Toujours verts/2


Voici la seconde partie de la traduction de la conférence donnée à l'université de Yale par Michael Shellenberger et Ted Nordhaus. Environnementalistes convaincus mais critiques de l’évolution récente de l’écologie politique, notamment autour des questions climatiques, ces deux auteurs sont fondateurs de la boîte à idées The  BreakThrough Institude. Cet article est sur une rétrospective de leur essai de 2004, "La mort de l'environnementalisme". Voici comment aborder le changement climatique de manière post-environnementale. Merci à Marot et Scaletrans pour la traduction.
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Qu’est-ce qui a dérapé ?

La bulle verte de l'intérêt largement répandu sur le changement climatique et les emplois verts semble avoir été en fait et avant tout un phénomène touchant les élites. Elle a eu peu d'effet dans l'opinion publique générale. Le soutien public pour une action contre le réchauffement climatique a toujours été large mais peu profond, il est resté pratiquement inchangé pendant tout ce temps. En effet, on peut soutenir que le seul impact aussi bien d’«Une vérité qui dérange» que du mouvement des emplois verts a eu sur l'opinion publique a été d'accroître le scepticisme du public sur la science du climat et de diviser l'appui du public à agir à la fois sur le climat et pour les énergies propres.

Pratiquement à partir du moment où «Une vérité qui dérange" a été publié, le scepticisme du public sur le réchauffement climatique a commencé à croître. Le Pew Research Center for the People and the Press a trouvé que de juillet 2006 à avril 2008 la conviction de l'existence du réchauffement climatique a diminué, passant de 79 % à 71 %. Les sondages Gallup ont également révélé une réaction semblable suite au film, avec le pourcentage d'Américains qui pensaient que le réchauffement climatique a été exagéré passant de 30 % en mars 2006 à 35 % en mars 2008.

Il est bien connu que Gore a déclaré : «La vérité sur la crise climatique est gênante parce que cela signifie que nous allons avoir à changer la façon dont nous vivons». Ces appels évidents au sacrifice par Gore et d'autres dirigeants verts a conduit à une montée de la division partisane. John Jost, psychologue politique de premier plan de l'université de New York, a démontré récemment que la plupart des clivages partisans sur le réchauffement climatique peuvent être expliqués par le concept psychologique de la justification du système. Beaucoup d'Américains ont un fort besoin psychologique de maintenir une vision positive de l'ordre social existant. Lorsque Gore disait: «Nous allons devoir changer notre façon de vivre», il ne pouvait pas faire une déclaration plus à même de provoquer une justification du système en place par nombre d'Américains.

Dans le même temps, les écologistes ont de plus en plus confondu acceptation de la science du climat et acceptation des prescriptions de la politique verte. Implicitement pour de nombreux verts et explicitement pour les plus apocalyptiques, s'opposer au cap and trade revenait à nier la réalité du réchauffement d'origine anthropique. Cela a de fait encore plus divisé l’opinion sur la climatologie que de l’unir dans un effort contre le réchauffement climatique. Les appels écologistes à l'autorité scientifique ont conduit les conservateurs non à abandonner leur opposition à l'intervention étatique dans l'économie d'énergie, mais à rejeter la science du climat.
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Les verts ont réagi à ces développements non en atténuant leur rhétorique ou en reconsidérant leur programme d’une manière qui pourrait être plus acceptable pour leurs adversaires. À la place, les prophéties apocalyptiques sur le réchauffement climatique ont augmenté, proclamations de plus en plus incompatibles ironiquement, avec le consensus scientifique que les verts mettaient en exergue. Ces efforts ont à la fois encore accru les divisions politiques d’avec les conservateurs et sapé le soutien à l'action chez beaucoup d'autres. Le psychologue politique Robb Willer de l’UC-Berkeley a récemment démontré par une série d'expériences que les présentations catastrophiques du réchauffement climatique réduisaient l'adhésion à celui-ci.
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Mais l'échec du lobby vert du climat dans ces dernières années va bien au-delà d'une mauvaise évaluation de la situation. En effet, celui-ci a été  autant fonction des verts qui concluaient qu'ils avaient un problème de cadrage que de ceux qui ne le faisaient pas. De nombreux verts ont conclu après La mort de l'environnementalisme qu'il leur fallait recadrer le réchauffement climatique comme une opportunité économique, non comme une crise écologique.
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Ainsi, les quotas de carbone et la voie des énergies douces ont été retaillés en politiques économiques et de l'emploi en dépit du manque de certitudes sur les  créations d'emplois au bout du compte. De fait, les modèles économiques proposés les plus crédibles sur le cap and trade, y compris ceux produits par des organismes gouvernementaux, ont prédit le contraire. Alors que les groupes écologistes les ont le plus souvent ignoré et s'y sont lancés tête baisée, la question des emplois restait très théorique. Il y avait de réelles conséquences économiques à proposer de limiter les émissions de carbone, et elles ont eu de telles  implications politiques que les environnementalistes ne sont pas prêts de s'en sortir.

