par Benoît Rittaud
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Suite à l’émission 28 Minutes du 26 novembre sur Arte au cours de laquelle Bettina Laville, Alain Lipietz et moi avons débattu, Alain Lipietz s’est fendu d’un courrier aux journalistes, qu'il a mis en accès libre sur son blog. Au lieu de me contenter d’en rire, je n’ai pas pu m’empêcher d’en faire une analyse, que je vous propose ici et qui me sert de réponse publique.
Pour commencer, voici l’intégralité du courrier que j’adresse à l’instant même à Alain Lipietz (j’envoie aussi un courrier à Camille Dauxert, de l’émission 28 Minutes).
Monsieur,
J’ai appris, non par vous-même mais par un fidèle d’un blog, l’existence d’un courrier que vous avez adressé à Élisabeth Quin (dont le prénom s’écrit avec un s et non un z) et Camille Dauxert suite à l’émission au cours de laquelle nous avons débattu. Ce courrier, que vous avez choisi de rendre public sur votre blog, contient de graves accusations à mon endroit. Vous trouverez à l’adresse http://www.skyfall.fr/?p=1150 ma réponse, tout aussi publique, à ce courrier.
Si vous souhaitez commenter cette réponse, je vous demande d’avoir la courtoisie, ou à défaut le courage, de m’informer personnellement, par mail, du lieu où ce commentaire serait publié. Je souhaite aussi que vous preniez garde à ce que certains de vos propos ne dépassent pas les limites d’un débat entre personnes certes passionnées mais avant tout soucieuses du respect du pluralisme des idées.
Benoît Rittaud.
Le fond scientifique des propos d’Alain Lipietz n’appelle guère de commentaire, et constitue un galimatias qui n’est certainement pas le plus intéressant dans son interminable missive (qui se conclut par un bel humour involontaire : « Espérant avoir clarifié les enjeux »…) J’y réponds aussi brièvement que possible à la fin de ce billet, plus par souci d’éviter les insinuations faciles que par réelle utilité. Ce qui est intéressant se trouve ailleurs.
La première chose qui me frappe, c’est qu’Alain Lipietz valide clairement qu’il a perdu notre débat. Se sentir ainsi obligé de rédiger un aussi long courrier, qui décortique chaque élément du débat et chaque ligne de mon livre pour tenter désespérément de me discréditer est la marque de quelqu’un qui a beaucoup de frustration à vider. Je ne pensais pas qu’il avait été déstabilisé de façon aussi vive. Prétendre que « [d]ès la lecture des 3 premiers chapitres, [le livre de M. Rittaud lui] est tombé des mains » est une évidente contrevérité qui illustre visiblement une gêne profonde : Alain Lipietz aimerait faire comme si je lui était indifférent, mais il n’y parvient pas. Il a effectivement lu tout mon livre, avec le soin maniaque de quelqu’un qui ne cherche visiblement qu’à conforter ses a priori, mais en échouant dans son entreprise et en ressentant douloureusement cet échec.
En bon bayésien, Alain Lipietz doit savoir que les compliments d’un adversaire portent plus d’information que les reproches. C’est donc non sans satisfaction que je note son appréciation de mon chapitre 4. Il semble avoir bien perçu aussi l’importance et l’intérêt de mon chapitre 6, qu’il ne réfute par aucun autre argument que des qualificatifs injurieux, reconnaissant en fait ne pas être en mesure de le contredire (tout en considérant sans doute que Popper – ah ! Popper… – veille au grain à sa place). Il convient que la courbe de Mann est fausse, il reconnaît un point d’accord « important » au sujet des carottes de glace, il rappelle que le réchauffement n’était pas observé avant les années 80… Moi je vous le dit : Alain Lipietz est un climatosceptique qui s’ignore.
L’incroyable agressivité de son courrier est évidemment l’élément le plus saillant. Alain Lipietz fait tout pour se présenter comme quelqu’un qui aurait perdu toute capacité à discuter, c’est-à-dire à confronter ses idées avec un contradicteur. Pour lui, un opposant au carbocentrisme est un « criminel », qui à ce titre ne devrait pas avoir le droit à la parole. Voici quelques citations édifiantes :
Si j’avais eu conscience que l’émission reviendrait encore sur cette histoire de « climatosceptiques », qui sert à justifier la paralysie de l’action depuis l’échec de Copenhague, j’aurais proposé un autre intervenant, tel M. Jouzel.
