Humanisme ou climat ?


 Après Galam, voici Sylvie Brunel, à 15 jours de Rio+20.

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L’homme face au climat, que pouvons-nous faire, que devons-nous entreprendre ?

Sylvie Brunel, géographe, professeur à la Sorbonne

"Comme la religion, le discours sur le climat peut s’appréhender soit de manière négative, avec des concepts de culpabilisation, de peur ou de catastrophisme, soit de façon positive – « green is gold, green is job, green is tax ». Dans tous les cas, il s’agit d’une merveilleuse opportunité dont nous devons nous emparer."

L’humanité est extraordinaire

Pendant des centaines d’années, les hommes ont fui les inconvénients de la campagne pour la ville, qui apparaissait alors comme un refuge. L’urbain était celui qui avait accès à un certain nombre de services et de confort.

Aujourd’hui, la ville est devenue l’ennemie. Tous les films (« Une Vérité qui dérange », « Home » et bientôt « Le Syndrome du Titanic », de Nicolas Hulot) procèdent de la même façon : ils nous assomment d’images toujours présentées comme négatives – l’argile qui se rétracte, la cheminée d’usine qui crache une fumée noire. A ces images, sont associées des commentaires sépulcraux sur l’homme parasite dans une nature bienveillante. Si nous voulions, nous pourrions créer exactement le film inverse. En effet, quelle chance avons-nous de vivre dans ce monde. Nous vivons moitié plus longtemps qu’il y a 50 ans, nos enfants meurent deux fois moins. L’amélioration du niveau nutritionnel a permis de ramener le pourcentage de personnes souffrant de la faim de 30 % dans les années 1970 à 17 % aujourd’hui. Dans l’intervalle, la population mondiale a doublé.

Finalement, l’humanité est extraordinaire : elle a su trouver des réponses aux grands défis que lui imposent la nature (le froid, l’aridité et l’omniprésence de l’eau). Le réchauffement climatique est également une chance. Grâce à lui, nous allons nous ouvrir de nouvelles routes par les pôles, libérer de nouvelles terres cultivables en Sibérie et au Canada, revenir au temps où le Groenland était vert (Green Land) et avoir accès à de nouvelles ressources aujourd’hui piégés par les glaces. Nous allons, finalement, entrer dans une nouvelle ère de progrès. Nous pourrions faire un film qui soit un hymne à la beauté de la Terre et à la façon dont l’homme sait l’habiter, en évoquant les rizières irriguées d’Inde qui lui ont permis de faire face aux famines, Notre-Dame de Paris, l’opéra de Sydney, ou encore les magnifiques ponts construits notamment par Vinci.

Aujourd’hui, nous pouvons aller presque partout en toute sécurité. Souvent, les élites déplorent que la modernité ait porté préjudice à des territoires enclavés considérés comme des paradis perdus. Mais, avons-nous pensé à la femme qui va au puits avec un panier de 10 kilos sur la tête ?

Nous sommes ainsi dans une ère de formidable progression de la connaissance et de la communication. Ceci nous permet de connaître à n’importe quel moment ce qui se passe en n’importe quel point de la surface de la Terre, décuplant ainsi l’impact des phénomènes naturels. Comment alors prendre acte de ces progrès et les rendre accessibles à tous ?

Le défi tient-t-il alors en une interminable course entre les ressources et la population ? Ou alors serait-il d'espérer que la population mondiale ne doublera plus jamais ? Cette dernière comptera bientôt 9 milliards d'individus. Nous sommes bien face à une implosion démographique et effectivement confrontés au vieillissement de notre population, qui induit moins de forces vives pour répondre au défi que nous oppose le développement.

Le discours sur le développement durable fonctionne à rebours

Face à cela, le discours sur le développement durable ne fonctionne-t-il pas à rebours, voire à l’envers? Après celle ayant opposé l’Est et Ouest, ne sommes-nous pas aujourd’hui face à une nouvelle guerre froide entre le Nord développé et le Sud qui aspire à se développer, soit, plus globalement, entre les riches et les pauvres du monde entier ?

Plusieurs idées sous-jacentes affleurent. Premièrement, l’idée que « Nous seuls savons » et « détenons la vérité ». En Afrique, j’appelle cela le syndrome de Tarzan. L’homme blanc, Tarzan, délimite de grands espaces et cantonne les populations locales à leur périphérie. Il a les moyens de connaître tout ce qui s’y passe. L’essentiel de son existence consiste à s’allier au singe et à l’éléphant contre le méchant sauvage. Cette idée nous conduit à stigmatiser les Chinois, les Indiens, les Brésiliens, en considérant qu’ils font fausse route.

Deuxièmement, l'idée suivante : « Les pauvres sont des ennemis car, en prétendant nous imiter, ils saccagent la planète », peut également être évoquée. Ne serait-ce pas là le moyen qu’opposent les pays riches à la concurrence montante des pays du Sud  pour se préserver des parts de marché ? Pourquoi ?

