(Ceux qui suivent les fils de discussions en avaient entendu parler … mais là même le Monde en parle ! La première alerte date de juin, voir ici et là…)
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Londres, le 27 août 2009.
Le marché européen du gaz carbonique connaît une sérieuse déconvenue : une fraude vient d'être démantelée en Angleterre par la douane britannique (HMRC), collaborant à travers Europol avec les services douaniers de France et des Pays-Bas. Neuf personnes ont été arrêtées, mercredi 19 août à Londres, suspectées d'avoir détourné 38 millions de livres (44 millions d'euros) en fraudant sur la TVA. "Je ne suis pas sûr que ce soit la fin de l'histoire", dit un opérateur sur la place de Paris.
La concentration des arrestations dans l'ouest de Londres et dans le Kent, zones prospères où vivent de nombreux traders, ainsi que leur mise en liberté provisoire en échange d'une lourde caution attestent que les suspects sont de bons connaisseurs de ce marché. Une partie du butin a servi à acheter voitures de sport, résidences secondaires et yachts, indique la police britannique. Pour brouiller les pistes, les aigrefins présumés ont utilisé plusieurs paradis fiscaux britanniques spécialisés dans l'immatriculation de sociétés écrans et de coquilles vides.
La fraude s'est opérée sur le marché européen des émissions de gaz carbonique (ETS, Emissions Trading Scheme). Mis en oeuvre depuis 2005, il implique près de 11 000 entreprises au sein des 27 Etats membres. Son principe ? Chaque entreprise se voit attribuer un quota d'émissions. Si ses émissions dépassent son quota,elle doit acheter des "crédits d'émission" auprès d'une autre entreprise qui elle, ayant émis moins que son quota, dispose d'un surplus à vendre sur le marché ETS.
Cheminées d'usines (AFP/JOEL SAGET)
Celui-ci se décline sous plusieurs formes : marché "spot" (au jour le jour), marché à terme, ou transactions de gré à gré, dites OTC ("Over The Counter"). La majorité des entreprises passent par des intermédiaires. La principale structure d'échange est la Bourse Bluenext, basée à Paris. Elle voit transiter près de 90 % des transactions (pour un montant de près de 10 milliards d'euros en 2008), et c'est par elle, sur le marché spot, qu'est passé l'essentiel de la fraude.
Les malfaiteurs ont joué sur le fait que la TVA (taxe à la valeur ajoutée) s'appliquait, dans les autres pays européens mais pas en Grande-Bretagne, sur les transactions de CO2. Ils achetaient les tonnes de CO2 en Grande-Bretagne et les revendaient dans les pays où elles étaient soumises à la TVA. Mais au lieu de reverser la TVA à l'Etat concerné, ils en gardaient le montant pour eux.
En enchaînant rapidement ces opérations sur les différentes places et entre les marchés spot et OTC, les fraudeurs ont pu accumuler un montant conséquent de TVA non reversée. Pratiquée de longue date sur des objets tels que les téléphones portables ou les appareils électroniques, cette technique (dite du "carrousel" parce que les opérations se succèdent rapidement) s'est d'autant plus aisément transférée sur le marché du carbone que les tonnes de CO2 sont "des actifs invisibles et difficiles à tracer", comme l'observe Dominic Stuttaford, du cabinet d'avocats londonien Norton Rose. Seules des écritures concrétisent les transactions. La fraude a été détectée au printemps 2009 sur Bluenext. Pour empêcher son développement, l'administration française a rapidement adopté une disposition supprimant la TVA sur les quotas d'émission (Instruction du 10 juin de la direction générale des finances publiques) tandis que les Pays-Bas ont choisi de faire reverser la TVA à l'Etat par l'acheteur. Mais ces décisions qui visent à assainir le marché enfreignent la directive sur la TVA en vigueur depuis 2007 par la Commissioneuropéenne. Celle-ci devrait annoncer en septembre des propositions de modification de la directive pour parer au problème de la fraude, tout en rétablissant l'unité des règles fiscales dans toute l'Union.
La mise au jour de la fraude altère l'image d'un marché des émissions mal compris par l'opinion publique. "Les opérateurs sérieux sont désolés du mauvais effet de cette affaire, observe Emmanuel Fages, analyste chez Orbeo, une filiale de la Société générale. On se bat en permanence pour que ce marché soit mieux compris. C'est en fait un marché normal de matières premières. Ce qui s'est passé n'est qu'un défaut de jeunesse."
La mauvaise image laissée par la fraude détectée en Europe pourrait aussi peser sur les discussions visant à mettre en place un marché équivalent aux Etats-Unis.
L'ETS préfigure par ailleurs le marché mondial des émissions liées au "mécanisme de développement propre" instauré par le Protocole de Kyoto. Celui-ci implique un nombre d'acteurs et de pays encore plus important. Son bon fonctionnement exigera une régulation encore plus attentive, pour l'instant encore embryonnaire.
Il est de surcroît très incertain : "Investir dans le marché du carbone revient un peu à placer ses économies dans un hedge fund ou dans une société de capital investissement. Le rendement potentiel est certes élevé, mais il y a de gros risques liés à des investissements dans les économies émergentes en constante mutation", souligne James Cameron, vice-président de Climate Change Capital, qui gère plusieurs fonds carbone.
Liens utiles : sur le système d'échange de crédits carbone européen , ETS
11 réponses à “Des escrocs investissent le marché du carbone.”
Pourtant, ce n’est pas faute de nous bourrer le mou, bande d’hypocrites !
A la fin de ce siècle, nos enfants et petits enfants se gratteront la tête pour essayer de comprendre pourquoi émettre -très marginalement par comparaison avec la restitution des océans- un gaz indispensable à la vie devait être taxé.
Mais on peut espérer, plus près de nous, lorsque la science sera parfaitement établie sur la question (ce qu’elle est déjà à mon avis), qu’un collectif mette judiciairement en cause les auteurs les plus coupables de cet énorme canular.
Surprenant article venant du journal Le Monde — il place cette histoire de RCA dans une perspective plus vaste — mais il est vrai qu’il est de la section Société et économie…
Sirius (#3),
En fait, c’est Kempf qui n’aime pas le marché carbone et qui préfère la taxe !
@4_Araucan
Ah! Je comprend maintenant…
http://www.objectifliberte.fr/…..-urse.html
http://icecap.us/index.php/go/political-climate
2 liens vers des articles qui pourraient susciter votre intérêt
Tu parles!
joletaxi (#6),
Sur votre second lien, cette histoire du protocole de Montréal qui s’enfonce dans la fuite en avant et où la lutte contre les CFC va passer à la lutte contre les HFC, qui sont en voie d’être classés GES, alors qu’ils sont indispensables à la fabrication des panneaux voltaÏques, on va finir par demander l’application systématique du prinicpe de précaution pour toutes les « bonnes » idées environnementales…
@8_Araucan
Hum! C’est la pente dangereuse qui pourrait en effet se matérialiser. Le principe de précaution est, en « principe même » puisqu’on a affaire à un principe ici et non à un fait, infini…
Selon ce même principe, dans le fond, l’idéal (les idéaux relèvent des principes) est de rien faire, ne rien entreprendre, ne rien risquer donc. Idéalement, pourquoi pas, ne pas exister!
Quoi de mieux en effet pour « la planète »?
C’est marrant, une escroquerie intellectuelle victime d’escrocs bien réels.
@10_Franck Boizard
Qui se ressemblent s’assemblent…