… comptant que la rubrique « Intox/Désintox » riverait le clou à ses effarants mensonges initiaux…
Je considère en effet que la mission du service public n’est pas de rendormir les gens face au péril, mais au contraire de les mobiliser. Comme le dit le prix Nobel Paul Krugman, faire de la propagande climatosceptique est aujourd’hui criminel (et je regrette d’avoir retirer (sic) le terme, pour en venir plus vite au sujet de l’émission.)
(Tiens tiens… aurait-il tiré de mon livre cet avis de Paul Krugman ?)
M. Rittaud, qui s’inscrit dans cette offensive, n’a rien compris à la base hypothético-déductive du débat (ou il la cache).
Consacrer un chapitre à épater le badaud par un petit cours de maths, critiquant méticuleusement un point d’illustration (et non d’argumentation) maladroit et archisecondaire de la thèse adverse, relève d’une méthode rhétorique bien connue (« l’empoisonnement du puits ») illustrée jadis par d’autres négationnistes (tel l’accent mis sur la reconstitution d’une chambre à gaz dans un camp alsacien où il n’y en avais jamais eu : ce qui prouve, n’est-ce pas, qu’il n’y en a eu nulle part…).
En réalité, M. B. Rittaud n’hésite pas à pratiquer la science standard. Il regarde la télévision, ce chef d’oeuvre de la théorie de l’interaction matière-lumière, je le soupçonne même de regarder la météo. Ce qui l’intéresse est de passer à la télévision.
(C’est raté : je n’ai pas la télé. Alain Lipietz, lui, n’est à l’évidence pas intéressé par le petit écran, il est au-dessus de ce genre de vanité. Sauf dans la conclusion de son courrier, où il explique aux journalistes de l’émission : « En cas d’échec de la conférence de Doha, je reste disponible pour en discuter enfin sérieusement avec vous. » Mais ça n’a évidemment rien à voir avec l’envie de passer à la télé…)
Un collier de sottises, de réflexions et d’anecdotes amusantes mais hors-sujet, de remarques même pas fausses : un chapitre irréfutable faute d’une consistance à laquelle s’attaquer, malgré ses conclusions criminelles…
Mais dans le cas du livre de M. Rittaud, il s’agit de pur baratin dont le but est explicité dans le chapitre 6 sur la « l’ombre portée » par le carbonocentrisme (sic) : l’inutilité des politiques de lutte contre l’effet de serre.Les autres chapitres relèvent exactement de la même rhétorique que chez les les (sic) négationnistes de la Shoah, des attentats du 11 septembre ou de la toxicité de l’amiante…
Qu’un élu au Parlement européen puisse ainsi se laisser aller à de tels débordements a le mérite de me rappeler l’importance de mon bulletin de vote, dont je considère qu’il a notamment pour fonction de contribuer à ce que l’auteur de tels propos n’accède jamais aux plus hautes sphères du pouvoir. Je pense notamment que les citations précédentes expriment une intention manifeste de s’opposer aux principes posés par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dans ses articles 10 et 11 :
Art. 10. –
Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.
Art. 11. –
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
Sauf erreur, le climatoscepticisme n’est pas un abus aux yeux de la loi. En revanche, qualifier quelqu’un de criminel en raison de ses opinions témoigne d’une volonté de lui interdire d’exercer son droit à la libre expression. Une analyse juridique des propos précédents d’Alain Lipietz, argumentée par des textes de loi et la jurisprudence, serait intéressante. Si un juriste passe par là…
Un autre point saillant du courrier d’Alain Lipietz est son côté profondément infantile. C’est quelque chose que j’ai déjà observé chez d’autres, par exemple chez Stéphane Foucart qui, dans son livre sur les ennemis de la science que sont les climatosceptiques, convenait qu’il « n’allait pas me chercher noise » sur les questions statistiques. Un vrai langage de gamin. Lors de l’émission sur Arte, Élisabeth Quin a, avec beaucoup d’intuition et de pertinence, explicitement reproché à Alain Lipietz que celui-ci « réagissait comme un enfant dans une cour de récré » (cela s’est passé hors caméra ; je ne me serais jamais permis de faire état de cette anecdote, mais là, il se trouve que je cite Alain Lipietz ; la chose est donc désormais publique).
Voyez les références d’Alain Lipietz à ses propres succès scolaires (« Entré second à l’école polytechnique »). Voyez-le réciter bien proprement sa leçon sur l’histoire de l’effet de serre. Voyez son incapacité à se retenir de me traiter de vilain pas beau à chaque occasion. Voyez son perpétuel empressement à montrer qu’il sait. Voyez sa référence à « un contrôle d’hypotaupe ».
