Le totem n’est plus qu’un item

Par Benoît Rittaud

 

Le rapport qui vient d’être publié sur le climat de la France au XXIe siècle, et sur lequel je reviendrai dès que possible, se signale d’emblée par un renoncement carbocentriste au moins aussi considérable que celui de l’Organisation météorologique mondiale au sujet du réchauffement global. Ce renoncement se découvre… à la page de couverture du rapport :

 

S’ADAPTER

À travers 84 actions, le plan national d’adaptation au
changement climatique permet à la France d’anticiper les futurs du climat.

 

Il faudra s’y faire : on ne lutte plus contre le climat, on s’y adapte. Je soupçonne que ce glissement a échappé aux auteurs du rapport, à moins que ceux-ci n’en aient pas mesuré toute la portée implicite. Ce n’est pourtant là que le dernier signal après bien d’autres qui vont tous dans le même sens. Par exemple, avez-vous remarqué qu’en France, dès lors qu’il s’agit d’environnement, nous n’avons plus que les mots de « transition énergétique » à la bouche ? Les gaz à effet de serre, eux, ne font désormais recette que de façon sporadique.

Oh, bien sûr, il n’y a pas que l’adaptation. La rhétorique de « lutte contre le dérèglement climatique » a encore quelques beaux jours devant elle. Le climat est bel et bien présent, et à de nombreuses reprises, dans l’exposé des motifs du projet de loi français sur la transition énergétique. Dans celui-ci, il faut en convenir, il s’agit bel et bien de « lutter ». Mais à la lecture de cet exposé il apparaît vite que l’esssentiel est ailleurs, il est que cette lutte contre le réchauffement climatique n’est rien de plus qu’un point parmi d’autres. Désormais contrainte de partager la vedette avec la création d’emplois (verts), l’indépendance vis-à-vis de l’étranger ou encore la limitation des prix pour les consommateurs, elle n’est plus ce point de repère permanent et unique qu’elle était naguère. C’est ainsi que désormais le totem climatique n’est plus rien d’autre qu’un item au sein d’une liste qui s’allonge et dans laquelle chacun peut trouver ce qu’il veut. Pour un climatosceptique, il s’agit là d’une évolution très positive, qui donne un bel exemple de ce que la ministre, Ségolène Royal, a joliment appelé il y a quelque temps la « créativité politique » (c’était sur un autre sujet). Il en faudra, en effet, de la créativité, pour ne pas donner l’impression de renier la question climatique portée comme étendard durant tant d’années.

Dans ma boule de cristal, je lis donc cet avenir possible pour l’item « climat » : en tête de la liste dans un premier temps, il pourrait être relégué progressivement dans son ventre mou avant de disparaître, définitivement noyé au sein d’un autre item aussi vague que général (« lutter contre les dégradations de l’environnement sous toutes leurs formes », par exemple). Peut-être le moyen le plus élégant et le plus indolore de sortir politiquement en douceur de toute cette affaire.

 

Addendum, par Nicias

Conformément aux prévisions de Benoit et a contrario des miennes, le sommet de N-Y s'est achevé sur l'absence d'un accord international quel qu'il soit.

La majeure partie des négociations portaient sur le Fond vert pour le climat, des transferts financiers des pays riches vers les plus pauvres à hauteur de 100 milliards de $ par an d'ici 2020, en négociation depuis 2009 :

Les discussions porteront sur ​​la capitalisation du Fonds vert pour le climat, un mécanisme de transfert d'argent des pays développés aux pays en développement pour les aider à mettre en place des pratiques d'adaptation au changement climatique.

Au bout donc de presque 5 ans de tractations et de crise économique, 6 pays développés ont accepté de payer des indulgences :

Les dirigeants ont exprimé un appui solide pour le Fonds vert pour le climat et beaucoup ont appelé à la capitalisation initiale du Fonds pour un montant d'au moins 10 milliards de dollars. Il y avait un total de 2,3 milliards de dollars en promesses de dons à la capitalisation initiale du Fonds par six pays [versement étalé sur plusieurs années et pas d'engagement pérenne]. Six autres se sont engagés à verser des cotisations pour Novembre 2014 [c-a-d pour le concert de Lima du Never Ending Climate Tour, COP20].

C'est étonnement maigre (environ 0,005% du PIB mondial), mais peut-il en être autrement puisque l'aide au développement a toujours répondu au principe bien compris qu'un pays donne, mais à condition que ce soit ses entreprises qui obtiennent les contrats. C'est le vice qui fait les vertues publiques, et il s'accomode mal dans ce cas d'une gestion rigoureuse des fonds par un organime internationnal impartial.

Aussi la Chine (N°1 du CO2) n'est pas pour autant restée muette :

Le vice-Premier ministre chinois Zhang Gaoli s'est engagé à doubler la contribution de son pays à un fond "Sud-Sud", qui aidera les pays en développement à s'adapter au changement climatique.

