Les non-reproches de Daniel Schneidermann à Pascal Bruckner


par Benoît Rittaud.

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Daniel Schneidermann a publié hier l’éditorial que voici, intitulé « Bruckner, les Verts et Pétain » :

Après Allègre, voici un petit nouveau, sur le marché apparemment bankable des anti-écolos: Pascal Bruckner, philosophe. En vertu d'impératifs mystérieux, et sans doute parce que l'actualité est creuse ces jours-ci, France Inter lui offre la tribune royale de l'interview de 8 heures 20. Pourquoi ? Quelle est exactement l'urgence à offrir une tribune à Bruckner ? Une clairvoyance exceptionnelle, justifiant que sa promo prenne le pas sur l'actualité en général ? Un accord ultra-secret avec les éditions Grasset ?

Au moins, celui-ci ne conteste pas le réchauffement. C'est déjà ça. Pour le reste, c'est un festival. Bruckner s'est plongé dans "létextes" (lesquels ?) Et il a découvert que l'écologie emprunte au christianisme, au pétainisme, et à la radinerie. Christianisme: le "moins c'est plus", des décroissants, est évidemment la traduction moderne du "les derniers seront les premiers" de l'Evangile. Pétainisme: sait-on assez que le Maréchal fut un ardent propagandiste du vélo ? (Tout juste s'il ne le pratiquait pas lui-même). Quant à la "terre mère" des écolos, c'est la descendante de la terre pétainiste qui, chacun s'en souvient, "ne mentait pas". Radinerie: Bruckner s'offusque qu'on apprenne à sa fille, à l'école, à fermer le robinet quand elle se brosse les dents. Tout est à l'avenant. La désignation d'Eva Joly comme candidate ? "On va mettre les menottes à la planète." Autre argument, plus intéressant: la convergence des injonctions "des marchés" et "des décroissants" à se serrer la ceinture. Les écolos, en quelque sorte, seraient les idiots utiles des marchés (mais Bruckner n'invente rien. Ce reproche fut un des grands arguments classiques anti-écolos de certains marxistes, lors de l'apparition de l'écologie politique).

Bref, l'exercice est dispensable, mais distrayant (même si pas aussi drôle, apparemment, que le livre de Iegor Gran, que l'on peut écouter ici). Il ne faudrait pas rendre à Bruckner le service qu'il attend, et accueillerait d'un grand"je vous l'avais bien dit": l'excommunication immédiate. Quant à lui reprocher de se mêler de ce qui ne le regarde pas, ce serait aussi idiot que de reprocher à Todd, historien et démographe, ou à Jorion, ethnologue, de parler d'économie. Vivent ceux qui parlent de ce qui ne les regarde pas ! Tout au plus, s'il faut vraiment se donner la peine de la réfutation, pourra-t-on remarquer que la connotation religieuse de cet l'appel à l'expiation des jouissances passées, ne se trouve pas seulement chez les écolos. Elle affleure partout, dans nombre de discours politiques, et dans toutes les images apparemment contemporaines, comme le remarque souvent, ici, Alain Korkos. On la sent frémissante, contenue, (pour ne prendre qu'un exemple) dans l'incantation millénariste des grands prophètes de la dette, nous appelant matin et soir à expier notre prodigalité passée. Les écolos sont en bonne compagnie.