Au fond, dans son courrier tout comme durant l’émission, Alain Lipietz a tout simplement perdu les pédales. On le voit à sa manière de parler de tout et de n’importe quoi hors de propos (sur le boson de Higgs, sur son intérêt d’étudiant pour l’analyse non-standard, sur les chambres à gaz…), allant jusqu’à assumer le côté délirant de la chose lorsqu’il dit dans son courrier, au sujet du pari de Pascal : « Il faudra en parler aux islamistes radicaux. Rien à voir avec l’effet de serre ? Non, et c’est voulu. » Nous voilà prévenus sur son souci de cohérence.
Allez, courage : le « fond scientifique ». Pour limiter le pensum, je me concentre sur les quelques points qu’Alain Lipietz semble considérer comme les plus importants (je répondrai à n’importe lequel des autres si la demande m’en est faite par l’intéressé – non sans une lassitude anticipée).
– Ni Fourier ni Tyndall n’ont jamais parlé de réchauffement climatique, ils peuvent être, au mieux, considérés comme des précurseurs sur lesquels d’autres se sont appuyés ; Arrhenius, notamment, que s’empresse de citer Alain Lipietz (et que je cite aussi dans mon ouvrage, contrairement à ce qu’il laisse croire) tout en omettant de préciser qu’Arrhenius a été réfuté en son temps par Wood.
– En 1991-92, les scientifiques que connaît Alain Lipietz « pariaient » peut-être à 60%, mais ce n’est pas du tout ce que disait le GIEC dans son rapport de l’époque. (Bon, Alain Lipietz a fait un effort : durant l’émission, il avait dit 75 %… on progresse.)
– Popper… pfouhh… le bon vieux Karl ne méritait pas ça. Joker.
– Le coup du conducteur qui fonce dans le mur, là aussi : pfouh. Analogie, quand tu nous tiens ! Direction la fin du prologue ainsi que le chapitre 4 du Mythe climatique.
– Les climatosceptiques critiquent la courbe de Mann sans donner « la vraie courbe du climat du dernier millénaire » tout bêtement car personne ne la connaît. Les données de Mann ne permettent pas de la produire. Alain Lipietz a-t-il si peur du vide qu’il préfèrerait garder la courbe de Mann en attendant, tout en sachant qu’elle est fausse ? (Et non, l’ignorance d’Alain Lipietz de cette courbe n’en fait pas un élément mineur.)
– Personne ne dit qu’il n’y a pas eu de réchauffement au XXè siècle (bien qu’Alain Lipietz se contredise, puisqu’il dit plus haut : « ce réchauffement n’était pas observé avant les années 80 »). Personne non plus ne dit que la température actuelle n’est pas plus élevée que par le passé. C’est simple pourtant : ça s’appelle un plateau. C’est plus haut qu’avant parce que ça a monté, mais là maintenant ça monte plus. Oualà.
– Les canicules, l’Australie en flammes… : pfouh… Allez, un effort. Ça, ça s’appelle la météo. Le climat, lui, traite de tendances longues. Il y a déjà eu des canicules bien avant 2003 : avant de brandir celle-là comme étendard, il faut comparer avec les périodes antérieures, et arriver à faire la part des choses avec la variabilité naturelle (comme pour la date des vendanges). Face à chaque coup de chaud récent que pourrait citer Alain Lipietz on mettrait sans problème un coup de froid équivalent, ça n’a rien à voir avec le problème. (Quant à savoir s’il fera plus chaud au 1er janvier 2013 qu’au 1er janvier 2000, c’est du même niveau.)
– La courbe de Foster et Rahmstorf n’engage qu’eux. Non seulement elle est issue d’un ajustement de données très contestable, mais elle contredit les estimations de température données par les quatre organismes officiels (GISS, CRU, UAH, RSS). Je crois même que le brouillon du prochain rapport du GIEC ne la reprend pas (mais ça a pu m’échapper). Il y a peu de monde aujourd’hui qui conteste encore l’existence d’un plateau dans les températures observées.
– Je n’ai jamais parié sur un refroidissement pour les 20 prochaines années. Et si je l’avais fait, il serait évidemment trop tôt pour affirmer que j’aurais perdu.
– L’allusion à Borel qui aurait « montré qu’une distribution peut avoir un domaine de mesure nulle (au sens de Riemann) mais de poids non nul, et même égal à un, au sens de Lebesgue » est une joyeuse confusion entre théorie des probabilités et théorie des distributions. Collector.
– Eh oui : dans le cadre du pari de Pascal, zéro fois l’infini, ça fait vraiment zéro. (Je ne le « démontre » certes pas dans mon livre, je dis explicitement que je n’en donne qu’une explication intuitive.) Pour apprendre la théorie de l’intégration, Alain Lipietz lira avec profit le grand classique de Walter Rudin, Analyse réelle et complexe. Il y trouvera une explication sur l’égalité zéro fois l’infini égale zéro et sa validité dans le cadre de la théorie de l’intégration, fondement de la théorie moderne des probabilités.