Ni les USA (N°2) :

Aujourd'hui, lors du Sommet des Nations Unies sur le climat à New York, le président Obama a annoncé un nouvel ensemble d'outils pour exploiter les capacités scientifiques et technologiques uniques des États-Unis pour aider les populations vulnérables à travers le monde à renforcer leur résilience au changement climatique.

Vous l'aurez compris il n'a pas été beaucoup question d'accord contraignant pour réduire les émissions de CO2. "Ban" peut communiquer sur le fait que "les dirigeants se sont engagés à limiter la hausse de la température mondiale à moins de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux pré-industriels", puis illustrer la chose par des dizaines de beaux discours sans substance des dirigeants présents, le monde semble avoir tourné la page de la mitigation.

Sources pour les déclarations de l'ONU :

http://www.un.org/climatechange/summit/2014/09/120-head-state-to-attend-climate-summit/
http://www.un.org/climatechange/summit/2014/09/2014-climate-change-summary-chairs-summary/

 

6 Comments     Poster votre commentaire »

1.  Nicias | 25/09/2014 @ 9:22 Répondre à ce commentaire

Petite phrase passée à la trappe concernant le futur accord de Paris visant à limiter les émissions de CO2 :

Leaders concurred that the new agreement should be effective, durable and comprehensive and that it should balance support for mitigation and adaptation. Many underlined the importance of addressing loss and damage.

Les dirigeants ont convenu que le nouvel accord devrait être efficace, durable et global et qu'il devrait soutenir l'atténuation et l'adaptation de manière équilibrée. Beaucoup ont souligné l'importance de traiter les pertes et dommages.

2.  Bernnard | 25/09/2014 @ 12:58 Répondre à ce commentaire

Peut-être le moyen le plus élégant et le plus indolore de sortir politiquement en douceur de toute cette affaire.

Élégant et indolore politiquement, mais surement pas scientifiquement.
La science en aura pris un coup « durable »!

3.  Hug | 25/09/2014 @ 13:39 Répondre à ce commentaire

Quoiqu’il en soit, malheureusement, le mal est fait. la loi sur la transition transitude énergétique prévoit d’augmenter sensiblement la part des énergies renouvelables inefficaces et chères (éolien et solaire) et de réduire notre consommation d’énergie par 2 (rien que ça !!) d’ici 2050.
Si on atteint effectivement d’ici là à cet objectif, c’est qu’on aura foutu par terre notre économie au-delà de ce que prédisait Rémy Prudhomme à l’issue de Grennelle de l’environnement. Pas de quoi se réjouir. 😥

4.  Nicias | 25/09/2014 @ 14:08 Répondre à ce commentaire

Il faudrait retrouver les propos virulents tenus par les réchauffistes sur l’adaptation (et ceux qui la prônait) il y a quelques années. Le rapport Stern dont le message résumé est qu’il est beaucoup moins couteux de lutter contre le réchauffement que de s’adapter en est une des fondations.
Cela permettrait d’illustrer le grand écart qui est en court, similaire à celui qui a eut lieu en Chine. Presque du jour au lendemain, ce pays s’est mis a faire exactement le contraire de ce qu’il prônait tout en sauvant les apparence. Et les mêmes, sont restés au pouvoir.

J’étais en Chine lors du retour de Deng Xiaoping aux affaires. Comment l’a-t-on réhabilité ? Après la mort de Mao, en septembre 1976, on a continué sur le thème “critique de Deng”. Simplement, les formules adjacentes, qui étayaient cette formule-flèche, se sont progressivement raréfiées. Puis un beau jour, on a vu apparaître l’expression: “fautes de Deng Xiaoping”. Tout le monde avait compris qu’il était réhabilité, ou plutôt qu’il était déjà au pouvoir. En même temps, vous ne pouvez pas protester: une “faute”, ce n’est pas bien… Enfin, on a vu revenir l’expression “camarade Deng Xiaoping”. Vous voyez que cette façon de distiller la rumeur, d’atténuer l’écart en ménageant les continuités, vous absorbe dans le mouvement en cours sans offrir de failles qui permettraient de réagir.
Il faut ce genre d’outils théoriques pour comprendre ce cas unique que représente la Chine d’aujourd’hui: celui d’un régime hypercapitaliste sous un couvercle communiste

François Jullien

5.  Zebul | 25/09/2014 @ 14:21 Répondre à ce commentaire

J’ai toujours peur du résultat des ces grands rassemblements. Mais bien souvent il ne s’agit de réunion entre beaux-parleurs qui veulent surtout recevoir leur salaire à la fin du mois et voyager. C’est ce qui s’est passé: beaux discours vides.

6.  pastilleverte | 25/09/2014 @ 20:26 Répondre à ce commentaire

Concernant « adaptation/résilience » > « lutte » aka CO2, est-ce que Jouz est au courant ?
Et Ban Ki Moon aussi ? « Il faut (enfin) donner un prix au CO2 »