Consensus


On peut se demander pourquoi vouloir améliorer le fonctionnement du GIEC. Parce qu'en améliorant son fonctionnement, on aura une meilleure idée des débats et difficultés sur le climat mais aussi parce que cela fera école pour d'autres groupes. Il ne faut pas être égoïste sur ce sujet !

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Une traduction reprise du blog de Judith Curry, Climate etc.

Les évaluations scientifiques doivent-elles être consensuelles pour faire autorité ?

par Judith Curry

La gestion par consensus au sein des procédures du GIEC et dans la communication publique qui s'ensuit est devenue une source de vide scientifique plutôt que d'apports scientifiques réels au milieu des discours sociaux désordonnés sur le changement climatique.– Mike Hulme

Un essai provocant de Mike Hulme est inclus dans le récent livre intitulé Future Directions for Scientific Advice in Whitehall.  Quelques citations :

Une des attentes habituelles du public sur la science, est qu'elle parle avec autorité sur la façon dont le monde physique fonctionne  et sur les conséquences physiques probables des différentes actions de l'homme et des actions politiques. La science et les scientifiques sont sensés offrir un discours différent à la vie publique par rapport à ceux offerts par les politiciens, les journalistes, les avocats, les prêtres ou les célébrités. Mais qu'entend-on par «faire autorité»? Et comment la pratique scientifique peut-elle gagner et maintenir son autorité face à la mise en cause publique et au scepticisme? La question à laquelle je souhaite répondre s'écrit simplement comme ceci : le prononcé d'un consensus scientifique sur une question telle que le changement climatique augmente-t-elle ou affaiblit-elle l'autorité de la science? Et pour qui exactement de telles déclarations sont efficaces – les scientifiques, les différents publics, les décideurs, les politiciens ?

En faveur du consensus

L'argument en faveur d'un consensus faisant autorité est qu'il reflète ce que la science est soi-disant seule capable de fournir : appliquer des règles de raisonnement et de déduction qui conduisent sans ambiguïté et de manière universelle des indices à la conclusion. Un même indice présenté devant un même esprit de la même discipline doit conduire exactement à la même conclusion. Sous cette perspective, un manque de consensus porte atteinte à l'autorité de la science, car cela suggère soit que des conclusions contradictoires ont été atteintes prématurément soit que des valeurs ou des biais personnels ou culturels ont ressurgi lors du raisonnement.

C'est la position qui semble être implicitement assumée par de nombreux protagonistes du débat sur le changement climatique, qu'ils soient traditionnels ou critiques.

C'est aussi l'avis de nombreux critiques du discours scientifique habituel qui affirment que de la science bien menée – via les processus de raisonnement impartial – devrait conduire à l'unanimité. En pointant  la simple existence de positions divergentes minoritaires hors des déclarations du GIEC,  ils saperaient ipso facto l'autorité de la science aux yeux du public. Bien sûr, cela reflète une vision très particulière (puriste) de la connaissance scientifique, ce que des chercheurs comme Bruno Latour ont décrit comme «l'illusion moderniste de la science». Et pourtant, il fournit à un large éventail de protagonistes une défense utile contre les relativismes culturels.

Contre le consensus

Mais les raisons avancées contre un consensus faisant autorité, au moins dans le contexte de problèmes épineux comme le changement climatique et au moins dans la manière dont le GIEC l'a promu, me semble être plus convaincantes.

La première raison fonctionne par analogie. La règle de la majorité  est très efficace pour maintenir l'autorité dans des institutions sociales telles que les parlements et les tribunaux, qui requièrent des votes de députés et de jurys. Le consensus n'est pas nécessaire pour une règle ou un jugement destiné à des contextes publics plus larges. Et quelles que soient les différences sur lesquelles nous pourrions insister entre la nature du débat scientifique et celle du débat politique (ou du jury), nous devons reconnaître que les évaluations scientifiques tels que le GIEC sont établis explicitement sur le même mode social (i.e délibératif) que les institutions qui recherchent des preuves. Il y a bien d'autres dimensions dans la construction d'institutions faisant autorité et générant la confiance que la seule unanimité parmi les membres : par exemple, des procédure équitables et convenues d'un commun accord, le respect de la dissidence, l'acceptation des résultats. Peut-être que l'autorité du GIEC, tant aux yeux des critiques que du public, peut-être même aussi aux yeux des hommes politiques – sortirait donc renforcée s'il agissait selon ses propres règles en incluant les avis minoritaires dans le Résumé pour décideurs (ce qui n'a jamais été fait).