– Sur la « stratégie » qu’Alain Lipietz, grand seigneur, propose aux climatosceptiques : la notion d’effet de serre telle que présentée par le GIEC n’est pas la même chose que l’absorption des rayons infrarouges, confusion classique à partir de laquelle les carbocentristes croient pouvoir faire remonter leur théorie à Tyndall. Le fait que le CO2 augmente suite aux activités humaines n’est que marginalement contesté. Quant à son effet sur l’atmosphère, celle-ci ne se réchauffe plus depuis 10-15 ans. Les faits sont têtus, comme disait l’autre.
J’oubliais. Alain Lipietz me demande indirectement comment je fais pour traverser la rue. C’est très simple : j’accepte l’incertitude de l’existence, et même si la vie me joue parfois de sales tours (comme à nous tous), je n’ai pas peur à chaque instant que le ciel me tombe sur la tête. À méditer.
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108 réponses à “Réponse à Alain Lipietz”
the fritz (#100),
Si quelqu’un peur supprimer l’italic
Concernant Gervais et sa citation , je pense qu’il voulait dire : l’effet de serre contribue à échauffer la surface de la planète
the fritz (#97),
Certes non. Mais de là à dire qu’on peut les assimiler à des corps noirs ou gris, il y a de la marge. C’est d’ailleurs ce que dit Gervais.
Pour te poser une question à laquelle tu n’as d’ailleurs toujours pas répondu.
Bob (#102),
Mais de là à dire qu’on peut les assimiler à des corps noirs ou gris,
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loin de moi l’idée trop simple et colportée par nombre de scientifiques et nobélisés de la paix des 33°C de réchauffement de la planète du au GES; je l’ai écrit maintes fois qu’il ne faut pas confondre surface et globalité de l’atmosphère dont la température moyenne est de – 18°C , ce qui démontre que les GES ne peuvent changer que le gradient au sein de cette atmosphère
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Pour te poser une question à laquelle tu n’as d’ailleurs toujours pas répondu
Si le CO2 gère, au moins en partie, la température de la basse troposphère, commet se fait-il que la température ait monté aussi vite et à peu près de la même quantité de 1910 à 1940 que de 1975 à 2000 ? Alors que selon le GIEC nous assure (dans l’AR5 notamment) que l’effet du CO2 anthropique ne se fait sentir que depuis 1950 ?
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Oui , la colle de Lindzen avec sa courbe de température coupée vers 1940 est excellente ; mais la réponse était dans mon post N°93; il y a d’autres facteurs qui influent les variations de température ; en priorité le soleil qui nous a sorti du PAG; et puis je pense que les aérosols et les effets d’ilôts de chaleurs urbaines sont bien plus responsables des augmentations de température que le CO2; et je pense qu’on oublie la vapeur d’eau que nous injectons continuellement dans l’atmosphère soit lors des combustions , des irrigations et des refroidissements des centrales
the fritz (#103),
OK/ Thanks.
Ce n’est pas la « colle de Lindzen ». Elle etait apparue sur WUWT quelques mois auparavant et on la trouvait sur le WEB depuis pas mal de temps.
En fait je pense que les courbes de variations de températures globales, qui actuellement se promènent autour de 1/10 eme de degrés sur plusieurs décennies, ne sont pas statistiquement significatives et encore moins représentatives d’un système physique.
En fait, c’est comme si on comparait les variations de température au 1/10 de votre frigo et sur des années, avec la masse moyenne, à 10 grammes près de beurre qu’il contient : il n’y a aucun rapport.
Par contre, à un moment et sur une période donnée, vous pouvez trouver une corrélation entre les deux courbes : il suffit de bien choisir la présentation des données et d’avoir la foi.
Bernnard (#96),
Et il me semble qu’il n’y a qu’un seul element sur notre planete qui se trouve naturellement dans ces trois etats. C’est l’eau, or la modulation par le rayonnement cosmique influe directement sur le forcage ou non du changement de phases entre gazeux et liquide et ce en plus du gradient thermique. Ce mecanisme explique pourquoi la violence des evenements meteo peuvent etre corellee avec le niveau d’activite solaire.
Jojobergeot (#106),
Oui , j’ai généralisé à tous les états de la matière.
L’eau est certainement le composé qui a la prédominance sur les autres en ce qui concerne le pilotage des températures et sur terre elle ne manque pas!
Jojobergeot (#106), c’est le bon sens et l’évidence qui parlent.