Actuellement, les pays du Sud, qui souhaitent se positionner dans une dynamique de développement, sont systématiquement présentés comme proliférants et irresponsables. J’appelle cela la parabole de la voiture des chinois. Elle consiste à imaginer que chaque chinois possède une voiture et la catastrophe que cela serait ! Au début du 20e siècle, il était craint que Paris devienne infréquentable si chacun venait à posséder un carrosse. De même, imaginez que le monde entier vive aujourd’hui selon une projection mécanique et linéaire par rapport aux modes de fonctionnement et de développement du début du 20e siècle.

Les voitures de demain ne seront plus celles d’aujourd’hui. Pas plus que nous ne roulons en carrosse, nous ne roulons pas en DS 21. L’ambition du développement durable réside dans la mise en œuvre d’une croissance écologiquement soutenable, ou croissance propre. En ce sens, nous pouvons dire que : « Green is called/Clean is gold », à propos de la formidable opportunité qu’il représente, mais également  que « Green is job ».

L’actuelle mise en œuvre du paradigme du développement durable joue sur un aspect gênant : celui de la culpabilisation. Vous le constatez vous-mêmes : vos ampoules, vos voitures, vos chaudières… sont défectueuses et doivent être remplacées. Pourtant, les bons produits ne vous sont pas forcément proposés pour cela. Prenons l’exemple des ampoules à incandescences bannies. Les ampoules flow contact proposées pour les remplacer sont plus chères, lentes à s’allumer – donc nous les laissons allumées en permanence ce qui produit l’effet inverse de celui escompté – et leur recyclage est extrêmement compliqué.

Concernant le tri des déchets, celui-ci incombe aujourd'hui à tout un chacun et non plus à des filières spécialisées. Or, l’une des grandes ambitions du développement durable est de limiter à la source le nombre de ses déchets.

Via le mécanisme du climat, le développement durable est instrumentalisé pour en faire un nouveau terrain de conquête dons’emparent déjà un certain nombre d’acteurs. Pour les Nations Unies tout d’abord, il représente une formidable opportunité d’exister sur la scène internationale. Les ONG environnementales ensuite, peuvent facturer des sommes considérables aux entreprises souhaitant se labelliser avec leur logo.  Un ensemble de prédicateurs tire également parti de leur discours alarmiste. Ils possèdent leur église, leur catéchisme et peuvent proposer leurs indulgences. Par exemple, si vous polluez, vous pouvez acheter un certificat de compensation-carbone. Cela vous permet de continuer à pratiquer des activités très polluantes en bonne conscience. Est-ce vers cela que nous devons tendre aujourd’hui ?

Gare aux dynamiques d’exclusion !

Actuellement, se joue une bataille autour des indicateurs qui permettent de nous situer par rapport à l’état du climat. Ils sont l’objet d’affrontements homériques entre organismes de certification. Le même phénomène s’observe dans l’agriculture biologique. Il s’agit de la rente de certification.

Ainsi, toute cette bataille finit par n’être accessible qu’à une minorité disposant des moyens  pour s’approprier la vertu, en externalisant les nuisances et les contraintes. Pour résumer, le pauvre qui possède un vieux véhicule et vit en banlieue avec une famille nombreuse se voit interdire l’accès en voiture d’un certain nombre de villes européennes aujourd’hui. Parce qu’elle est excluante et porteuse de violence, cette logique est dangereuse. L’urgence aujourd’hui ne vaut que si elle est mise au service du bien être de tous et, notamment, des exclus du développement. Nous ne pouvons opérer à une opposition sectaire entre d’un côté, des populations riches, bénéficiant d’espaces verts, de forêts préservées, et de mobilité spatiale et d'un autre, les populations pauvres, résidant au sein des banlieues, subissant le coût élevé des biens et services, la taxe carbone et sous le coup d’une mobilité restreinte.

La démographie est devenue le nouvel épouvantail du développement durable. Les analogies utilisées sont fausses. Prenons le mythe de l’Ile de Pâques. La Terre est comparée à une Ile de Pâques à grande échelle. Or, l’histoire de cette île n’a rien à voir avec des actions néfastes des hommes. Une sécheresse dans les années 1700 -1800 a provoqué une disparition des arbres. Les hommes n’ont pas volontairement fait disparaître ces arbres. Autre image employée : celle de la Terre et du vaisseau. Nous ne disposons pas de planète de rechange. Or, nous connaissons les défis. La population mondiale ne doublera plus jamais. Il faut nous demander comment vivre à 9 milliards sur la Terre. La notion de capacité de charge d’un milieu ne représente rien dans l’absolu. Elle dépend des techniques employées pour vivre dans ce milieu. Vous pouvez être surpeuplé à 10 habitants par km² lorsque vous vivez de cueillette et de chasse comme vous pouvez vivre à 4 000 habitants par km² avec une économie évoluée et la pratique d’une agriculture qui peut être écologiquement intensive.

