pourrait affecter la stabilité dans la région ? Sur ce point, le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) a commis une erreur inouïe dans son rapport de 2007 – erreur due à une série de confusions. Le texte affirme que ces glaciers pourraient avoir disparu à 80 % en 2035. Or cette date ne provient pas d'un article scientifique, mais d'un rapport de 2005 du World Wildlife Fund. La source de ce rapport était un article publié en 1999 dans l'hebdomadaire New Scientist dans lequel était évoquée une prévision lancée lors d'une interview par un glaciologue indien, Syed Hasnain. Quant à la proportion des glaciers appelée à disparaître – le rapport du GIEC évoquait une réduction de 500 000 km carrés à 100 000 km carrés (soit 80 %) -, elle aurait dû mettre la puce à l'oreille des relecteurs… puisque la surface actuelle des glaciers himalayens est seulement d'environ 33 000 km carrés ! En fait, le GIEC s'était fondé sur un rapport commandé en 1996 par l'UNESCO, dans lequel le glaciologue russe Vladimir Kotlyakov envisageait la réduction de 80 % du total des glaces non polaires dans le monde pour… 2350. Ce recours à des publications non scientifiques est aussi ce qui a amené le GIEC à avancer, à tort, que l'Asie du Sud dépend essentiellement de la fonte des glaciers himalayens pour son alimentation en eau (en se fondant sur le rapport Stern et non sur des études scientifiques). Or les études les plus récentes montrent que la fonte des glaciers ne compte que pour 3 à 25 %, selon les cas, de l'alimentation des fleuves d'Asie du Sud : les moussons et la fonte saisonnière des neiges en sont la source principale.

Plus largement, l'Histoire doit, ici encore, inciter à la prudence. La question de l'eau est indubitablement une dimension importante de nombreuses crises régionales, en particulier au Moyen-Orient. Elle fait l'objet de contentieux anciens entre la Turquie et la Syrie, ainsi qu'entre l'Égypte et le Soudan. La valeur de lieux stratégiques tels que le Golan et le Cachemire n'est pas pour rien dans les conflits qui opposent depuis soixante ans la Syrie et Israël, l'Inde et le Pakistan. Et le partage de l'accès à l'eau est parfois la cause d'affrontements intercommunautaires en Afrique ou en Asie. Mais les spécialistes de l'Université de l'Oregon, qui entretiennent la base de données la plus complète sur le sujet, notent qu'en quatre mille cinq cents ans – période au demeurant suffisamment longue pour avoir vu de nombreux changements climatiques – il n'y a jamais eu aucune guerre pour l'eau, c'est-à-dire de conflit majeur dans lequel le contrôle de l'eau était l'enjeu central. La dernière « guerre pour l'eau » opposa deux cités sumériennes à propos des eaux du Tigre et de l'Euphrate, au milieu du troisième millénaire avant notre ère. Il y a de bonnes raisons à cela. Le pays situé en aval d'un cours d'eau qui prendrait l'initiative d'un conflit s'exposerait à des représailles et devrait donc s'assurer le contrôle complet et permanent de la ressource, objectif pour le moins ambitieux. Et à l'époque moderne, une guerre pour l'eau serait beaucoup plus coûteuse que, par exemple, la construction d'une usine de désalinisation pour les pays disposant d'un accès à la mer (ce qui est le cas de nombreux États en situation de fort stress hydrique, par exemple sur la péninsule arabique). Il n'est pas surprenant, dès lors, que les problèmes d'accès à l'eau aient toujours généré bien plus de coopération que de violence entre les acteurs concernés. Depuis l'Antiquité, des milliers d'accords et de traités ont, en effet, été conclus pour le partage et la bonne utilisation des eaux. La coopération entre adversaires se poursuit même souvent en temps de guerre, comme on l'a vu par exemple au XXe siècle au Moyen-Orient, en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est…


Les barbares à nos portes ?