Les articles journalistiques qui évoquent le réchauffement climatique (et l’écologisme, qui est à mon avis un sujet bien distinct) sont en général très prévisibles en plus d’être sans intérêt. Si je veux passer un instant sur ce texte, c’est parce que je tiens Daniel Schneidermann pour un journaliste intègre et intelligent. Le voir ainsi se fourvoyer est triste, car cela montre que la probité et l’intelligence ne font pas tout. (Compte tenu du peu de cas que Daniel Schneidermann a fait de mes dernières remarques sur son avis sur le réchauffement climatique, je ne pense pas nécessaire de lui signaler l’existence de ce billet, car à l’évidence, son avis sur la question est aussi sclérosé que celui d’autres journalistes bien connus.)
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Ma consternation devant son édito commence dès la première phrase. Passe encore pour le rapprochement facile avec Claude Allègre (bien que Pascal Bruckner ait explicitement rejeté le rapprochement durant son passage sur France Inter). En revanche, l’insinuation « apparemment bankable (sic) » est tout à fait indigne. Si l’on comprend bien, si quelqu’un n’est pas dans la pensée unique, c’est parce que ça lui rapporte de l’argent, de la notoriété ou autre. On pourrait donc, de la même manière, reprocher à Daniel Schneidermann sa critique des grands médias au motif qu’elle le nourrit.
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France Inter a offert une tribune à Pascal Bruckner ? C’est apparemment scandaleux. Mais si cela peut rassurer Daniel Schneidermann, France Inter n’est pas précisément gangrené par le climatoscepticisme. Je suis bien placé pour le savoir, moi dont le débat avec Sylvestre Huet a été tronqué pour ne laisser la parole qu’à ce dernier, et moi qui ait aussi été désinvité au dernier moment d’une émission où Stéphane Foucart s’est finalement retrouvé seul pour dire du mal des sceptiques (je devais être réinvité à un autre moment pour l’équilibre, ce sera apparemment aux calendes grecques). Si « complot » il y a à France Inter, alors il faut le mettre au pluriel.
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« Au moins, celui-ci ne conteste pas le réchauffement. C’est déjà ça. » Roy Spencer vient de publier l’anomalie de température du mois de septembre : un affolant +0,29°C, la tendance sur les trente dernières années montrant une augmentation de 0,1°C par décennie. Terrifiant.
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Ce qui est étonnant, c’est quand Pascal Bruckner prend à la place des journalistes. Daniel Schneidermann aurait voulu que soient cités explicitement les textes (pardon : « létextes » – à prononcer avec doute et mépris) dont parlait l’interviewé ? Bonne question en effet (même si Pascal Bruckner a tout de même cité Cousteau et Pétain), mais celle-ci s’adresse aux journalistes : que ne lui ont-il demandé ?
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Disons-le, je n’ai pas non plus trouvé Pascal Bruckner très bon. Mais il faut lui reconnaître une excuse : toutes les questions des journalistes (ainsi que celles des auditeurs, franchement collectors) étaient hostiles. Ces conditions n’aident pas l’élaboration d’un propos, et Daniel Schneidermann devrait le savoir. Les intervieweurs étaient particulièrement pressés de montrer qu’ils n’étaient pas d’accord avec leur invité, exactement comme si le choix de celui-ci par la rédaction leur avait déplu. En particulier, nous avons eu droit à cette question révélatrice d’un étrange état d’esprit : « Rassurez-nous : le dérèglement climatique et l’épuisement des ressources, ce n’est pas un fantasme ? » Pascal Bruckner a consenti : tout va mal, oui. Nos journalistes peuvent donc être pleinement « rassurés ». Daniel Schneidermann aussi, apparemment.

L’interview de Pascal Bruckner sur France Inter :
à 8h20, avec les journalistes,
à 8h40, avec les journalistes et les auditeurs.

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60 réponses à “Les non-reproches de Daniel Schneidermann à Pascal Bruckner”

  1. jojobargeot (#46),

    Ce que font Jouzel et sa bande, c’est pareil, la reprise à leur compte du mythe du RCA et de son diable le CO2, c’est uniquement dans le but de faire capoter la tendance vers le retrait du nucléaire d’états européens comme l’Allemagne, Ils ont failli y arriver avant les 25 ans de Tchernobyl, pour preuve, le vote par les verts de la reconnaissance de l’énergie nucléaire comme énergie renouvelable en novembre 2010. J-L Borloo faisait des gorges chaudes en affirmant que la France pouvait diminuer ses rejets de 40%. Le seul moyen d’y arriver? Remplacer les 40% de centrale en fin de vie par le même nombre mais avec 50% de production supplémentaire par tranche, imposer la voiture électrique à Bolloré (Ami de l’hyperprésident) 2000 véhicules pour Paris sont prévus, il est content Bolloré, comme pub gratuite on fait pas mieux.
    Mais il y a eu Fukushima, pas de bol.

    La promotion du nucléaire n’est pas l’objectif de tous les pro-RCA. C’est plutôt une particularité française. Et encore n’est-elle pas partagée par tous ses militants : je doute fort que ce soit la principale préoccupation de gens comme Jouzel ou Hulot par exemple. Cherchons plutôt le point commun de tous ces grands inquiets du réchauffement. Tous rêve d’un monde plus vert, plus redistributif, plus décroissant. Non, il faut se résigner à voir le RCA pour ce qu’il est : une sorte de cheval de Troie qui permettrait de changer l’économie et la politique mondiales, d’imposer leur vision du monde puisqu’ils savent, sauf Kempf peut-être, que les populations n’en voudront jamais sans contrainte majeure.
    Il y a toujours un mobile secret, ce qui ne veut pas dire complot, dans ces consensus apparemment inexplicables, si on ne considère que les faits, qui traversent les barrières nationales, politiques et géographiques (quoi de commun entre la France et les Maldives ?!) Les intérêts sont divers et particuliers mais l’arrière-pensée est générale.
    De même, on pourrait dire que s’il n’y avait pas l’espoir plus ou moins caché d’éliminer l’hypothèse de Dieu, le darwinisme ne ferait pas autant consensus, à en juger par ses seuls succès théoriques ou expérimentaux.