Chacun a sa place au banquet de la Terre

Nous savons que les réserves de productions sont aujourd’hui considérables. Dans les années 1970, au moment de l’explosion démographique du tiers monde, il était annoncé (Club de Rome, 1972) que les réserves de pétrole et de gaz seraient épuisées dans les années 1990. Aujourd’hui le pic pétrolier a été reculé à 2040. Nous avons donc les moyens de répondre au défi auquel nous sommes confrontés lorsque nous mobilisons intelligemment les énergies. Cela vaut à condition de ne pas passer par des idées fausses ou l’idéalisation du passé en cherchant des régulateurs. Ce type de mauvaise analyse conduit à voir dans les guerres ou le SIDA, l’occasion de se débarrasser d’un certain nombre de colorés.

Par le passé, des catégories de populations n’avaient pas voix au chapitre : les femmes, les classes « inférieures » et les enfants. Notre idéal actuel est de devenir une société de citoyens et de partenaires sur un pied d’égalité. Une autre idée fausse considère la nature bienveillante et l’homme, au contraire, caractérisé par la méchanceté. Or, la nature ne saurait être envisagée d’une telle manière.  Elle est la systématique victoire du fort sur le faible, des espèces invasives sur les espèces minoritaires. Elle s’organise autour d’une compétition impitoyable pour la survie. Elle est exactement l'inverse de ce que les hommes tentent de mettre en place avec la démocratie.

Nous en oublions que les paysages que nous aimons sont ceux d’une nature façonnée par l’homme et ses activités. La biodiversité est créée et entretenue par l’homme. Si nous nous en étions tenus à ce qui existait au début de l’ère chrétienne, avec une infime variété d’animaux (NdA : et de plantes domestiqués, donc d'agriculture), nous ne pourrions pas aujourd’hui nous nourrir.

Le développement durable doit répondre au progrès durable mis au service de tous, sans culpabilisation, sans catastrophisme, mais en opérant à une révolution culturelle, technique et scientifique, dans un esprit non excluant et non élitiste. Malthus avait tort. Chacun a sa place au banquet de la Terre. Les réponses existent et nous en prenons peu à peu conscience. Suite au tsunami de 2004, nous connaissons le rôle d’amortisseur indispensable que tiennent les mangroves. Les savoirs agronomiques actuels permettent de produire plus sans abîmer  l’environnement sur des espaces restreints. L’impact énergétique du développement ne cesse de baisser dans les pays riches. Si les Etats insulaires du Pacifique, présentés comme les victimes du réchauffement climatique, cessaient de prélever le matériau corallien pour construire des routes ou de pomper l’eau dans leurs atolls sans vision à long terme, ils s’enfonceraient moins. Ces propos sont, malheureusement, politiquement incorrects et il est plus intéressant d’en faire des victimes.

Le développement durable constitue notre plus grand défi

Aujourd’hui, le développement durable constitue notre plus grand défi. En effet, il n’est tout d’abord, pas possible d’opposer le confort des populations riches, vivant dans des jardins, eux-mêmes entourés de barrières de plus en plus infranchissables, à des populations pauvres qui ne peuvent plus vivre sur au sein de leurs pays d’origine et désirent migrer vers les zones aisées de la planète. D’autre part, les 2/3 de la croissance mondiale au cours des trente prochaines années reposent sur précisément sur le développement des populations pauvres avec ce que cela suppose de besoins à satisfaire de leur côté alors que nous sommes confrontés au vieillissement des individus de nos sociétés. Enfin, le progrès durable signifie de ne pas reproduire les erreurs passées et de mettre les innovations au service de tous, sachant que la nature n’est jamais mieux préservée que dans les pays les plus avancés. C’est en leur sein qu’il est possible d’inventer une croissance propre. L’homme n’est ainsi pas − comme le présente l’écologie rétrograde −  une espèce vivante parmi d’autres sur la Terre. Mais l’écologie existe en tant que composante de l’environnement, de l’ancien français « viron » : ce qui entoure l’humanité, en est le support. Le choc du futur est alors la mise en œuvre d’un progrès humaniste et écologique au service de tous.
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101 réponses à “Humanisme ou climat ?”

  1. Araucan (#99),

    je ne regrette pas de ne pas être abonné …

    D’autant plus que l’abonnement est hors de prix. De nombreuses bases bibliographiques collationnées par les grands organismes, qui regroupent des centaines de revues, ne sont pas abonnées à Nature.

    Je remarque qu’une fois encore, les biologistes US sont en pointe sur ce coup-là. Ehrlich et les bio de Stanford étaient les leaders autrefois. Berkeley semble prendre le relais. Il suffit d’un nid qui essaime.

    Du malthusianisme à la sauce des ordinateurs XXIème siècle.
    Résurge de temps en temps…et tout le monde s’en fout.