Deuxièmement, l'exigence d'un consensus est pernicieuse – afin de protéger l'autorité du groupe, elle pousse à trouver un accord dans un groupe d'experts où il n'y a pas d'accord. Peut-être que le GIEC devrait plus ouvertement adhérer à l'idée de solliciter l'avis d'experts, ou même de faire voter les experts comme cela a été suggéré par David Guston: «Un organisme scientifique qui ne participe pas à … une politique de choix social transparent – celui qui cache ses deux désaccords de fond et de ses intérêts disciplinaires et sectorielles sous un manteau de consensus – n'est pas un entièrement démocratique ». Par exemple, une telle approche de désaccord pourrait utilement être appliquée au cas de la controverse sur la hausse du niveau des mers dans le 4e rapport d'évaluation du GIEC. Il rend les désaccords explicites et reflète mieux la quasi-rationalité de la délibération scientifique. Un autre exemple de la façon dont cela pourrait renforcer l'autorité serait le cas du groupe de spécialistes des ours polaires de l'UICN et la sollicitation de l'avis d'autres experts.

Et, troisièmement, la présence officielle – même bien accueillie – d'opinions minoritaires crédibles, révélant ainsi l'ampleur des dissensions, améliorerait effectivement l'autorité de la science. Elle montrerait qu'il est «OK d'être en désaccord» et indiquerait donc que les procédures de délibération d'un organe tel que le GIEC sont justes et accueillent toute la gamme de points de vue qualifiés. Pour que la science fasse autorité, il faut donc accueillir – en fait rechercher – les avis critiques. Dans le cas de grandes évaluations internationales comme le GIEC, le processus ne devrait pas seulement permettre d'inclure les avis minoritaires dans les règles de procédure, mais de s'assurer que ces rapports minoritaires sont activement facilités. Comme Dan Sarewitz l'affirme : «La science offrirait une meilleure valeur à la politique si elle s'articule sur un ensemble plus large d'interprétations, d'options et de perspectives plausibles, imaginées par les meilleurs experts, plutôt que de forcer la convergence vers une voix prétendument unique."

Climategate, le consensus et l'affaiblissement de l'autorité

L'obsession d'un consensus d'exclusion a été la véritable tragédie du Climategate. Non que les e-mails du Climatic Research Unit (CRU) aient révélé un trucage fondamental de données de fond ou des pratiques frauduleuses, mais ils ont montré une culture scientifique fermée à la critique et résistante à l'échange ouvert de données. Lorsque ces pratiques ont été exposées publiquement, la ténacité de la défense des frontières entre scientifiques et le reste du monde a paradoxalement affaibli l'autorité auprès du public de la climatologie plutôt que de l'avoir renforcée. Le résultat fut exactement le contraire de ce que les scientifiques du climat du CRU et d'ailleurs ont cru obtenir. En conséquence, les climatologues sont devenus des cibles aisées, du fait de leurs pratiques d'exclusion allant à l'encontre de la nature du débat public et de la critique. Et cela, à son tour, a permis aux politiques critiques des politiques climatiques d'utiliser une puissante stratégie de diversion. Les espaces d'affrontements d'arguments démocratiques légitimes et sains sur les politiques climatiques est devenu le terrain, certes accrocheur et divertissant, de discussions sur l'autorité de la science.

En refusant d'accepter et de légitimer des rapports d'avis minoritaires, le GIEC a ouvert la voie à une puissante rhétorique en retour opposée à l'idée de consensus. La relation entre les preuves scientifiques et les politiques publiques est suffisamment sous-déterminée pour justifier dans les évaluations à grande échelle telles que le GIEC, de multiples façons d'accueillir des positions dissidentes ou minoritaires. En le faisant, leur autorité grandirait.

@@@@@@

115 réponses à “Consensus”

  1. minitax (#99),

    Hitler : “L’Homme ne doit jamais croire qu’il a le statut de seigneur et maître de la Nature… il doit plutôt comprendre la nécessité fondamentale des lois de la Nature et comprendre à quel point, sa propre existence est subordonnée à ces lois de la lutte éternelle.”