Certains augures estimaient au milieu des années 1990 que les « réfugiés climatiques » étaient déjà vingt-cinq millions à l'époque, et que leur nombre doublerait quinze ans plus tard pour atteindre peut-être deux cents millions en 2050. Cette dernière projection a été reprise depuis lors par de très nombreuses études alarmistes. L'ONG Christian Aid prévoit, elle, pas moins de deux cent cinquante millions de réfugiés climatiques à cet horizon.
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Sur la longue durée, les changements environnementaux peuvent bien entendu générer des déplacements de populations. Rappelons que ceux-ci ne sont pas l'apanage exclusif des pays en développement : dans les années 1930, le Dust Bowl, une série de tempêtes de poussière qui affecta pendant une décennie les grandes plaines d'Amérique du Nord, provoqua la migration vers l'Ouest de deux à trois millions de personnes. Mais ces déplacements sont progressifs (il s'agit là de migrants plutôt que de réfugiés) ; très dépendants des opportunités économiques qui se présentent ailleurs ; et, généralement, de faible ampleur géographique. Du reste, ils ne sont même pas forcément d'origine climatique : la désertification et l'appauvrissement des sols sont souvent dus à la surexploitation du milieu naturel. Le même raisonnement vaut pour les populations qui pourraient être affectées par la montée du niveau de la mer. L'hypothèse d'une augmentation du nombre de réfugiés du fait du réchauffement climatique n'est, d'après les spécialistes les plus pointus du sujet, qu'un scénario possible parmi d'autres (et pas forcément le plus probable, selon eux). À supposer même que les hypothèses du GIEC se réalisent, est-il inconcevable d'imaginer que l'homme puisse tout simplement s'adapter à une montée des eaux de quelques millimètres par an, comme il le fait depuis des siècles ? Les catastrophistes évoquent des migrations massives, comme si cette montée du niveau de la mer allait se produire en quelques jours. C'est évidemment une absurdité. D'autant plus que, au rythme de 2 à 6 millimètres par an – la fourchette des scénarios du GIEC -, certains pays continueraient à gagner autant en surface par sédimentation qu'ils en perdraient du fait de l'érosion. Par exemple, l'engloutissement partiel du Bangladesh, l'une des zones les plus densément peuplées du monde, est souvent présenté comme une conséquence prévisible de la montée du niveau de la mer. Mais cette hypothèse est fragile : elle ne tient pas compte de l'apport de sédiments charriés par les rivières de l'Himalaya (au moins un milliard de tonnes par an), qui compensera largement la montée du niveau de la mer.
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C'est pourquoi les spécialistes de la question, qui n'ont pas attendu le débat actuel pour l'étudier, estiment généralement que « le changement climatique en soi est rarement à l'origine des migrations ». Les grands flux de populations liés au changement de l'environnement ou du climat, qu'ils soient rapides à la suite d'une catastrophe (« réfugiés ») ou lents du fait des modifications des conditions locales (« migrants »), resteront exceptionnels. Et, s'ils peuvent bien entendu affecter les équilibres culturels, sociaux et politiques, ils ne sont que très rarement la cause de conflits violents.
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Il n'est pas sûr que la notion même de « réfugiés climatiques » ait une quelconque pertinence. Les catastrophes d'origine atmosphérique (ouragans) ou hydrologique (inondations) peuvent créer des déplacements massifs de personnes. Mais ces catastrophes ont toujours existé ; pourquoi alors ranger leurs victimes dans une catégorie particulière, les distinguant ainsi de celles qui sont causées par les catastrophes d'origine géologique (tremblements de terre, tsunamis, éruptions volcaniques), dans lesquelles les activités humaines ne peuvent avoir aucune responsabilité ?
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La notion de réfugiés climatiques évoque le fantasme des migrations massives de hordes de pauvres en guenilles, des « barbares climatiques » assiégeant les pays riches telle une « armée de zombies ». Elle en dit au fond beaucoup plus sur les peurs occidentales que sur la réalité prévisible des effets des changements climatiques.

Se méfier des effets de mode

Il est devenu de bon ton de considérer que le changement climatique aura immanquablement un impact sur les politiques de défense et de sécurité des pays occidentaux. Les états-majors et les directions de la prospective dissertent gravement, depuis quelques années, sur cette « nouvelle menace ». Or, comme on l'aura compris, il semble pour le moins hasardeux d'en faire un paramètre essentiel pour la prévision des évolutions géostratégiques futures.
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Faut-il au moins compter le réchauffement planétaire au nombre des facteurs susceptibles d'affecter l'environnement sécuritaire ? Sans doute. Mais à condition d'avoir conscience de l'impossibilité d'en prévoir utilement les conséquences pour les politiques de défense et de sécurité. Il est raisonnable de dire que le changement climatique peut avoir un effet amplificateur d'instabilité (ou « threat multiplier ») dans certains pays. Mais cette affirmation ne signifie nullement que la conflictualité ou la défaillance des États s'en trouvera nécessairement accrue. Tout dépendra de l'ampleur de cet effet et des réactions des sociétés concernées, qu'il est absolument impossible d'anticiper aujourd'hui. L'environnement (et le climat en particulier) est « un facteur non essentiel (…), un parmi une myriade d'autres dans le tissu de relations de causalité qui explique les conflits ». Les causes principales des conflits contemporains sont d'ordre sociétal et non naturel. Les guerres naissent avant tout des choix et des erreurs des hommes.
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Les grands conflits de la décennie passée – Afghanistan, Irak, Sri Lanka, Libye, Côte d'Ivoire, etc. – n'ont rien à voir avec le changement climatique. Et rien ne permet de soutenir la thèse selon laquelle le facteur climatique peut jouer un rôle clé dans le déclenchement d'un conflit, être en quelque sorte « la goutte d'eau qui fait déborder le vase », comme le suggère une étude alarmiste (en citant encore une fois le cas du Darfour) qui a eu beaucoup de succès dans les milieux stratégiques.

Par ailleurs, les effets régionaux du changement climatique sont aujourd'hui très difficiles à prévoir et les outils actuels ne semblent pas à la hauteur des enjeux politiques et économiques. Le GIEC lui-même souligne que les modèles utilisés n'ont pas la capacité d'établir des prévisions fiables à une échelle inférieure à celle du continent. Personne ne sait, par exemple, si la mousson africaine remontera vers le nord (avec des effets positifs sur l'agriculture) ou si elle se rétractera vers le sud (effets négatifs). Dans ce domaine, comme le note un membre du GIEC, « le désaccord entre modèles est total ». Et lorsque le GIEC se risque à citer des prévisions régionales sur l'évolution de la ressource agricole, c'est de manière hasardeuse. Son rapport de 2007 évoque une réduction de 50 % du rendement de l'agriculture pluviale dans certains pays d'Afrique d'ici à 2020. Or la source unique sur laquelle il se fonde pour étayer cette hypothèse est un rapport produit pour une ONG canadienne dans lequel sont évoquées des études mentionnant la possibilité de ce scénario pour les pays du Maghreb.

Pour sérieux qu'ils soient, les domaines de la stratégie et de la défense sont tout autant soumis aux effets de mode que d'autres champs sociaux contemporains. Parce qu'elle concerne l'avenir à long terme des sociétés humaines, la prospective doit prendre garde à ne pas céder à de tels effets.
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Bruno Tertrais
Maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
@@@@@@
151.  scaletrans | 28/09/2011 @ 17:31 Répondre à ce commentaire

Clem (#150),

Non, je suis sûr qu’il s’agit de deux personnes différentes, mais bien proches cependant.

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