Changement climatique : l’urgence, moteur d’une crise prématurée ?

(Suite et fin)

L’environnement politique n’y est pas totalement ignoré, comme dans le cas de la question du paquet climatique et de l’European Trading Scheme, système d’allocation des droits d’émission de CO2.  Mais le message de l’exposition est valable indépendamment d’une connaissance de cette actualité législative : l’industrie chimique apporte au quotidien, notamment dans la maison et dans la mobilité de ses habitants, des solutions pour réduire notre empreinte carbone. L’actualité politique renforce l’intérêt pour cet outil de communication. En soi, elle ne la crée pas. La meilleure preuve de cet intérêt a été une forte présence des hommes politiques à cette exposition, manière finalement d’habiter cette maison et de la rendre encore plus vivante. Rien n’est pire en effet, qu’une exposition clinquante mais désertée par les visiteurs sollicités. L’exposition Building blocks a réussi son défi aussi parce qu’elle a servi de prétexte à toute une série de contacts, devenant une véritable plateforme de communication, ainsi qu’un film sur You Tube l’a montré. Rien n’est plus difficile de rencontrer les députés européens à Strasbourg, la semaine étant en général fort chargée en raison de la concentration de leur agenda. Le défi était donc aussi de s’y insérer et de leur faire visiter la maison témoin. Ici, l’exposition a bien servi d’intermédiaire, histoire de prouver que l’industrie chimique européenne pouvait offrir un visage plus positif et adopter une stratégie de communication plus pro active que celle qu’on lui attribue souvent.

Ours polaire, zoo de Québec.
Ours polaire, zoo de Québec (Reuters).
Dans cette exposition, l’élément rationnel est limpide (la réduction des gaz à effet de serre) tout comme les bénéfices immédiats (économies d’énergie). Nul message de science fiction, un brin seulement d’anticipation pour quelques applications seulement : c’est au quotidien qu’on travaille pour aujourd’hui et demain. La charge émotionnelle se trouve par exemple dans un voyage à travers les méandres de la matière, autant de bijoux esthétiques, autant de sources d’émerveillement de découvrir en grand les micro-particules qui assurent notre confort. Il s’agit ici de séduire par l’image tant que convaincre par le message : on est au-delà du « Yes we can » et déjà dans le « Yes we do ». Ce genre de démarche ne nie pas la nécessité de devoir investir mais y correspond de manière apaisante en prenant un minimum de distance avec la pression politique et un maximum de proximité avec les besoins des consommateurs.
L’usage du dessin animé « Jumping the climate change hurdle » sur You Tube s’inspire du même souci de rester connecté à l’agenda politique sans être l’otage de ses humeurs. Conçu pour expliquer pourquoi l’industrie chimique soutient un mode de gestion des permis d’émission de CO2 qui favorise l’investissement dans les entreprises, le « benchmarking », plutôt que la vente aux enchères de ces autorisations, le dessin animé entendait aussi faire œuvre de pédagogie à l’égard d’un large public. L’enjeu n’était pas aisé puisqu’il fallait traiter en termes simples et avec l’arme de l’humour un sujet technique, la gestion des permis de CO2. Chacun d’entre nous ne cherche-t-il pas au quotidien le meilleur rapport qualité-prix ? Ainsi doit-il en être de la réduction des émissions de gaz à effet de serre : cherchons la meilleure technologie pour l’investissement le plus rentable et récompensons de tels efforts comme on  distingue les sportifs qui se sont le mieux entraînés jusqu’à se hisser sur les plus hautes marches du podium.

Cet outil de communication s’inspire davantage de la nécessité d’agir rapidement face au risque climatique car nul besoin d’être sur les îles du Pacifique pour sentir les colères de la météo comme le montre le dessin animé. Cependant, on y quitte ces rives inquiétantes pour montrer avec un brin d’humour comment des entreprises chimiques innovantes et performantes contribuent à concilier développement durable et confort moderne. Par là, ce dessin animé tente de faire sortir du cercle intime des spécialistes la question technique de gestion des permis d’émission de CO2.