  2. jean l (#51),

    « La promotion du nucléaire n’est pas l’objectif de tous les pro-RCA. C’est plutôt une particularité française »

    Oui, une particularité née de l’histoire.
    Les premiers modèles de circulation atmosphériques mondiaux furent développés pour prédire l’évolution des nuages radioactifs nés des essais atomiques tant aux USA qu’en France. Sans les militaires, jamais les météorologues n’auraient eut leur ordinateurs pour faire tourner leur modèles (aussi utilisés pour résoudre des problèmes de balistique).
    En France, on a créé un organisme public aujourd’hui chargé de promouvoir les usages civils du nucléaire (et donc pour le gros morceau, l’énergie), mais à l’époque le rôle du CEA était dual.
    Aux USA, l’armée s’est appuyée sur les universités (MIT ou Princeton).
    Dans tous les cas, qui dit modèle, dit supercalculateurs couteux et conflit d’intérêt potentiel. Pour résumer, les USA et la France, c’est respectivement la paille et la poutre.

    NB: je ne connais pas les positions de Jouzel sur le nucléaire, reste qu’il est autant que les autres salarié du CEA (au moins jusqu’en 2008).

  3. jean l (#51),

    je doute fort que ce soit la principale préoccupation de gens comme Jouzel ou Hulot par exemple

    Jouzel salarié du CEA, ce n’est pas une broutille, quand même, son mail est au CEA. Et Hulot aussi était pro-nuke, puisqu’il a viré sa cuti (tourné sa veste ?) au printemps après le battage médiatique sur la « catastrophe » de Fukushima et se propre candidature aux primaires Europe Ecology ! (mais était-il sincère ?… l’avenir le dira.)

  4. Patrick Bousquet de Rouvex (#55),

    (mais était-il sincère ?… l’avenir le dira.)

    Personnellement, qu’il soit sincère ou pas je m’en fous complètement.

    L’important c’est « est-ce qu’il fait faire des conneries au gens au pouvoir ou pas ? »,

    Parce que De Gaulle, sur l’Algérie, en 1958, était-il sincère ou pas ? Mitterrand, en 1981, sur « changer la vie », était-il sincère ou pas ? On s’en fout complètement. L’important c’est ce qu’ils ont fait du pouvoir. De Gaulle a liquidé, sans doute à moindre frais, la colonisation, Mitterand le communisme à la française. Malgré toutes leurs faiblesses, on leur doit ça. C’est la seule chose qui compte. Alors, la sincérité d’Hulot : on s’en contrefout. La politique n’est pas une question de sincérité mais d’efficacité. Relire Machiavel. C’est pourquoi Hulot n’est pas un politique. C’est un histrion qui se prend pour le roi.

    Bien à vous.

  5. Laurent Berthod (#56),

    Bien à vous.

    Merci, je n’en demandais pas tant. Je n’ai aucune espèce de sympathie pour son « action politique », alors que j’aimais bien ses émissions où des types faisaient des loopings en planche à voile ! Son essai de conversion en homme politique a été foireux, il trouvera bien à se reconvertir en ce qu’il veut, je m’en bats l’oeil. Je répondais seulement à Jean l sur le pro-nucléarisme des deux personnages cités, point barre.

  6. Patrick Bousquet de Rouvex (#57),
    Il est évidemment possible que les 2 personnages cités soient pro nuke – je ne suis pas dans le secret de leur pensée – ce que je dis est que leur principal intérêt dans l’activisme climatique se trouve ailleurs : Jouzel a un job et une position éminente à conserver; Hulot a sa mission de prophète et sauveur des peuples.
    Remarque : que Jouzel ait été dir de l’IPSL, qui est lié au CEA, ne prouve pas grand chose quant à ses convictions. Avec l’argent, c’est bien connu, on achète surtout le silence.

  7. jean l (#58)
    À ce compte, on peut dire cela de tous les chantres du RCA :
    Gore, pour l’argent
    Hansen pour l’argent arrivé un peu plus tard
    et combien d’autres pour une promotion rapide, pour « passer à la télé », pour faire des voyages gratis, etc.

    Note : Jouzel n’est pas seulement ancien directeur de l’IPSL « lié au CEA »,
    il a fait sa carrière comme ingénieur salarié au CEA.

  8. Bonjour,
    Ce week-end, lecture du Bruckner : Rien de nouveau sous le soleil, mais franchement réjouissant de lire quelques vérités bien senties.
    Commentaire laudatif du livre de Benoît RITTAUD dans une note de bas de page ! !
    Amicalemnt