    Oui, c’est ainsi qu’il justifia la guerre impitoyable qu’il mena aux russes qu’il considérait comme des sous-hommes et l’extermination des juifs qu’il voyait plus comme une espèce malfaisante et dangereuse.

  2. minitax (#99),

    Il semble que vous ne comprenez pas ce que j’écris, je m’en excuse.

    Je répète donc que je ne récuse pas les références au nazisme quand elle sont justifiées comme c’est le cas dans votre message. Je dis simplement que quand on fait ce genre de référence, il faut le faire de manière très très pertinente ce qui n’était de toute évidence pas le cas dans le message de Rouvex au sujet de la situation de sa femme qui décrit simplement une dynamique de groupe banale. Autrement dit, le fait que le RCA est un des piliers de la religion écologiste ne fait pas des écologistes des nazis et des sceptiques, leurs juifs.

    Si vous ne comprenez toujours pas, je peux vous faire une image : imaginez un type qui bosse chez Apple et qui se pointe avec un Samsung ou qui dit qu’il préfère Android …

    de Rouvex (#100),

    Je ne sais pas si vous avez remarqué mais j’essaye de parler au minimum de votre femme et j’essaye aussi de vous épargner de mes avis tranchés sur les écologistes. Je vous invite aussi à ne pas devenir personnel, cela ne sert à rien.

  3. Agamemnon (#93),

    La solution finale pour les nazis, c’était pour la bonne cause, le bien du peuple allemand.

    La dictature verte, pour les écologiste, c’est pour la bonne cause, le bien de la terre.

  4. Les écologistes, ce n’est pas pour les Juifs qu’ils veulent la solution finale, ni seulement pour les sceptiques, mais pour l’humanité, en commençant le travail par les plus pauvres :

    Les écologistes n’aiment pas l’humanité

    Je pense que, plus que de Rouvex, qui n’a pas fait une comparaison avec le nazisme mais a utilisé une image pour restituer une ambiance, certains amis des animaux ont de bonnes raisons de se voir reprocher une analogie avec le nazisme pour le moins inadéquate, que personnellement je trouve scandaleuse :

    L’élevage, l’abattoir et la Shoah

  5. jean (#102),

    imaginez un type qui bosse chez Apple et qui se pointe avec un Samsung ou qui dit qu’il préfère Android …

    Non, je ne trouve pas votre comparaison plus valable que la mienne : il s’agit d’un cas banal d « intelligence » avec la concurrence, qui ne vous fait pas traiter de négationniste et vous fait subitement regarder avec le plus grand mépris : l’aspect croyance est évacué. Personne n’a jamais promis la destruction à un amateur de portables concurrents, que je sache.

  6. de Rouvex (#105),
    la différence c’est le fait que la violence dans un cas est justifiée moralement, est opposable aux autres.

    pour le choix entre iPhone te android c’est comme pour une équipe de foot.

    par contre si on vous accuse de faire bosser des enfants, de participer au génocide du Kivu, en achetant un téléphone, et que l’on vous insulte , vous discrimine pour ce choix…
    c’est le début d’une sombre histoire.

    moi j’ai vu passer des affiches de contre vérité « durables » dans mon entreprise, et je sais bien qu’il serait dangereux de rappeler les faits.

    j’ai mêmle refusé de participer a un concours de projet, alors que je bosse dans un projet industriel qui résoud leurs problèmes, parce que je sais que ca serait contre productif.

    comme proposer des préservatifs à une conférence catholique contre les MST.

  7. Je dis simplement que quand on fait ce genre de référence, il faut le faire de manière très très pertinente ce qui n’était de toute évidence pas le cas dans le message de Rouvex au sujet de la situation de sa femme qui décrit simplement une dynamique de groupe banale.

    jean (#102), effectivement, le parallèle juif est AMHA exagéré, je n’ai pas dit le contraire. Mais par contre, minimiser cette situation comme « une dynamique de groupe banale » est très grave. Car ce qui est arrivé à Mme de Rouvex est de la dictature intellectuelle typique des régimes communistes, où la dissidence est forcée de faire son autocritique en public ou de subir les foudres de la pensée unique. On a laissé s’instituer un de Ministère de la Vérité qui dicte aux gens ce qu’il faut penser et surtout ce qu’il ne faut PAS penser.
    Le résultat de ce genre de processus a été bien plus tragique en terme de bilan humain que le génocide juif rien qu’en prenant le nombre de victimes directs et indirect du Lysenkoïsme (pour le décompte total, cf par ex. le Livre Noir du Communiste, écrit pourtant par des gauchistes, faut-il le rappeler !). Si, pour l’instant, les conséquences ne sont « que » matérielles et sociales pour Mme PBR, c’est juste parce que les fanatiques n’ont pas encore assez de pouvoir. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé, souvenez-vous des appels à un Nuremberg contre les climato-sceptique pour « crime contre l’environnement ».