Une grande partie du Midwest industriel est encore fortement tributaire de l'électricité issue du charbon, à la fois pour la consommation d'énergie des ménages et  pour ce qui reste du secteur manufacturier national en difficulté. D'autres régions, telles que la Gulf Coast, dépendent fortement de l'industrie des combustibles fossiles pour les emplois. Il en a résulté, alors que le débat au niveau national était divisé selon les partis, qu'il n'y avait aucune fracture dans ces deux régions : les deux partis politiques y étaient opposés à ce qui accroîtrait sensiblement les prix de l'énergie ou les pertes d'emplois dans des secteurs importants de leurs propres économies.

Le moment décisif de la lutte pour voter un projet de cap and trade au dernier Congrès fut mort-né. Peu de membres du Congrès étaient expressément disposés à plaider pour des politiques qui augmenteraient les prix de l'énergie et en avril 2009, le Sénat a voté quasi-unanimement une résolution comme quoi le cap and trade ne devait pas conduire à une augmentation des prix de l'énergie. Cela montrait bien que toute politique qui sortirait du Congrès aurait eu peu d'impact sur les émissions ou le déploiement des énergies propres. 
À partir de là, le cap and trade national n’a rien été de plus qu’un théâtre Kabuki, avec des défenseurs soutenant que le projet de loi réduirait considérablement les émissions et créerait des millions d'emplois et des opposants affirmant qu'il ruinerait l'économie. En réalité, il n'aurait fait ni l’un ni l’autre. Ni la version adoptée par la Chambre, ni celle qui est morte au Sénat n’auraient eu beaucoup d'impact sur les émissions ou le système national de l'énergie pendant des décennies. Mais alors que le résultat du débat cap and trade était acquis d'avance, les dommages causés à la fois au mouvement environnemental et au programme d'investissement sur les énergies propres ont été énormes.
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Aujourd'hui, le capital politique du mouvement environnemental est plus faible que depuis la reprise du Congrès par les républicains en 1994. Peut-être plus important, vu la façon dont il a choisi d'utiliser ce capital, il a aussi réussi à discréditer et à diviser le programme d'investissement dans les énergies propres. Cela est du au fait que les emplois promis grâce aux investissements de relance verte ne sont pas matérialisés et que les efforts visant à transformer la politique climatique en politique économique a fini par discréditer un programme auparavant largement populaire de développement de nouvelles technologies énergétiques parce que devenu impossible à distinguer de la forte controverse sur le climat.

 


54 réponses à “Toujours verts/2”

  1. Toutes petites corrections :

    page 1 :

    Une grande partie du Midwest industriel est encore fortement tributaire de l’électricité issue du charbon, à la fois pour la consommation d’énergie des ménages et de ca qui reste

    : ce qui reste.

    p. 2 :

    Trois : les actions les plus réussies ne seront pas justifiées par des raisons environnementales. Les deux seuls pays à avoir décarboné leurs approvisionnements en énergie de manière significative – la France et la Suède – l’ont fait pour des raisons de sécurité énergétique en réponse aux chocs pétroliers et non pour des raisons environnementales. Beaucoup de conservateurs sceptiques face aux allégations des militants du climat pensent qu’il est mauvais de sortir 500 milliards chaque année pour importer du pétrole, qui apporte avec lui toute une série de menaces pour la sécurité nationale et la sécurité énergiétique.