Cela répond à une exigence qui participe du bon sens : tout consommateur qui cherche à comprendre le prix des produits achetés ou les ́évolutions de sa facture d’électricité aura intérêt à comprendre les conséquences de la législation européenne sur son niveau de vie ou son pouvoir d’achat. Cela répond aussi à une exigence de communication politique : face à une législation qui est si complexe et si importante qu’elle fait face à des critiques, il est essentiel d’inclure sur la scène des parties tierces, tels les consommateurs pour éviter un stérile face à face. D’une certaine manière, la référence à des questions de la vie quotidienne utilise un des ressorts de la communication de crise : viser le long terme en commençant par le court terme sans donc s’arrêter à ce dernier. Investir dans des cellules photovoltaïques par exemple, c’est un investissement à moyen terme (durée de l’amortissement) mais on en voit des retombées immédiates (baisse de la facture énergétique) encore plus appréciables quand le pétrole repart à la hausse.
Que peuvent-nous inspirer ces expériences de communication climatique menées par les différents acteurs du dossier ? D’abord que l’arme de la crise, de l’urgence n’apporte pas toujours l’adhésion escomptée. La communication, bien qu’outil conçu pour transmettre un certain type de message, ne peut faire l’économie de la prise en compte du sentiment de liberté revendiqué par le public visé. Le caractère jugé imparable de certaines démonstrations politiques ou scientifiques du changement climatique doit s’accommoder de la capacité de résistance et de contestation des récepteurs de la communication. Par réflexe, bien au-delà de l’âge ingrat, certains sont en effet prêts à approcher les dangers et menaces d’une réalité, ne serait-ce que pour tester leur propre bravoure voire leur esprit critique.
Pour toutes ces raisons, on l’a vu, l’étendard de l’urgence ne semble pas toujours être le mieux indiqué pour rallier toutes les énergies à la recherche de solutions pratiques face au changement climatique. C’est particulièrement vrai quand ce caractère d’urgence n’est pas palpable par tous. Une communication négative n’a de chance de réussir que si elle est dotée d’un caractère messianique,- suivez moi, si non, c’est le déluge-, option qui n’est pas à̀ la portée de tous les publics. Le représentant américain pour le climat, Tod Stern ne disait il pas lui-même fin mars, que les Américains ne pouvaient «pas chevaucher seuls le cheval blanc et tout régler » ?
Super cellule nuageuse.
Super cellule nuageuse.
Justifier une action contre les émissions de gaz à effet de serre au nom de l’urgence risque fort en réalité de faire passer l’urgence comme sujet principal, homme sujet en soi, et la seule émotion comme vecteur de transmission, on serait tenté d’écrire comme facteur de contamination. Il est frappant de constater à cet égard que le thème de l’urgence climatique a souvent été accolé à des thèmes annexes, mais non secondaires, comme les migrations incontrôlées, la gestion de l’eau, des ressources agricoles dans les pays en voie de développement… Le propos n’est pas de nier la nécessité d’agir. Mais il faut se garder d’employer des sujets trop généraux, trop universels, trop lointains. Car on y gagne en vision stratégique ce qu’on y perd en pragmatisme et en sens du terrain.
L’urgence comme argument de décision est presque aussi périlleuse que celui d’agir pour l’histoire : dans les deux cas, c’est un jugement sur le temps et il n’est pas certain qu’il soit partagé par la suite. Et c’est l’idée de solution concrète qui peut s’évanouir car loin,  trop loin de nos mains… La communication climatique a sans doute mieux à faire à stimuler l’action ou l’investissement car c’est dans notre intérêt, même durable, et non en annonçant une crise qui n’est pas toujours ressentie, selon que l’on habite dans des régions encore tempérées et à des altitudes modérées. Pour qu’il y ait une authentique communication de crise, il faut qu’il y ait une authentique crise.
Pour autant, cela ne nous empêche pas d’utiliser certains ressorts de la communication de crise comme le fait de pratiquer une certaine transparence relative à nos émissions de gaz à effet de serre : partie du problème, nous sommes aussi partie de la solution. Admettre ce genre de constat nous fait sortir de la catégorie peu crédible du super héros pour tenter de gagner celle du héraut, un transmetteur de messages qui doivent être basés sur des arguments solides.

En attendant, la crise n’est pas encore là mais elle n’est pas impossible. Serait-ce partie remise ?

Philippe de Casabianca
Senior Counsellor Communication
Energy, HSE & Logistics Programme
Cefic –  European Chemical Industry Council
www.cefic.be
(Source)

Publié par l’Observatoire International des Crises (OIC)
Magazine de la communication de crise et sensible.