    On aurait pu qualifier ce comportement simplement de sectaire, si ce n’est qu’il est largement généralisé à l’échelle de la société et surtout au niveau des organes de pouvoir : éducation, médias, politiques, même la justice (!) c’est donc tout sauf « banal ».
    Les mots ont de l’importance, il faut veiller à leur impact dans l’esprit des gens, le prix de la liberté est une éternelle vigilance.

  8. minitax (#108), Toute notre société tend vers le totalitarisme. C’est fou les atteintes aux libertés qui prennent pour prétexte notre bien être ou notre sécurité. Les autorités sont toutes fières de nous annoncer des dizaines de milliers de contrôles aléatoires sur les routes en ce grand week-end de mai. Ce genre de pratique se banalisent, la police arrêtent des gens qui n’ont rien fait, juste pour voir. Moi, ça me rappelle la Stasi du temps de la RDA. Et ce qui arrive à la femme de notre ami, c’est le prélude au terrorisme des voisins, des enfants, des collègues qui peuvent vous dénoncer et vous ruiner la vie.

  9. AlainCo (#107),

    si on vous accuse de faire bosser des enfants, de participer au génocide du Kivu, en achetant un téléphone, et que l’on vous insulte , vous discrimine pour ce choix…

    Cela m’est arrivé il y a deux ans de la part de proches de me faire reprocher d’acheter un portable qui fait travailler les enfants Chimois dont les usines ont des fenêtres verrouillées pour éviter les suicides ! Comme si j’étais un esclavagiste. Quand ils ont su qu’en plus (?) c’était un sony donc à tous les coups juste rescapé de Fukushima, et donc potentiellement dangereux et que, cerise sur le gâteau, j’ai suggéré que le nucléaire, dont je n’ai pourtant jamais été un partisan féroce, se révélait moins dangereux que d’autres sources d’énergies, et moins coûteux de surcroît que les renouvelables solaires et éolien en service actuellement, j’ai suscité une réaction virulente et je me suis fait traîter de « traître » à l’écologie !!! mon image a commencé à s’écorner sérieusement. Mais heureusement, je n’ai reçu aucune menace !!!

  10. vous avez vu ça ?

    L’événement est co-organisé par Justice Climatique Montréal

    Clive Hamilton étudie les risques considérables de l’application de mesures désespérées pour sauver la planète

    Quand le charlatanisme sectaire s’élève en morale religieuse…
    Je trouve cela terrifiant.

  11. minitax (#108),

    Banal, pour moi, n’enlève rien à la gravité du comportement de ce groupe. Je ne m’en n’étonne pas, c’est tout.

    Sur le reste, je suis d’accord.

    Abitbol (#109),

    Même analyse. Et l’informatique a donné une puissance effrayante aux états. A ce titre, la loi informatique et liberté est très intéressante car destinée au départ à protéger le citoyen de l’état, cette loi sort maintenant l’état de la plupart de son champ.

  12. Abitbol (#109),

    Toute notre société tend vers le totalitarisme. C’est fou les atteintes aux libertés qui prennent pour prétexte notre bien être ou notre sécurité.

    La dernière en date : les « class actions a la française », une bonne idée a priori, mais dévoyée par le fait que seules des associations de consommateurs agrées par l’État, et non des groupements indépendants d’individus, pourront les engager. Mais c’est seulement pour empêcher les abus, n’est-ce pas…
    Et je suis, hélas, quasiment sûr que ceux qui ont simplement pensé cette idée n’ont même pas imaginé les conséquences induites par cette (petite) restriction. Mais je suis peut-être naïf ?

  13. M.Shadok (#113), ce n’est pas propre à l’époque, c’est propre à la culture française : on se méfie de l’individu, des groupes d’individu, on ne fait pas confiance, l’état se mêle de tout, régente tout…
    Ca date pas d’hier.

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