    énergétique…

    Le développement du monde et l’urbanisation sont des tendances salutaires – parce qu’ils apportent avec eux la possibilité pour des milliards d’entre nous de vivre plus longtemps, en meilleure santé et plus libres. Mais ellesil ne suggèrent également

    ils suffira…
    p.3 :

    Des avertissements de Paul Ehrlich sur la bombe de la population au «Halte à la croissance» du Club de Rome, l’écologie politique contemporaine a toujours chéri un malthusianisme vert bien que il ait été constamment pris en défaut

    bien qu’il
    et quelques espaces inutiles entre certains mots…

    A part ça, en voilà qui ont compris beaucoup, maintenant il leur reste à constater que le changement climatique n’est pas ce qu’ils croient, et à acheter des moufles … Sur le nucléaire qu’ils préconisent, les misérables déclarations de nos politiques qui font mine de découvrir sa dangerosité potentielle me font gerber. Ironie du sort, au moment où skyfall traduit ce texte (merci à nos anciens, toujours verts…), l’actualité se charge de le remettre en porte-à-faux ! Maintenant, en arrêtant de se focaliser sur le climat, on peut mettre le gaz (de schiste ? ou/et la méthanisation) au premier plan des énergies de demain sinon d’après demain…

  2. ma foi voilà des environnementalistes convaincus mais sensés, nos Verts minables ont des leçons à prendre ….

  3. Merci de la traduction.

    Quelques corrections suggérées en page 3

    qui apporte avec lui toute une série de menaces pour la sécurité nationale et la sécurité énergtique

    et

    Au total, ces énergies douces nous ont généré valu des centrales au charbon, des montagnes arasées, le réchauffement de la planète et une économie qui consomme 50% de plus d’énergie, mais pas de panneaux solaires et d’éoliennes

    et

    mais pas assez vite pour remplacer les combustibles fossiles à un rythme suffisant pour avoir un impact suffisant sur les émissions de CO2

  4. Très belle traduction d’une très instructive conférence.
    -sur le point 3 : je me demande de quel chapeau les conférenciers sortent ces « 3 millions de décès par an dus à la pollution de l’air « ? (il ne peut évidemment s’agir que du monde entier, qui compte dans les 60 millions de décès par an, et pas des Etats-Unis, où il y en a moins de 3 millions au total)
    -le point 8 est particulièrement succulent : « vous n’aimez pas le résultat ? » eh bien, vous n’avez qu’à tripoter les données et les hypothèses. Voilà qui rappelle quelque chose.

  5. J’apprécie d’autant plus ce billet, qu’il me serait sans cette traduction, totalement impossible d’en comprendre toutes sa finesse et ses richesses. J’en remercie donc leurs auteurs.

    Ceci dit, les quelques erreurs de frappe que j’ai relevées – après celles signalées par les précédents contributeurs – ne sont que « broutilles » et les signaler ne représente de ma part qu’une bien faible et très humble contribution.

    p. 1 :

    De nombreux verts ont conclu après La mort de l’environnementalisme était qu’il leur fallait recadrer le réchauffement climatique

    Supprimer était ?

    les environnementalistes ne sont aps prêts de s’en sortir.

    pas (au-lieu de aps)

    P. 2 :
    Un :

    De nombreux éclogistes

    Deux :

    aux remèdes que les Verts ont proposé

    ont proposés ?

    ou que ce sont vérttablement

    véritablement

    Sept :

    les soi-disant «énergies douces»

    un dogme grâce l’article

    grâce à

    dix :

    notre méfiance envers sur la technologie

    supprimer « sur » ?

  6. à propos de « nos » verts, Dany L.R, Cécile D et Nic-culot, qui proclament, à juste titre, au sujet de la catastrophe japonaise que :
    « L’Homme ne peut pas maîtriser la Nature »
    j’applaudis des deux mains, des trois pieds et des six oreilles,
    MAIS …
    Zalors,
    comment se fait-il que l’Homme a, en revanche, le pouvoir de faire varier le thermomètre de Dame Nature, et pas qu’un peu… (à 90% ?),
    sans compter les « effets secondaires » (Mediatorisés ?) inondations, sécheresses, vagues de froid, de chaud, de tiède, les vents les calmes plats, les hautes, basses, moyennes et demi pensionnaires pressions, les alizés, souffles fragiles, cyclones, typhons, tempêtes, la hausse « sans précédent » du niveau des mers la baisse « itou » des glaciers, la disparition des ours blancs, des alligators à poil laineux, et surtout les mauvais résultats dans les sondages de Nicolas S**** ?
    (ah non pardon, on parlait de Dame Nature, pas du nain dénaturé)

  7. pastilleverte (#8),

    certes , non seulement on peut provoquer le réchauffement mais aussi le maîtriser cf les déclarations à la conférence de Copenhague. NS a décrété qu’on allait limiter la hausse à 2°C, quelle vanité !!!!

  8. lien

    bien vu, c’est un journaleux de France TV qui décroche le pompon de « l’à coté de ses pompes »

  9. pastilleverte (#8),

     » “L’Homme ne peut pas maîtriser la Nature”
    j’applaudis des deux mains, des trois pieds et des six oreilles,
    MAIS …
    Zalors,
    comment se fait-il que l’Homme a, en revanche, le pouvoir de faire varier le thermomètre de Dame Nature, et pas qu’un peu… (à 90% ?), »

    Mon cher pastilleverte, vous n’avez rien compris.

    Par son orgueil l’homme ne peut pas maîtriser la nature.

    Mais par sa repentence et surtout pas sa pénitence, sa pauvreté, sa misère, il le peut, c’est-à-dire, en vérité, s’y soumettre.

    Bon, ben, au bout de mon raisonnement, finalement, je me rends compte que vous avez tout compris !

  10. Myke (#6),

    -sur le point 3 : je me demande de quel chapeau les conférenciers sortent ces “3 millions de décès par an dus à la pollution de l’air “? (il ne peut évidemment s’agir que du monde entier, qui compte dans les 60 millions de décès par an, et pas des Etats-Unis, où il y en a moins de 3 millions au total)

    A mon humble avis, cela doit correspondre essentiellement à la pollution de l’air intérieur. Dans les pays en voie de sous-développement durable, les populations soumises à la diète énergétique – grâce à l’action des protecteurs des bébés phoques, oursons à pelage blanc et autre pandas – ne peuvent se nourrir qu’en faisant brûler des excréments à l’intérieur de leur maison. D’où, dans les « pays à faible revenu », trois millions de morts pour cause d’Infections des voies respiratoires inférieures.

    Sauvez un bambou … Mangez un Panda :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen:

  11. Papyjako (#13), Hum… il ne s’agit que d’une coïncidence de chiffres… C’est certainement autre chose… ou n’importe quoi ; la chasse au trésor reste ouverte. Le nombre de décès « dûs à la pollution de l’air » est un domaine où l’extravagance est de règle.

  12. @papyjako # 13

    ben même si ils brûlent des bois ramassés ça et là, et non pas des excréments (séchés, tout de même !), ils sont sujets à de graves maladies pulmonaires.
    En effet, la, mauvaise, combustion de bois dégage des particules pas vraiment idéales pour les poumons.
    Pollution de l’air, point ne sait, mais première cause de mortalité au niveau mondial = maladies pulmonaires, j’ai bien lu ça quelque part sur un truc (un machin, comme disait le grand Charles) qui s’appelle l’OMS.

  13. pastilleverte (#16)
    Ben voyons, les stats de l’OMS, on peut rigoler non

    Rien qu’en France, on n’est pas fichu de dire le nombre de décés dus à la grippe machin !

    Alors les stats de Tanzanie, du Soudan et de l’Ouganda…

  14. pastilleverte (#16),

    En effet, la, mauvaise, combustion de bois dégage des particules pas vraiment idéales pour les poumons.

    Tout à fait !… Et, bois ou bouse, il est frappant que les « Infections des voies respiratoires inférieures » ne sont au premier rang que dans les « pays à faible revenu « .

    première cause de mortalité au niveau mondial = maladies pulmonaires, j’ai bien lu ça quelque part sur un truc (un machin, comme disait le grand Charles) qui s’appelle l’OMS.

    Inexact. Le « machin » dit qu’au niveau mondial les « Infections des voies respiratoires inférieures » arrivent au troisième rang. Elles sont battues à plate couture par les « Cardiopathies coronariennes » et les « AVC et maladies cérébrovasculaires ».

    Pour mémoire, le SIDA est en septième position, le « Cancer de la trachée ou des poumons » en neuvième (les autres cancers sont quantité négligeable), devancant d’un poil les « Accidents de la route » qui cloturent le « Top 10 » mondial;

  15. @ papyjako :
    je me couvre la tête de cendres (non radioactives), par honte d’une désinformation digne d’une rubrique scientifique de nos grands quotidiens nataionaux (pas de nom SVP)

  16. @ Papyjako :
    je me couvre la tête de cendres (non radioactives), par honte d’une désinformation digne d’une rubrique scientifique de nos grands quotidiens nationaux (pas de nom SVP)